Publié il y a 3 h - Mise à jour le 19.03.2025 - François Desmeures - 9 min  - vu 277 fois

FAIT DU JOUR Sept élèves pour une rentrée : l'Éducation nationale demande de s'organiser pour l'école de Camprieu

Le plateau et le village de Camprieu, au mois d'août

- François Desmeures

Dix élèves cette année, sans doute sept à la rentrée prochaine : l'école de Saint-Sauveur-Camprieu est sur une pente démograhique qui peut la condamner. Les services de l'Éducation nationale ont réuni parents et maires de l'ancien canton de Trèves - plus proches de l'Aveyron et de la Lozère que du Vigan - pour envisager une solution de sauvegarde. Si la solidarité domine, des parents de Trèves estiment que les choix immobiliers des décennies précédentes sont responsables de la situation et rechignent à voir leur enfant faire 25 minutes de route. Ce cas pourrait faire tâche d'huile, à terme, dans les coins reculés des Cévennes.

Le plateau et le village de Camprieu, au mois d'août • François Desmeures

Sur une carte, tout paraît proche dans cet ancien canton de Trèves qui réunissait la commune éponyme, ainsi que Lanuéjols, Saint-Sauveur-Camprieu, Dourbies, Causse-Bégon et Revens. Mais le croire serait ignorer les routes sinueuses et, parfois, étroites qu'il faut emprunter. Il n'y a que 15 kilomètres entre Trèves et Camprieu. Mais - sous réserve d'une météo clémente - cela représente 25 minutes de trajet en voiture, un peu plus en car. C'est à peu près pareil au départ de Lanuéjols. De Dourbies, il faut même ajouter cinq minutes. Et encore cinq de mieux en venant de Revens.

Une façon de dire que les kilomètres n'effraient pas les habitants du coin, qui savent qu'il faut sacrifier du temps en voiture pour profiter d'un cadre de vie aussi exceptionnel. En revanche, certains ne souhaitent pas l'imposer, quotidiennement, à leurs enfants. Alors, depuis qu'il est question d'éventuellement "renflouer" l'école de Camprieu en nombre d'élèves dès la rentrée prochaine, avec des enfants des villages alentour, les parents de Trèves s'inquiètent, et l'ont fait savoir par une lettre ouverte à la maire de Saint-Sauveur-Camprieu, Nicole Amasse, et aux conseillers municipaux. 

"Nos enfants ne prendront pas le risque de perdre la vie chaque jour pour une solidarité qui semble n’aller que dans votre propre intérêt"

Des parents d'élèves de Trèves dans un courrier aux élus de Saint-Sauveur-Camprieu

Si ces parents évoquent des "rumeurs depuis septembre", c'est surtout la réunion du 4 mars, entre les maires et l'inspecteur de circonscription, qui a rendu les choses plus concrètes. "L'inspecteur a confirmé qu'il ne venait annoncer aucune fermeture de classe ni d'école, rassure en préambule Nicole Amasse. Il a même précisé que, jusqu'en 2027, les écoles ne fermeraient que sur décision du maire dans les écoles rurales comme les nôtres." Mais avec sept élèves prévus à la rentrée prochaine, l'Éducation nationale a enjoint les maires à réfléchir à une solution de sauvetage de l'école, à terme. De l'autre côté des Cévennes, à Aujac, six élèves feront leur rentrée en 2025. Mais le Dasen a déjà laissé entendre qu'il n'y aurait pas de rentrée 2027...

L'école de Camprieu a reçu 200 000 € de travaux en 2021-2022 • François Desmeures

En comparaison, donc, Camprieu serait encore à sauver. Le bâtiment a reçu, en 2021-2022, la bagatelle de 200 000 € de travaux pour le changement de la chaudière, l'isolation, les menuiseries, l'éclairage ou encore la réfection de la cantine. Mais ce bon état n'empêche pas l'inquiétude. "Les parents, notamment, sont inquiets, confie Nicole Amasse, par le nombre d'enfants à l'école. Ils sont dix cette année." En s'appuyant sur la solidarité qui règne entre les maires de l'ancien canton - "on s'entend tous très bien", confirme Nicole Amasse - "on nous a dit de chercher des solutions. Et on en a parlé tous ensemble. La notion de RPI est venue à l'ordre de la discussion, détaille la maire de Camprieu. Mais c'était un sujet de discussion, pas d'imposition !" 

RPI, pour regroupement pédagogique intercommunal. Or, il en existe déjà un sur le territoire, entre Trèves (de la petite section jusqu'au CP) et Lanuéjols (du CE1 au CM2), chaque école abritant environ 25 élèves. À Dourbies, l'école a fermé il y a seize ans. À Revens, on ne s'en souvient plus de mémoire d'homme, ou presque... La première possibilité serait donc d'élargir le RPI à Camprieu et d'y intégrer son école. Mais "on a senti une réticence très forte de la part des parents de Trèves", constate Nicole Amasse. 

