Publié il y a 1 an - Mise à jour le 08.03.2023 - Anthony Maurin - 6 min  - vu 1367 fois

FAIT DU SOIR Quartier des femmes à la maison d'arrêt de Nîmes : un combat qui ne fait que commencer

Les membres de l'Ordre nîmois des avocats du Barreau de Nîmes qui étaient en visite à la Maison d'Arrêt de Nîmes ce matin (Photo Anthony Maurin).

Les membres de l'Ordre nîmois des avocats du Barreau de Nîmes qui étaient en visite à la Maison d'Arrêt de Nîmes ce matin (Photo Anthony Maurin).

- Les membres de l'Ordre nîmois des avocats du Barreau de Nîmes qui étaient en visite à la Maison d'Arrêt de Nîmes ce matin (Photo Anthony Maurin).

Depuis 2021, le conseil de l’ordre du Barreau peut se rendre en prison pour contrôler et visiter ces sites de privation de liberté. Cette nouveauté a été mise en place en 2022 mais rares sont les Barreaux à aller aussi vite que celui de Nîmes.

En poste depuis trois mois à peine et Khadija Aoudia, le Bâtonnier, a voulu faire une première visite dans le quartier des femmes de la maison d’arrêt de Nîmes. « Le texte qui nous permet cette visite est récent et toutes les juridictions ne sont pas dotées d’établissement pénitentiaire. Cela explique le peu de contrôles réalisés. Pour la maison d’arrêt, c’est le premier contrôle. On a essayé d’être réactif, difficile de faire plus rapide ! » lance Khadija Aoudia qui s’est, avant toute chose et dès sa sortie de l’enceinte, avouée « marquée par cette visite. »

38 femmes sont à l’heure actuelle incarcérées à la maison d’arrêt de Nîmes. Vingt cellules leur sont destinées mais si vous enlevez le cachot, les cellules de soins et d’autres cellules réservées pour d’autres choses, il ne reste pas beaucoup de place…

Le profil des détenues

« C’est pour cela qu’elles sont trois par cellules ! Et encore nous sommes actuellement dans une conjoncture dite excellente… Je vous laisse imaginer en situation normale », poursuit Khadija Aoudia.

Le profil de la femme détenue correspond majoritairement, à l’exception d’un cas, à des violences souvent consécutives à d’autres violences qu’elles subissaient elles-mêmes. Une est sans antécédent judiciaire, mais elle est là pour avoir tué son mari qui la brutalisait régulièrement. Une jeune fille âgée de 20 ans, enceinte et incarcérée pour la première fois, était malgré tout maintenue en détention pour blanchiment.

(Photo Anthony Maurin).

Une d’entre elles est détenue depuis six ou sept mois et n’a pas encore été entendue par le juge. « Le combat des droits des femmes continue mais celui des détenues est une amorce, tout est à faire. Respecter la dignité humaine, pouvoir acheter des serviettes et aller aux toilettes quand elles le veulent, maintenir les liens familiaux des détenues, travailler dans des conditions décentes, avoir des cellules correctes… On a tout à faire car même la politesse est discutable ! »

Pour certaines, c’est une première incarcération. Il y a un choc carcéral incommensurable, trois d’entre elles sont dans un état de dépression terrible. Il existe un constat extraordinaire entre le traitement réservé aux femmes détenues et celui réservé aux hommes détenus. En plus des conditions de détention, les femmes ne bénéficient pas d’autant de visites que les hommes. Plus de la moitié sont livrées à elles-mêmes.

Assise, couchée, pas bouger

Être respectée en tant que femme, qu’être humain, c’est simplement ce que demandent ces « prisonnières » du XXIe siècle. « Quand on est femme, on a besoin de se sentir propre, belle, on demande à bénéficier d’un coiffeur. En plus, il se trouve que l’une des détenues est coiffeuse et qu’elle se propose d’apporter cette touche de féminité. On leur répond qu’il est impossible d’avoir un salon de coiffure ici, faute de locaux mais j’ai vu que le local réquisitionné pour le covid est disponible. »

Les membres de l'Ordre nîmois des avocats du Barreau de Nîmes qui étaient en visite à la Maison d'Arrêt de Nîmes ce matin (Photo Anthony Maurin).
Les membres de l'Ordre nîmois des avocats du Barreau de Nîmes qui étaient en visite à la Maison d'Arrêt de Nîmes ce matin (Photo Anthony Maurin). • Les membres de l'Ordre nîmois des avocats du Barreau de Nîmes qui étaient en visite à la Maison d'Arrêt de Nîmes ce matin (Photo Anthony Maurin).

Une expression a marqué Khadija Aoudia et les siens. Eux qui sont pourtant rompus à l’exercice ont été surpris par l’unanimité du propos. « Ce qu’on nous demande, nous ont dit ces femmes, c’est d’être assise, couchée et de ne pas bouger. C’est ce qui résume le mieux leur situation… » Mais le contrôle ne s’arrête pas là, cela ne suffira pas. Si le Barreau de Nîmes (comme tous les autres Barreaux) a le droit de visiter les centres de privation de liberté depuis seulement quelques mois, le Bâtonnier Khadija Aoudia est en mission : « Nous allons contrôler encore et encore, détenu par détenu, chaque centimètre carré de la maison d’arrêt. Ce travail de fond nécessitera une année, nous allons avancer grille par grille, étape par étape. » À l’image de cette phrase, « assise, couchée et pas bouger » les avocats ont entendu d’autres propos. L'avocat Jean Faustin Kamdem dénonce : « Certaines nous ont dit que leur chien était mieux traité. Même dans un chenil, ils sont sortis et baladés… »

