Publié il y a 1 jour - Mise à jour le 07.01.2025 - Coralie Mollaret, Abdel Samari et Corentin Corger - 8 min  - vu 1052 fois

FAIT DU JOUR Attentat de Charlie Hebdo : 10 ans après... ils se souviennent

L'hommage des Nîmois aux victimes de Charlie Hebdo en janvier 2015

- Photo Objectif Gard

Jean-Jacques Bourdin, Hugues Bousiges, Jean-Paul Fournier, Yvan Lachaud, Julien Rebichon, Guillaume Mollaret, Jean-Christian Rey, Patrick Malavieille et le dessinateur Chairmag racontent leur souvenir de ce jour tragique. 

Il y a dix ans jour pour jour, la France était meurtrie. Ce 7 janvier 2015, nul n’a les mots pour décrire l'horreur qui s'est déroulée, peu avant midi, au siège de l'hebdomadaire satirique. Lourdement armés, deux assaillants se sont introduits dans la rédaction de Charlie Hebdo avant d'abattre froidement plusieurs policiers, journalistes et dessinateurs de presse, dont les historiques : Charb, Cabu, Wolinski et Tignous. 

Après cette tuerie, plusieurs personnes ont éprouvé le besoin de se rassembler, d’échanger sur l’horreur que traversait notre pays
Après cette tuerie, plusieurs personnes ont éprouvé le besoin de se rassembler, d’échanger sur l’horreur que traversait notre pays  • Coralie Mollaret

Symbole d'une presse libre et provocatrice, le journal était devenu la cible de fanatiques religieux après la publication de caricatures du prophète Mahomet. Au total, 12 personnes perdaient la vie dans cette tuerie. Ce drame a fait ressurgir le sujet de la liberté d'expression. Des personnalités et politiques gardois, en poste en ce moment-là, ont accepté de revenir sur ce douloureux souvenir et de nous livrer leur regard sur l'évolution de la liberté d'expression. L'un des fondements de notre démocratie. Témoignages. 

Jean-Jacques Bourdin  • (Photo Anthony Maurin)

Jean-Jacques Bourdin, ancien présentateur de la matinale de RMC : "J’étais encore à la rédaction de RMC quand j’ai appris l’attentat. Évidemment, tout de suite, ça a été le branle-bas de combat. Tout le monde était mobilisé. On a arrêté tous les programmes pour lancer une émission spéciale. J’ai repris l’antenne pendant deux heures et on s’est succédé tout au long de l’après-midi et le soir. Le souvenir, c'est surtout deux jours après avec la trace des frères Kouachi retrouvée à Dammartin-en-Geöle. J’étais à l’antenne et j’avais eu en direct le patron d’une entreprise voisine de l’imprimerie où ils étaient réfugiés. Et même, je me souviens d’avoir eu une brève conversation avec Michel Catalano, l’imprimeur pris en otage ensuite par les Kouachi. On a eu des témoignages très forts et on s’était posé la question : est-ce que l’on doit arrêter cette recherche de témoignages ? Pour ne pas freiner et perturber le travail de la police, car on pensait que les deux frères écoutaient la radio. Cela m’a marqué parce que c’est le moment où le journaliste s’interroge sur l’exercice de son métier et ses limites. Malheureusement, je suis dubitatif sur les leçons retenues. Dix ans plus tard, avec le fort développement des réseaux sociaux, la parole est totalement incontrôlable. C’est bien ou pas bien ? C’est un vaste débat. Ce qu’il s’est passé il y a dix ans, permet d’avoir une parole très libre. On peut caricaturer, mais ça n’a pas freiné la poussée de l’islamisme ni les ardeurs des "idéologues" qui pourrissent les réseaux sociaux de fausses informations et de messages totalement orientés."

Hugues Bousiges ancien préfet du Gard • Photo Tony Duret

Hugues Bousiges, ancien préfet du Gard : "Je m’en souviens parfaitement. J'étais très choqué par cette atteinte à la liberté d'opinion. Et surtout, parce que cela révélait le retour du terrorisme dans notre pays. D'autant qu'il y avait parallèlement d'autres faits qui se sont produits. Notamment contre le magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes à Paris. Immédiatement, j’ai activé la protection nécessaire de la synagogue de Nîmes de mon ami, Paul Benguigui, le président de la communauté juive de Nîmes. Mais je ne vous cache pas ma préoccupation à ce moment-là face au risque de montée du terrorisme possible aussi dans le Gard."