La cour de l'école de Trèves, que la municipalité souhaiterait rénover avec le reste du bâtiment • François Desmeures

Qui a finalement reçu une missive, quelques jours plus tard, de la part de ces mêmes parents : "Par la présente nous souhaitons vous informer de notre opposition à ce nouveau regroupement et nous souhaitons vous expliquer les raisons", est-il écrit. Les parents de Trèves s'inquiètent, en premier lieu, des "dangers que constituent la route entre Trèves et Saint-Sauveur-Camprieu tout au long de l’année scolaire que ce soit à la belle saison avec les nombreux camping-cars, motos, touristes etc. qui circulent sur une voie aussi large qu’une voiture, que durant l’automne et l’hiver avec les nombreux épisodes neigeux et de verglas ; le tout avec un ravin tout au long du trajet". Et se font cinglants : "Nos enfants ne prendront pas le risque de perdre la vie chaque jour pour une solidarité qui semble n’aller que dans votre propre intérêt." 

Estimant compliquée la multiplication des transferts en bus - alors même que seule une intervention de la maire de Revens, Madeleine Macq, auprès de Carole Delga a permis que le transporteur vienne enfin chercher les trois enfants de son village qui en avaient besoin - les parents de Trèves reprochent à la commune de Camprieu d'avoir misé sur un immobilier de tourisme élevé, au détriment de l'installation de populations à l'année : "Vous êtes la seule commune à avoir construit autant de logements, grâce à de très nombreux permis de construire que vous n’avez jamais réservé pour des habitants souhaitant s’installer à l’année. Nombreux sont ceux autour de nous qui ont souhaité s’installer dans votre commune à l’année et y fonder une famille, mais n’ont pu accéder aux terrains à des prix que vous n’avez pas voulu maîtriser."

"Dans quelle mesure peut-on réellement influer sur l'installation de populations permanentes ?"

Irène Lebeau, maire de Dourbies

Nicole Amasse a le sentiment de devoir endosser la responsabilité d'années de choix municipaux, alors qu'elle n'est maire que depuis 2020. "Je bosse pour accueillir des familles, contrebalance-t-elle. Quand une maison se libère, on espère en récupérer une, on les accueille à bras ouverts. Dans le nouveau lotissement qui se construit, on avait demandé qu'ils en réservent deux ou trois à des prix moindres pour que des jeunes s'installent." La maire évoque aussi le besoin de restaurer la Cure du village, qui pourrait accueillir des logements plus modestes que les gros chalets de résidents secondaires. Un projet qui nécessite des moyens et du temps. Et elle rappelle, aussi, que l'économie est libérale et que la mairie n'est pas promoteur immobilier. 

Le nouveau lotissement en cours de construction à Camprieu • François Desmeures

Sur ce volet, la maire de Revens, Madeleine Macq lui emboîte le pas à distance, rappelant que la mairie ne peut pas préempter, ni orienter toutes les constructions. Une position qu'Irène Lebau, maire de Dourbies, répercute : "Dans quelle mesure peut-on réellement influer sur l'installation de populations permanentes ? On n'a pas beaucoup de poids, pas beaucoup de moyens."

"On travaille à l'installation de couples. Mais la conjoncture n'est pas favorable, on sait que la démographie scolaire baisse, constate le maire de Lanuéjols, Alexandre Vigne. Et puis, la vie d'une école, ce sont huit années d'un enfant. Quand il part au collège, il n'y a pas de renouveau. Les choix de Camprieu en matière d'immobilier, poursuit Alexandre Vigne en réponse au courrier des parents de Trèves, on n'y peut rien. Une mairie ne peut pas décider, c'est l'emplacement qui fait que les gens investissent dans une résidence secondaire. Camprieu se retrouve comme les stations de ski des Alpes ou Le Grau-du-Roi, les communes qui ont eu une vocation unique. Ils en sont les victimes : les jeunes ne peuvent pas s'installer, les terrains sont trop chers."

"Ce sont les parents qui auront le dernier mot"

Madeleine Macq, maire de Revens

À Revens, Madeleine Macq reste surtout inquiète des dégâts que ce débat peut créer dans la bonne ambiance qui règne entre les maires et les communes de l'ancien canton de Trèves. Et renvoie chacun à ses responsabilités. "Ce n'est pas à nous, à un an des élections municipales, de décider cela. Ce n'est pas à nous de diviser la population. On s'en mêle, en tant que maires, en contactant les parents ou en motivant les services de la Région. Je pense qu'on ne doit pas prendre parti pour l'une ou l'autre école. Ce sont les parents qui auront le dernier mot." 

