CULTURE Festival du dessin : divines estampes japonaises

Lucie et les estampes
- Photo Yannick PonsJusqu'au 11 mai, la troisième édition du Festival du dessin présente au cœur de la ville d'Arles, une sélection d’artistes et d'œuvres d’une richesse et d’une diversité remarquables. Coup de cœur assuré pour les estampes japonaises au musée Réattu !
À travers des rues d’Arles, Frédéric Pajak, le directeur du Festival, a semé un parcours foisonnant, presque vertigineux. Le rendez-vous annuel arlésien initié par le romancier-dessinateur prend de l’ampleur et présente cette année 41 expositions au sein de douze lieux choisis, disséminées dans les rues d'Arles. Chaque année, l’événement attire de plus en plus de visiteurs : 66 000 en 2023, 140 000 en 2024, et combien en 2025 ?
Maîtres japonais
De l’illustrateur belge Jean-Michel Folon aux dessins de Jean Moulin, en passant par ces estampes japonaises absolument exquises, le Festival du dessin offre une sélection exceptionnelle d'œuvres d'une grande diversité.
La Bibliothèque nationale de France (BNF) s’est installée au musée Réattu par l’entremise de son commissaire Alexandre Devaux qui propose deux expositions portées par des œuvres issues des collections exceptionnelles du département des Estampes et de la photographie. L’ancien Grand-Prieuré de l'Ordre de Malte accueille ainsi les maîtres de l’estampe japonaise, comme Hiroshige ou Hokusai… et une autre consacrée à Henri Rivière, réunissant des paysages dessinés et peints par cet artiste majeur au tournant du XXe siècle.
Parmi les 5 700 pièces répertoriées à la BNF, seules des estampes sous forme de feuilles ont été sélectionnées. Alexandre Devaux propose ainsi les plus grands maîtres et les sujets les plus traditionnels, en cherchant une variété dans les registres : animaux, acteurs, portraits de personnalités, scènes d'intérieur.
Pas d'estampes érotiques afin de permettre aux enfants de profiter de l’exposition. Ukiyo-e, image d’un monde flottant, éphémère. C’est sous cette appellation qu’apparaît, à la fin du XVIIe siècle, l’estampe japonaise. Le monde du temps qui passe, celui des plaisirs de la société d’Edo ( désormais Tokyo), est le thème essentiel de cet art de l’estampe.
Conception artisanale
Le dessin original est collé sur du bois de cerisier, un graveur découpe la forme du trait à l’aide d’un ciseau. Ensuite, chaque couleur est appliquée sur les parties en relief d'une planche en bois, puis transférée, une par une, sur du papier par pression. Fruits d’une étroite collaboration entre le dessinateur, le graveur, l’imprimeur et l’éditeur, elles rappellent qu’il s’agit, sinon d’un art collectif, du moins d’une chaîne solidaire de sensibilités et de savoir-faire. Plusieurs dizaines de copies peuvent être ainsi fabriquées, mais toutes sont légèrement différentes puisqu’elles dépendent des couleurs, de la force d’application et de la façon du brossage.
Sornettes d'Hokusai
Ces dessins sont devenus emblématiques au Japon et en Europe, et l’influence sur les artistes occidentaux, comme justement Henri Rivière, a été considérable. De nombreux artistes majeurs comme Picasso ou Vincent Van-Gogh ont utilisé le procédé utilisé par les maîtres japonais.
Au musée Réattu l’amateur pourra admirer deux dessins originaux d’Hiroshige qui ne sont donc jamais devenus estampes. Un peu plus loin, trois figures du théâtre Kabuki exposées en ligne sont signées par un certain Sharaku. La carrière de ce Sharaku n'a duré en tout que dix mois, du milieu de l'année 1794 jusqu'au début de 1795. Une vie artistique aussi brève et fulgurante qu'elle a bien entendu donné lieu à un questionnement inhérent à l'apparition brutale de ce talent dans toute sa maturité.