Maison d'arrêt de Nîmes. (Photo : Baptiste Manzinali/ObjectifGard)

Arrivé à 9h, le cortège a fait ce qu’il a voulu. « Ce n’était pas une visite guidée si vous me comprenez bien... Nous sommes entrés et on a imposé notre timing et ce que nous souhaitions voir. L’administration pénitentiaire nous a bien accueillis car elle a besoin que l’accent soit mis sur ces difficultés. »

Conditions nettement améliorables

Connaître le lieu où les familles sont accueillies était une priorité. Les parties communes ont été visitées. Les avocats ont déploré la seule présence d’activités professionnelles et non de loisirs. « Si mécènes et employeurs peuvent proposer d’autres choses… »

Khadija Aoudia (Photo Anthony Maurin).

Même les conditions de travail ne sont pas optimales. À raison de cinq heures par jour, le travail rapporte cinq euros de l’heure. « 25 euros par jour ? L’inflation est ce qu’elle est, la cantine aussi, elles n’ont pas suffisamment de moyens pour cantiner correctement car ici, on peut majorer de 20 à 30 % le prix des denrées achetées par les détenues… Conséquence ? Certaines sont anémiées ou ne savent à peine ce qu’est la viande. »

Odeurs nauséabondes, saleté, humidité, manque d’aération et de luminosité… « Pour autant, les femmes sont extrêmement propres ! Les sols sont lavés mais vous aurez beau nettoyer, l’humidité et l’insalubrité resteront… Je ne peux pas m’empêcher d’imaginer ces femmes à l’hygiène corporelle sans faille être dans l’obligation de vivre dans ces conditions. »

Vue de la maison d'arrêt de Nîmes (Photo d'illustration : Coralie Mollaret)

D’actuels travaux d’agrandissement seraient inaugurés l’année prochaine. Quant à la nouvelle construction d’un autre établissement du côté de Générac ? « C’est un projet qui ne voit pas le jour ! Je n’ai pas plus d’info, mais vous n’en trouverez nulle part car il n’en existe pas… »

Une cellule de 9 m2 pour trois personnes nécessite trois lits et ne permet, une fois tout le monde à l’intérieur, de n’avoir que 50 cm2 pour bouger au sol… Une fois debout, elles ne peuvent plus rien faire d’autre que de rester statiques.

La Maison d'Arrêt de Nîmes (Photo Anthony Maurin).

Au fil des discussions, détenues et avocats se comprennent. « Un rapport de confiance a été instauré, elles se sont libérées et étaient heureuses d’avoir un espace d’écoute sans jugement. Ce qui leur manque c’est un regard sans jugement et avec du respect. Elles rappellent qu’elles ne sont pas des animaux. Un regard, une écoute, c’est pas grand-chose, ça ne coûte rien, on ne s’appauvrit pas, mieux, ça enrichit ! »

Urine et excréments, le gros lot

« Quand on recueille les témoignages de ces femmes prévenues, ça vous fait froid dans le dos. » Ce qui leur fait le plus mal dans leur détention ? « Matériellement on connaît l’insalubrité. Dans le cadre de la journée internationale des droits de la femme, je me demandais si les femmes détenues voyaient leurs droits respectés. Ce n’est pas le cas ! » Autre point d’inquiétude pour Khadija Aoudia, la douche. Si contrairement aux hommes, les femmes ont l'avantage d’avoir des douches, ce petit bonus est vite minoré par les conditions annexes. « Comme toujours cela devait être provisoire mais le provisoire génère toujours des défectuosités avec des fuites d’eau récurrentes. La semaine dernière, une fuite des toilettes faisait remonter urine et excréments. Comme les vêtements, par manque de place, étaient stockés sous les lits, ils ont été imbibés… Lorsque les trois détenues se sont insurgées, aucun effet. On les a même laissées dormir dans cet endroit sans aération possible car défectueuse… »

 (Photo Anthony Maurin).

Les droits les plus simples sont bafoués. Elles ont droit à 1h30 de sortie par demi-journée. « Lorsqu’elles sont en promenade et qu’elles veulent aller aux toilettes, elles ne pourront plus ressortir. Idem si elles sont indisposées. Soit une détenue reste dans son slip souillé soit, si elle décide d’aller se changer, elle n’a plus le droit de sortir. »

430 détenus pour 85 surveillants effectifs. Ne tenons pas compte des arrêts maladie et du reste comme dans toutes les sociétés mais rendez-vous compte du rapport. Ce qu’a pu constater l’Ordre et le Bâtonnier c’est qu’en période Covid, l’établissement a tenu le choc mais qu’il connaît aujourd’hui un contrecoup. Le personnel pénitentiaire, fortement mobilisé jusqu’alors, s’est fatigué. Les conditions de travail se sont ainsi aggravées du fait de la surpopulation de la maison d’arrêt. « Cela génère des tensions, des troubles psychologiques, des dépressions et des décompensations. Ce sont des femmes et des hommes… Ils réalisent un travail exceptionnel, ils n’ignorent pas les conditions des détenus, ni leurs conditions de travail. Mais cela ne leur empêche pas de dire bonjour. »

Anthony Maurin

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