FAIT DU JOUR « C’est de pire en pire » : les députés de plus en plus souvent menacés
« Assez régulièrement, on se dit que ça va mal finir », souffle un député gardois encore marqué par l’agression, la semaine dernière devant son domicile, du député de Saint-Pierre-et-Miquelon, Stéphane Claireaux, la dernière en date d’une liste qui s’allonge.
Fin décembre, le député de l’Oise, Pascal Bois, avait vu sa voiture incendiée et sa maison taguée. Le 14 juillet dernier, la députée de l’Hérault, Patricia Mirallès, recevait une lettre la sommant de "bien voter" le projet de loi sur le pass sanitaire auquel cas elle recevrait de vraies balles... Depuis le 1er janvier, 28 députés ont reçu des menaces de mort, selon les chiffres donnés par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, mardi dernier sur RTL. Signe d’un climat qui se tend, notamment autour du débat parlementaire sur le pass vaccinal.
« Il y a une hausse depuis le pass vaccinal », confirme le député LREM de la 3e circonscription du Gard Anthony Cellier. Le Bagnolais, volontairement discret sur le sujet par crainte de « remettre un franc dans la machine », admet toutefois que des mails de menaces, il en a reçu « pas mal. » Autant d’invectives qui finissent à la corbeille.
« Là on a gagné un cran supplémentaire »
Son collègue MoDem de la 6e circonscription, Philippe Berta, qui a notamment ferraillé publiquement face au professeur Didier Raoult, note que « sur les quinze jours qui ont précédé le vote en première lecture du pass vaccinal, j’ai reçu plus de 1 800 mails identiques. » Quant aux menaces de mort, le député en a reçu trois, dont une menace de décapitation en décembre dernier. « Là on a gagné un cran supplémentaire, ça prouve comment la rationalité est en train de quitter un grand nombre d’entre nous dans ce pays », souffle-t-il.
Des menaces de mort, la députée LREM de la 4e circonscription Annie Chapelier en a reçu aussi, là encore sous des flots de mails copiés-collés, et affirme que « c’est de pire en pire » depuis le pass vaccinal. « Lorsque ce sont des menaces de mort je les fais suivre, le parquet mène l’enquête et il y a eu un cas où la personne a été identifiée et interpellée l’année dernière », affirme-t-elle, confirmant que bien que virtuelle, une menace de mort n’en est pas moins un délit. Philippe Berta l’avoue, pour sa part il a « porté plainte la première fois, mais après je ne l’ai plus fait, ça prend une après-midi à chaque fois et je n’ai pas le temps. »
D’autres députés, comme celle de la 5e circonscription, Catherine Daufès-Roux (LREM), n’ont pas reçu de menaces. Nouvelle dans un hémicycle qu’elle a rejoint l’été dernier en remplacement d’Olivier Gaillard, elle explique avoir « simplement reçu des mails d’anti-vaccins et d’anti-pass, auxquels je réponds quand ils sont signés et viennent de gens de la circonscription ou du département. » Sur un autre territoire et un autre bord politique, le député RN de la 2e circonscription, Nicolas Meizonnet, affirme n’avoir pas été menacé lui non plus.