Le maire de Nîmes, Jean-Paul Fournier
Le maire de Nîmes, Jean-Paul Fournier    • Photo Yannick Pons

Jean-Paul Fournier, maire de Nîmes : "Le 7 janvier 2015, vers 11h30, j'étais dans mon bureau à l’hôtel de ville lorsque j’ai appris cette terrible nouvelle. J’ai été stupéfait par cet évènement tragique. Ce jour restera gravé dans ma mémoire comme celui où la liberté d'expression, ce pilier fondamental de notre démocratie, a été attaquée avec une violence inouïe par l’islamisme radical. L’attentat contre Charlie Hebdo a brutalement arraché à la vie 12 femmes et hommes d’exception : des journalistes, des dessinateurs, des policiers et des citoyens. Tous portaient haut les valeurs de courage, de créativité et d’engagement. Aujourd’hui encore, nous avons le devoir impérieux de leur rendre hommage. Nous devons réaffirmer, ensemble, notre détermination inébranlable à défendre ce qui nous unit : la liberté, la laïcité et la démocratie. « Je suis Charlie » n’est pas qu’un slogan. C’est un cri universel, un serment de résistance, et la preuve que ni les idées ni la plume ne plieront jamais face à la haine. Mais cette lutte ne s’arrête pas là. Nous sommes toutes et tous les gardiens de la liberté d’expression et de la laïcité. En ce jour de commémoration, ayons également une pensée pour Samuel Paty, Dominique Bernard, et tant d’autres qui ont payé de leur vie leur attachement aux valeurs de la République. Leur mémoire est un appel, une boussole pour poursuivre ce combat avec détermination et courage."

Ce 7 janvier 2015, Yvan Lachaud était en réunion au Colisée.  • Photo Anthony Maurin

Yvan Lachaud, ancien président de Nîmes métropole et directeur de l’Institut Emmanuel d’Alzon : "Je m’en souviens très bien, j’étais à l’Agglo en réunion de préparation du budget. Quelqu’un nous a alerté et j’ai immédiatement arrêté la réunion pour mettre la télé. Dans un premier temps, on ne savait pas tout à fait ce qu’il se passait. On était dans l’expectative. J’ai eu la même réaction le jour du Bataclan. À d’Alzon, il y avait eu des hommages et des temps de réflexion. On avait beaucoup échangé avec les élèves sur le métier de journaliste et sur la liberté de la presse. C’était nécessaire. Dix ans après, je me dis qu’il faut faire passer des messages. Avant-hier, j’étais aux vœux interreligieux à Nîmes. Cela illustre la liberté d’expression dans le respect des différences. On est une démocratie, on a le droit de s’exprimer, ça ne sert à rien d’agresser les gens. Cette liberté d’expression est fondamentale pour notre pays. Et il faut protéger tous ceux qui nous permettent d’être informé."

Le maire Jean-Christian Rey prenant la parole quelques jours après l'attentat  • Photo Thierry Allard / Objectif Gard

Jean-Christian Rey, maire de Bagnols-sur-Cèze : "Je me rappelle exactement où j’étais : je mangeais à l’atomique, ça devait être un mercredi, jour de marché. J’ai rencontré un copain, qui m’a dit bonjour avec une drôle de tête. Il m’explique pourquoi… Je me suis dit que ce n’est pas possible ! Ça a été un truc foudroyant ! La mairie a organisé un rassemblement place Mallet. Rien que de vous le dire, j’ai les poils qui se dressent… C’était incroyable : beaucoup de gens sont venus, il y avait une communion, une solidarité. Ce n’était pas un beau moment, mais le fait que toutes ces personnes se déplacent pour exprimer leur douleur, c’était hyper réconfortant. Quant à la liberté d’expression aujourd’hui, je ne sais pas si c’est lié à Charlie Hebdo, mais je trouve qu’il y a une certaine autocensure. Beaucoup de gens passent leur temps à chercher la polémique dès qu’il y a une déclaration, une attitude… Ces gens se jettent sur vos paroles pour trouver un double sens, une analyse… À cause de cela, on n'ose pas dire les choses telles qu’elles sont, telles que nous les ressentons. C’est dommage."

julien rebichon
Julien Rebichon • Photo Objectif Gard

Julien Rebichon, joueur de l’USAM Nîmes Gard : "J’étais chez moi route d’Avignon, je me revois regarder les infos à la télé tout en pensant à ma fille Lola, âgée alors de deux ans. Et je me suis dit : le monde part un peu en cacahuète. Pour moi, c’est une richesse en France d’avoir plusieurs religions et cultures. Je trouve cela triste que ce ne soit pas le cas pour tout le monde. L’humour, dans ma vie de tous les jours, est quelque chose d’important. On a le droit de rire de tout. Dans notre équipe, il y a toujours eu des joueurs de différentes confessions, des croyants et non croyants. On a toujours respecté les traditions et croyances de chacun. Ça avait été facile d’en parler entre nous. Aujourd’hui, je pense qu’il faut faire attention à tout ce que l’on dit parce que l’on ne sait pas qui on a à côté de nous. Certaines paroles ou gestes peuvent être mal pris alors que parfois, c'est fait sans méchanceté. C’est compliqué désormais de faire de l’humour, on ne peut plus rire de tout, car les gens ont peur des répercussions."

