ASSISES Assassinat de Jonquières : la version de l'accusé contredite par les experts
Ce n’est qu’au troisième jour de ce procès d’assises que Youssef El Madany et son complice présumé, Nohame Jarnouj, seront véritablement interrogés sur les faits. Le premier est accusé d’avoir mortellement tiré sur le jeune Ismaël, abattu d’une balle dans la tête dans la nuit du 21 au 22 mai 2018, à Jonquières-Saint-Vincent. Mais depuis le début des débats, la version de l’accusé, selon laquelle il aurait tiré en riposte à des tirs lors d’un guet-apens organisé par les frères de la victime, a été mise à mal par les mensonges et les omissions des propres frères de Youssef et le témoignage accablant de son ex-compagne.
11h15 : L’expert balistique a aussi assisté à l’autopsie. « Le projectile de 8 mm est entré dans le crâne par la nuque, vers l’avant et de manière légèrement ascendante. Il n’a pas été tiré à bout portant, ajoute Alain Artuso. Ce projectile a été comparé à un autre récupéré sur une voiture garée et à un troisième retrouvé dans la rue, et il est probable qu’ils aient tous été tirés par le même canon, même si le dernier étui était très abîmé. » L’expert a également participé à la reconstitution sur les lieux du crime. « En arrivant, l’accusé indique avoir vu l’un des frères accroupi et muni d’une arme, puis une détonation et une douleur à l’aine, avant de brandir son arme et de faire feu au sol, rappelle-t-il. Mais le seul projectile qui a touché le sol, en l’occurrence un mur, est le troisième que nous avons retrouvé dans la partie sud de la rue de l’Avenir. Mais en aucun cas celui du tir mortel. »
Le président rappelle que les frères d’Ismaël ont vu l’accusé arriver « en sous-marin » puis tirer tranquillement dans le dos de la victime, alors que ce dernier affirme avoir riposté à des tirs dirigés contre lui, à blanc, ou à grenaille. « À blanc, il ne peut y avoir de projectile et avec des tirs de grenailles, on n’a pas une seule plaie, mais plusieurs, réfute Alain Artuso. Le tireur était nécessairement dans le dos de sa victime. Et comme la trajectoire était ascendante, il est possible qu’il ait été touché alors qu’il courrait, penché vers l’avant, ou après avoir chuté au sol... »
La famille de la victime sort de la salle, alors que des photographies du corps d’Ismaël sont diffusées dans la salle d’audience. En plus de l’orifice fatal visible sur la nuque, une deuxième plaie, sur l’épaule droite, pourrait avoir été causée par un autre tir, selon l’expert.
« Le tir est entré à l’arrière droit du crâne »
10h30 : Touché d’une balle vers 23h30, Ismaël est décédé vers 2h20 à l’hôpital. Le médecin-légiste Mounir Benslima a examiné le corps de la victime, lors de son autopsie. Il recense une plaie au front de trois centimètres ainsi que divers hématomes et dermabrasions à la main ou au poignet. « Dans le dos, nous avons décelé l’orifice d’entrée d’un projectile que l’on a ensuite retrouvé dans la boite crânienne et causant une hémorragie importante qui a entraîné le décès, rappelle l’expert. Le tir est entré à l’arrière droit du crâne, avec une trajectoire montante, de la droite vers la gauche. »
Le président interroge le médecin à propos des déclarations de l’accusé selon lesquelles il aurait été blessé par un coup de feu sans que le médecin ne le note. « Bien sûr que non. Le médecin l’aurait indiqué et aurait prescrit une radio, rappelle Mounir Benslima. De même, il est peu probable qu’il ait tiré au sol et que le projectile ait ricoché car dans ce cas, la balle aurait été déformée par l’impact… »
10h : Au tour de Youssef d’être interrogé par le président Éric Emmanuelidis. « J’avais acheté cette arme parce que j’avais peur, j’étais suivi la nuit », explique d’abord l’accusé, pull et pantalon sombre, les bras croisés dans le dos. Le juge revient sur le déroulé des faits en plaçant Youssef El Madany face à ses contradictions à propos du fait qu’il aurait été blessé ou que son adversaire était armé.« Vous vous être précipité vers un homme non armé pour lui tirer dessus », décrit Eric Emmanuelidis. Mais l’accusé conteste toujours cette scène. « Je n’ai pas couru et je n’ai jamais tiré le premier. J’étais venu discuter. C’est allé trop vite ! »
« Je regrette de ne pas les avoir tous terminé… »
Le président contredit l’accusé à son tour. « Même vous, vous ne dîtes jamais que vous essayez de parler, lui oppose-t-il. Vous avez pris une correction à 17 heures, puis votre voiture a été cabossée et alors que vous voyez un geste que vous interprétez comme de la provocation… » Youssef commence à s’emporter. « Ils avaient pris mes clefs, puis ils m’attendaient alignés avec des battes après avoir déposé une main courante à la gendarmerie ! Je les connais, on a grandi ensemble ! », s’élève-t-il en se tournant vers les frères de la victime, dans la salle d’audience. Le juge revient à la scène des tirs. « Mais quel intérêt pour quelqu’un qui a une arme à blanc de tirer sur quelqu’un qui a une vraie arme ?!, coupe le président. C’est comme envoyer des graviers… » Youssef secoue la tête. « C’est Mohamed, le frère d’Isamël qui tire d’abord 4 ou 5 coups de feu, à une vingtaine de mètres de moi. Mais au bout du troisième tir, j’ai compris que c’étaient des tirs à blancs », maintient-il, ne démordant pas de sa version.
Le juge lit des conversations téléphoniques entre l’accusé et son ex, dans lesquelles il tente d’obtenir le retrait de la plainte des frères de la victime. Puis, au téléphone avec sa mère, cette fois, il répète ses menaces. « Si je pouvais couper la tête de son père, de son frère, ou écraser la tête du nourrisson, je le ferai ! ». Sa mère tente alors de le calmer. « Fais du sport et Dieu est grand… » Mais Youssef ne se calme pas. « S’il y avait pas Dieu, j’ai aurai déjà tué un autre. Je regrette de ne pas les avoir tous terminé… » Youssef s’offusque de cette lecture. « On retient que le mal que j’ai fait ! J’ai reconnu un enfant qui n’était pas le mien. C’est horrible de me faire passer pour un monstre !, proteste-t-il. J’étais en deuil, j’avais perdu pied depuis la perte de mon petit frère, retrouvé mort dans un coffre. Mais eux, ils le savent bien et ils reviennent à la charge, deux ou trois fois. Je n’étais pas moi-même. »
9h15 : Nohame Jarnouj est le premier à s’exprimer. Juste après l’altercation fatale, il s’est senti utilisé. « Pourquoi tu m’entraînes dans une histoire comme ça, on devait s’expliquer et toi tu m’entraînes dans une ruelle devant cette famille qui est chez elle ! », s’en prend-il à son ami. Ensuite, c’est le frère de Youssef, Farid, qui lui demande de prendre Youssef avec lui quelques jours à Montpellier le temps que ça se tasse. Les deux fuyards y passent alors deux nuits, dans un petit hôtel de périphérie. « Quand j’ai su que la victime était morte, je n’avais plus qu’un but, qu’il se rende à la police, confie calmement Nohame à la barre, ce lundi 19 septembre. Je ne voulais plus rien avoir affaire avec lui. Il m’a dit qu’il allait le faire, mais qu’il lui fallait juste un peu de temps… Avec le recul je pense avoir été piégé car tout ne m’a pas été dit. Sinon, je n’y serai jamais allé. »
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Pierre Havez