« Un climat entretenu par certains »
Pour autant, le député trouve les menaces dont sont la cible certains de ses collègues, surtout de la majorité, « inacceptables. » « On voit qu’il y a une situation dans le pays assez préoccupante, reprend l’élu du Rassemblement national. Les Français traversent des moments difficiles. J’ai l’impression que les propos récents du président Macron sont de nature à exacerber les tensions. Il a un comportement de pyromane. » Sur ce point, Annie Chapelier le rejoint : « Ces propos ont été une gifle pour les anti-vaccins qui les a encore plus stimulés pour s’en prendre à ceux qu’ils estiment responsables, les députés. Ces propos ont exposé les parlementaires. »
Anthony Cellier est quant à lui plus mesuré. « Dire qu’Emmanuel Macron a jeté de l’huile sur le feu, c’est cautionner quelque part le mode d’expression de cette colère », analyse le député de la 3e circonscription, avant de rappeler que « c’est une minorité qui fait ça, tous les anti-vaccins et anti-pass ne sont pas comme ça, loin de là et heureusement. » Il est vrai que les députés n’ont pas attendu le pass vaccinal et les propos d’Emmanuel Macron pour être ciblés par des menaces. Ainsi, dès 2018, des Gilets jaunes avaient déposé un cercueil devant la permanence d’Olivier Gaillard, alors député de la 5e circonscription. Cercueil muni d’une croix et d’une plaque sur laquelle figuraient les noms « Macron - Gaillard »…
Les raisons sont plus à chercher dans « un climat entretenu par certains », estime Philippe Berta. « Le débat politique aujourd’hui n’est plus raisonnable du tout, on n’est que dans l’invective, ce qui a pour effet de décourager une partie sensée de la population », poursuit l’élu, scientifique dans le civil. « On vit dans une société où la menace apparaît facile, estime Catherine Daufès-Roux. Les menaces touchent aussi d’autres élus, comme les maires, et d’autres professions, comme les professeurs. »
« C’est une période inquiétante »
« Ce qui est inquiétant, c’est que la fonction d’élu n’a plus le respect qu’elle avait autrefois et qu’elle devrait avoir dans une démocratie saine et sereine, tranche Annie Chapelier. L’élu est devenu un bouc émissaire d’une minorité de personnes qui ne comprennent rien et pensent qu’on est responsables de tout. » Et la parlementaire d’estimer que « derrière cette haine, il y a énormément de bêtise » et « des gens qui ont besoin de cogner sur quelqu’un, haïr quelqu’un au lieu de chercher à faire société, c’est ce qui m’atterre le plus. »
« Nous sommes devenus l’incarnation d’un système contre lequel certains ont un profond rejet », estime Anthony Cellier, qui relève que nous sommes dans une époque où « on met une claque à un président de la République. » « C’est une période inquiétante, que je ne regarde pas avec beaucoup de sérénité, je suis inquiet sur le sens que prend notre démocratie », reprend le député de la 3e circonscription.
Au sein de ce tableau, Philippe Berta pose la question du rôle des médias. « Les chaînes d’information en continu, il faut se poser la question de ce qu’elles font », peste-t-il, non sans réserver un tacle à la presse écrite. « Était-il vraiment prioritaire d’aller publier le nom des députés et leur vote sur le pass vaccinal, alors que nous n’en étions qu’à la première lecture, dans un contexte où des députés sont menacés ? Si l’un d’entre nous avait eu la gorge tranchée, les journalistes auraient eu une responsabilité », s’emporte-t-il.
Une surveillance renforcée
« Tout ça créé un climat, et derrière vous avez votre famille », poursuit le député de la 6e circonscription. D’ailleurs, les députés font l’objet d’une surveillance renforcée, surtout depuis les derniers faits. « J’ai été contacté par la gendarmerie qui m’a demandé mes coordonnées pour passer de temps en temps à mon domicile et ma permanence », explique Nicolas Meizonnet, qui a décliné. « Nos maisons sont surveillées, nous avons des points fréquents avec les renseignements territoriaux et les forces de police, ce n’est pas normal dans une démocratie qui fonctionne », souligne Anthony Cellier.
« Ça fonctionne mal, il est urgent de revoir notre modèle constitutionnel, estime Annie Chapelier. Mais en attendant, ces personnes qui menacent, au lieu de participer pour apporter un changement, prennent le chemin le plus stupide, taper sur quelqu’un d’impuissant. » Tous appellent à s’exprimer lors des scrutins, car comme le rappelle Catherine Daufès-Roux, « en démocratie, le mécontentement s’exprime dans les urnes. »
Thierry Allard (avec Boris Boutet)