NÎMES EN FERIA Brindis de Rudy Ricciotti : Paroles d'homme debout
Devenu traditionnel, le Brindis organisé par l'association les Avocats du diable en collaboration avec la ville de Nîmes est un l'hommage solennel à la ville d'une personnalité. Cette année c'est Rudy Ricciotti qui s'est adonné à l'exercice.
Cet architecte connu pour sa fougue, sa folie créatrice et son talent a fait la démonstration qu'il pouvait être un orateur plein d'un humour grinçant, provocateur et vrai. Il est celui qui ose mais pas seulement dans les perspectives qu'il dessine. Début humble, il déclare qu'il ne fera pas une "performance" mais une "contrition" et que comme on l'accuse souvent d'être "impoli et discourtois", il fera des "efforts".
Puis il remercie les partenaires de l'opération. Ça commence de manière classique pour mieux s'envoler très vite dans un délire contrôlé où toutes les folies sont pensées et brillantes. Il remerciera entre autre, Bouygues, Orange, Total et assure que Macron aime la corrida… Voilà pour le tacle politique. Et ça continue avec les anti-corrida du bout du monde, les "Vegans Norvégiens", et même les "héritiers de Dracula, dont nous sommes puisque nous avons le goût du sang".
À travers de ses métaphores insolites, de ses envolées provocantes, Rudy Ricciotti s'en prend à ces mouvements qui entravent la liberté de ceux qui vont aux arènes. Il le fait en bouillant, s'insurge contre ceux qui ont placé les animalistes devant les communistes aux élections européennes, bafouant selon lui les valeurs mêmes de la République.
" Nous vivons, l'inquisition, une chasse aux sorcières comme au temps de Mac Arthur". Si le propos parait dur, Ricciotti ne manque pas de le comparer à celui des anti-corridas dont la violence est extrême : " Ils parlent d'Holocauste ! Vous vous rendez compte ! Les bornes sont dépassées !"
Et de raconter son enfance à Saint-Louis-du-Rhône, du temps des mobylettes sans casque, lorsqu'il achetait des cigares, piquait une veste à son père et fumait debout en regardant les courses d'Arles. "Je ne comprenais rien", avoue l'architecte devant un parterre d'aficionados et il clôturera son propos en réaffirmant son incompréhension "après tant d'années".
"Mais cette peur, cette anxiété m'a fait prendre la mesure de la difficulté existentielle et a façonné des pans entier de ma vision d'architecte". Olé ! Quel bel hommage que celui de cet homme qui fait passer les tripes, l'émotion, la peur nécessaire, avant les figures de style. "On a le droit de pleurer aux arènes", clame Rudy Ricciotti. Et ce droit, il veut le conserver.
Il évoquera aussi "l'onirisme cinématographique de la corrida", sa peur viscérale des toros dont il ne peut pas croiser le regard sans voir la mort, l'érotisme de la pierre des arènes et de la robe sombre du toro confondues…
Poésie, provocation et émotion se mêlent, s'entrelacent, emportent un auditoire qui rit, se tait, applaudit parfois. Morante est Gladiator, le Maximus de légende, dont il a la "stature, la tendresse et la félonie". Rudy Ricciotti, pleure au paseo parce qu'il est vivant, parce qu'il ressent au fond de son âme le "drame métaphysique qui se joue sur le sable."
"La sagesse sent la mort", dit-il. Et de plaindre ceux dont devenir sage est le but ultime. Mais lorsqu'il conclut en évoquant les ordinateurs des fabricants de béton qui calculent en simultané 45 millions de données pour ajouter "nous sommes dans le monde de Matrix et nous avons besoin de cet archaïsme qu'est la corrida pour rester des hommes", cette fois la sagesse n'est pas loin.
Ovation et accolade à son ami Simon Casas, qu'il ne manque pas de remercier (sans ironie cette fois). Et la foule se disperse plus riche qu'à son entrée au Cloître des jésuites.
Véronique Palomar Camplan