Guillaume Mollaret • Photo DR

Guillaume Mollaret, journaliste et ancien président du Club de la presse du Gard : "Déjà, je suis lecteur de Charlie Hebdo. Je me trouvais en centre-ville à Nîmes et c'est Pierre Tessier de la librairie Teissier que je croise devant le tribunal de Nîmes qui m'apprend la terrible nouvelle de l’attentat. J'étais sidéré, sous le choc. Et puis, je reçois rapidement des appels de plusieurs personnes pour me demander si le Club de la presse va prendre une initiative. Avec Julien Domenech, président à l’époque, on décide rapidement de se retrouver tous devant les arènes. Pour revenir à notre métier de journaliste, il faut faire attention à un truc, l'autocensure. Et je pense que dans notre pays, ce risque est peut-être encore plus important du fait de l’attentat qui a touché Charlie Hebdo. Pourtant, le dessin de presse nous amène à réfléchir autrement. C'est une forme d'expression que je trouve très intéressante et qui malheureusement est supprimée dans de nombreux journaux. Enfin, au-delà de notre métier de journaliste qui est un métier de passeur, je trouve qu'il y a un autre métier qui est en danger, c’est celui de l'enseignant. Difficile de ne pas évoquer les assassinats de deux professeurs ces dernières années en France. Il ne faudrait pas qu'il y ait une défaite culturelle dans la transmission du savoir…". 

Patrick Malavieille • Photo Objectif Gard

Patrick Malavieille, ancien maire de la Grand'Combe : "Le 7 janvier étant un mercredi, je me trouvais en mairie de La Grand'Combe, pour ma permanence hebdomadaire. Très vite informé par la radio, j'avais réuni les agents et les élus présents autour de moi, pour partager ce moment de douleur et d'effroi. Très vite et sans attendre les consignes nationales, nous prévoyons un hommage sur le parvis de la mairie pour le lendemain matin. Je me revois en pleurs, mettre le drapeau en berne avec le crêpe noir. Dix ans après, il me semble que la liberté d'expression a reculé, soit par une auto-censure, soit par une montée des intolérances. C'est un enjeu majeur pour les années qui viennent." 

Jean Denat, président du Conseil départemental à l'époque : "Je me souviens de la sidération face à ce carnage qui frappait la République sur notre sol, en s’attaquant à l’une de ses valeurs, la liberté de la presse, et donc la Liberté. C’est avec une immense émotion que j'avais appelé et participé à un rassemblement le soir même, aux arènes de Nîmes, avec le club de la presse du Gard puis, aux grandes marches du dimanche. L'heure était à l'unité nationale. Mon message était clair : identifier les auteurs de cette attaque terroriste, les pouchasser et les réprimer sévèrement. Ne faire aucun amalgame qui fragiliserait la cohésion sociale. L'une comme l'autre, Liberté d'expression et cohésion sociale ont depuis été mises à mal au-delà des épreuves vécues par opportunisme et intérêts politiciens. Il nous faut retrouver des médias libres pour réellement faire exister notre démocratie, ainsi que des politiques responsables pour favoriser la cohésion sociale et la fraternité. Un voeu pour 2025 pour vitaliser notre République qui est bien plus solidaire localement et forte face à ces dangers et ne pas laisser ces extrémismes grignoter notre esprit critique et l'emporter sur notre faire ensemble."

Christophe Magnet alias Charmag, dessinateur de presse notamment pour Objectif Gard chaque dimanche : "C’était l'anniversaire de Luz et je me suis dit, je vais lui envoyer un message pour lui souhaiter. C’est à ce moment-là que je découvre sur mon téléphone l’horreur. Sidéré comme la plupart des gens de se dire qu'on pouvait mourir pour un dessin. Forcément compliqué pour moi, ce processus du deuil parce qu'il y avait beaucoup de gens que j'aimais et que j'ai connu par ailleurs. Certains m'avait donné envie de faire ce boulot. Cabu forcément. Mais aussi Tignous que j'avais croisé deux mois auparavant et qui avait eu des mots d’encouragement. 10 ans après, est-ce que je m’autocensure dans mes dessins ? Non, franchement pas. Cela étant, je ne suis pas à l’aise avec certains sujets ou je pense ne pas arriver à le gérer parfaitement. Si je porte une attention aujourd’hui, c’est peut-être avec les réseaux sociaux. Il m’arrive de subir des insultes par exemple des antivax. Ou avec l'extrême-droite où des réactions sont assez virulentes. D'ailleurs cela arrive avec des dessins sur Objectif Gard. Après, je ne m'interdis pas. Si ce sont des gens que je n'aime pas trop, au contraire, j’y vais de bon cœur. Dans le processus intellectuel de la création d'un dessin, je compte beaucoup sur le rédacteur en chef pour me donner son avis, son appréciation. Après, les critiques de lecteurs sur les réseaux sociaux, quand c’est constructif, ça m’intéresse forcément. La plupart du temps, j'ai des bons retours. Mais vu que moi, je me permets de critiquer beaucoup de choses dans mes dessins, les lecteurs ont aussi le droit de faire, bien sûr."

Coralie Mollaret, Abdel Samari et Corentin Corger

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