Le nom Sharaku viendrait de sharakusai (sornettes), et pourrait être le fruit d’une plaisanterie cachée d’un groupement d’artistes. Mais il faut savoir que ces dates correspondent à la période pendant laquelle Hokusai disparait du monde artistique (entre 1792 et 1796). Il est donc fort probable que ce soit lui, dans un style différent, moins coloré, utilisant des modèles différents, sans le bleu de la vague… Le troisième portrait utilise la technique de broyage de coquillage, le mica, qui donne un effet brillant à la peinture.
Effets de couleur
Dans les années 1730, l’ajout d’un noir brillant, obtenu par un mélange de colle de poisson (nikawa) et d’encre, soulignait certains détails de l’estampe par un aspect laqué (urushi-e). Au bois de trait noir s’ajoutèrent ensuite deux bois de couleur, l’un rose et l’autre vert. Masanobu expérimenta ces impressions en couleurs dans les années 1740 (benizuri-e). D’autres couleurs furent expérimentées progressivement, mais d’une manière franche, sans nuances.
Effets de style
Harunobu donna une impulsion décisive au développement de l’estampe polychrome aux valeurs subtiles, l’ « estampe de brocart » (nishiki-e), vers 1764-1765. Stimulés et financés par des amateurs, des clubs d’esthètes qui souhaitaient des estampes très raffinées et très luxueuses, afin d'accompagner la publication de leurs poèmes, les artistes – tel Harunobu – et les imprimeurs élargirent considérablement leur savoir. Ils multiplient les effets de couleurs, de gaufrage, de saupoudrage de métal ou de Mica notamment sur des cartes de circonstances, les surimono. (Archives BNF).
Les fonds micacés, très coûteux et difficiles à réussir, exigeaient deux manipulations. La couleur du fond, gris, rose pâle ou ivoire, était imprimée, puis la feuille était séchée et appliquée sur un bloc couvert de colle. Avant que cette colle ne sèche, le mica, broyé, saupoudré sur la feuille, pouvait se fixer et donner un effet vernis plein ou sélectif.
Les couleurs étaient à base de pigments d’origine végétale ou minérale. Le bleu de Prusse apparaît seulement au XIXe siècle, importé de Hollande ; il sera abondamment utilisé, singulièrement pour les paysages et les vagues d'Hokusai.
Le gaufrage en relief (karazuri), délicat à obtenir, était gravé en creux sur certains éléments de l’estampe. Pour qu’il apparaisse sur le papier, on appliquait sur le bois la feuille de papier humide, et on modelait les creux avec les doigts. Edmond de Goncourt nous livre un des secrets de cette opération : « Georges Hugo me confiait que Hayashi lui avait donné une leçon sur le gaufrage des impressions japonaises et que cela se faisait, ainsi qu’il l’avait fait devant lui, par la rotation du coude d’un bras nu sur une feuille de papier mouillée. »
Les estampes japonaises, apparues au XVIIᵉ siècle, importées du Japon en quantité, ont été « découvertes » au cours du XIXᵉ siècle par un grand nombre de collectionneurs, artistes, critiques d’art, marchands occidentaux, conservateurs des collections publiques.
Délestées de leur carcan religieux, ces « images de quatre sous » qu’étaient les estampes ont choisi de capter la réalité, de la graver et de la colorer avec intensité. En cela, elles annoncent déjà la photographie.
Artistes exposés : Utagawa Hiroshige, Katsushika Hokusai, Torii Kiyomasu, Torii Kiyonaga, Suzuki Harunobu, Isoda Koryūsai, Kitagawa Utamaro, Tōshūsai Sharaku, Eishōsai Chōki, Utagawa Toyoharu, Utagawa Toyokuni.
L'ukiyo-e.
« Vivre uniquement le moment présent, se livrer tout entier à la contemplation de la lune, de la neige, de la fleur de cerisier et de la feuille d’érable… ne pas se laisser abattre par la pauvreté… mais dériver comme une calebasse sur la rivière, c’est ce qui s’appelle ukiyo. » À cette définition du terme ukiyo, par l’écrivain Asai Ryôi (1612-1691), il a suffi d’ajouter le mot image, « e » en japonais, pour désigner ce nouvel art apparu durant l’époque d’Edo, qui bouleversa la conception de l’espace et du modelé, celui de l’estampe japonaise. (Archives BNF).