SAINT-QUENTIN-LA-POTERIE L’énigmatique bourg médiéval a besoin de mécènes pour livrer ses secrets
« Si on m’avait dit qu’à un kilomètre et demi au nord du village se trouvait un autre bourg, je ne l’aurais pas cru », lance le maire de Saint-Quentin-la-Poterie, Yvon Bonzi, en préambule d’une réunion publique organisée par l’association l’Uzège jeudi soir.
C’est que ce fameux bourg, abandonné depuis des siècles et des siècles, a laissé place à de la garrigue. C’est un enfant du pays, l’archéologue Samuel Longepierre, qui l’a découvert « un peu par hasard en 2004 », explique-t-il. Il était alors en pleine thèse d’archéologie à Aix. Le jeune archéologue, qui conduisait la réunion publique, est convaincu à l’époque qu’il a mis le doigt sur quelque chose.
Il ne se passe rien entre 2004 et 2018, date à laquelle la Direction régionale des affaires culturelles autorise une fouille probatoire pour définir le potentiel du site. « Et les résultats ont été exceptionnels, ils ont mis en évidence qu’il ne s’agissait pas d’un village, mais qu’avec 3 hectares c’était bien plus qu’un village, on avait affaire à un véritable bourg, une petite ville », affirme l’archéologue.
Une petite ville probablement fondée à la charnière des XIe et XIIe siècles, et sans doute abandonnée à celle des XIIIe et XIVe, dont il ne reste qu’une « série de blocs et de murs, avec un mur d’enceinte, peut-être une fortification autour d’un ensemble de maisons », détaille Samuel Longepierre. L’intérêt de ce bourg, c’est qu’il est « typique des ‘villeneuves’ médiévales », comparable à ce qu’on considérerait aujourd’hui comme un « lotissement concerté », mais aussi et surtout aux villes médiévales de Saint-Affrique (Aveyron) ou, plus près, de Bagnols, dont les superficies sont voisines.
Seulement, en France, il n’existe pas de ville médiévale abandonnée. « Je n’en ai pas trouvé, elles ont toutes donné lieu à des hameaux, des villages ou des villes qui ne permettent plus de les investir de manière archéologique », avance l’archéologue, qui a dû aller jusqu’en Estrémadure, en Espagne, pour trouver un cas comparable. Donc ce bourg uzégeois, appelé Massargues ou Quarton Raimondis, « présente un plan d’urbanisme inédit à l’échelle des connaissances médiévales dans le sud de la France », affirme-t-il. Tout sauf une broutille.
Des fouilles nécessaires
Reste que ce bourg de Massargues pose pour l’heure plus de questions qu’il n’en résout. Bâti à l’époque de la domination du comté de Toulouse, il se situait, selon l’hypothèse de l’archéologue, « sur l’axe qui relie les Cévennes à la vallée du Rhône » et son port de l’Ardoise, déjà haut lieu économique à l’époque. Si cet axe a disparu aujourd’hui, Samuel Longepierre estime que la tendance des châteaux à s’agglomérer autour de lui est un indice probant.
Le bourg aurait donc été créé par vocation économique, et aurait composé un des quartons, comprenez un des quatre quartiers de la ville d’Uzès. L’hypothèse retenue par l’archéologue est que les trois autres quartons étaient le village de Saint-Quentin-la-Poterie, et deux parties d’Uzès, la Condamine à l’ouest et la ville à l’est. Dans cette organisation, Massargues était « un pôle très important », avance-t-il.
Il regroupait « une forme de bourgeoisie, des artisans, banquiers, médecins, notaires », estime le chercheur, avant de préciser qu’il faudrait des fouilles pour prouver cette assertion. Reste une question, certainement la plus mystérieuse : pourquoi Massargues a-t-il été abandonné ? « Il s’agit d’une disparition soudaine, vers la charnière entre le XIIIe et le XIVe siècle, car au XIVe siècle, il n’en est plus question dans les textes », pose-t-il.
Comment l’expliquer ? La fin du comté de Toulouse après la croisade des Albigeois, avec une reprise en main du territoire par le roi, peut avoir joué un rôle. « Les communautés ont conduit dans certaines villes à l’émergence d’une gouvernance communale, les habitants de Massargues auraient pu avoir une aspiration à revendiquer des droits, ce qui a pu ne pas plaire au roi et à sa politique centralisatrice », avance Samuel Longepierre.
Il se reprend toutefois : « Ce n’est qu’une hypothèse. Le but maintenant est d’enquêter pour savoir ce qui s’est réellement passé à Massargues. » Pour ce faire, l’association l’Uzège se mobilise pour lever des fonds. Car si le Service régional de l’archéologie a autorisé des fouilles programmées sur le site de Massargues, ces fouilles ne sont que très peu financées par les instances publiques. « Nous aurons vingt fouilleurs encadrés par trois archéologues confirmés », précise Henry de Cazotte, président de l’association l’Uzège. L’association veut faire de Massargues « un exemple, un chantier école » qui permettra de mettre au jour les racines historiques du territoire. Il faudra au moins une campagne de six ans de fouilles d’été pour y parvenir.
Et si le projet de l’association est encouragé par les villes d’Uzès, de Vallabrix et de Saint-Quentin-la-Poterie, que des financements ont été demandés à la Région et à la DRAC, il lui faut des soutiens privés. Le duc d’Uzès Jacques de Crussol s’est donc engagé en présidant le comité de soutien monté par l’association l’Uzège.
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Thierry ALLARD