L'école de Lanuéjols, qui a souffert pendant quelques mois du manque d'enseignants remplaçants l'an dernier • François Desmeures

"La possibilité d'un RPI à trois écoles est-elle une hypothèse viable ? Il faut qu'on la travaille", estime Alexandre Vigne, maire de Lanuéjols. La commune est, économiquement, la plus dynamique du territoire, avec l'entreprise de travaux publics Germain et le centre de formation aux travaux publics de l'Aigoual. Un secteur économique qui manque à Camprieu, alors que le dernier maçon a fermé. C'est d'ailleurs Lanuéjols qui totalise le plus grand nombre d'enfants du canton. "Il faut penser au-delà de nos mandats et ne pas laisser fermer une école, poursuit Alexandre Vigne. Les populations évoluent et on pourrait, dans quelques années, se retrouver en surcharge." 

"Le réacteur de notre village reste l'école"

Régis Valgalier, maire de Trèves

Pour Alexandre Vigne, donc, la solidarité doit continuer de guider les décisions. "On est liés et, dans cette configuration, le bras gauche ne peut pas se foutre du pied droit". La solidarité, le maire de Trèves, Régis Valgalier, ne la renie pas, lui dont la commune "a déjà dépannée Lanuéjols" en matière d'école. Mais, cette fois-ci, en écho à ses administrés, il est plus circonspect : "Ça me gêne de dépanner à nouveau. Parce qu'il reste important d'avoir une école dans son village."

Un combat constant pour Régis Valgalier, qui milite pour une rénovation de sa petite école de village ou une éventuelle reconstruction complète, qui a pris du plomb dans l'aile avec l'aléa "chute de blocs" émis par la préfecture. Sa mairie fait valoir qu'elle assure aussi un travail d'agence immobilière, en démarchant régulièrement les éventuels vendeurs, en dénichant les propriétaires de logements vacants, en plaidant pour des repreneurs de logements à l'année ou en préemptant quand cela est possible, quand il ne s'agit pas de trouver une nounou pour un jeune couple actif. L'Insee est, en quelque sorte, venu valider cette politique active, avec une population estimée à 132 personnes aujourd'hui, contre 108 il y a trois ans (avec environ 40 % de résidences secondaires). Et cela, sans possibilité de bâtir de logement. "Le réacteur de notre village reste l'école", confirme Régis Valgalier. 

"Rentrer dans la logique du parcours de l'enfant" pour Christophe Mauny, directeur académique

"Je ne dis pas que l'école de Camprieu est menacée mais on va s'interroger sur comment reconfigurer le service public, dans l'intérêt des enfants", explique le directeur académique des services de l'Éducation nationale (Dasen) du Gard, Christophe Mauny. Les élus ne m'attendent pas armés. Si on peut maintenir, c'est très bien. En élargissant le RPI ? Pourquoi pas ?"

"Nous devons d'abord rentrer dans la logique du parcours de l'enfant et questionner le service de l'éducation", poursuit Christophe Mauny, qui a entamé, à Aujac le 14 mars, "un road-trip pour voir les élus des intercommunalités les plus éloignées d'ici à la fin mai. Mais je n'ai pas de mauvaise nouvelle à annoncer", certifie le Dasen. Du moins, pas pour la rentrée prochaine. Mais le cas d'Aujac démontre que la démographie scolaire finit toujours par imposer sa logique.  

Son homologue de Dourbies ne peut pas en dire autant. Dans la commune d'Irène Lebeau, la dernière école a fermé il y a seize ans. "Il n'y avait plus que quatre enfants, en 2009, se souvient la maire actuelle. En théorie, ensuite, on a été regroupés avec Camprieu. Mais ce n'était pas un RPI officiel." Un enfant est donc allé à Camprieu "pendant deux ou trois ans. Puis, on n'avait plus d'enfant." 

Mais "depuis quelques années, on a pléthore de petits", sourit Irène Lebeau aujourd'hui. À la rentrée 2024, sept enfants de Dourbies fréquentent les bancs des écoles voisines, 3 à Lanuéjols et 4 à Trèves. Ils seront 8 l'an prochain, dont 5 à Trèves. Et les trajets ne sont, déjà, pas sans fatigue pour les enfants du village. Car, s'il faut un peu moins de 20 minutes pour atteindre Trèves, il en faut plus de trente pour rejoindre Lanuéjols. Mais, surtout, le nombre de cars n'étant pas extensible, les plus petits sont déposés à Trèves, avant que le bus ne reparte à Dourbies chercher les élèves plus âgés pour les emmener à Lanuéjols. En conséquence, les journées commencent par une heure de garderie pour les plus petits du village.  

Vue sur Trèves, de la route qui mène à Lanuéjols • François Desmeures

Dans la nouvelle organisation demandée par l'Éducation nationale, Dourbies pourrait donc bien être la clé du problème. Grâce au nombre d'enfants conséquent qui provient de la commune mais aussi en raison de sa configuration : Dourbies comprend, dans son aire communale, la moitié du hameau de L'Espérou. "Nos enfants de L'Espérou vont déjà à Camprieu, constate la maire de Dourbies. Si l'école ferme, ce seraient eux les plus pénalisés : ils devraient repartir sur Lanuéjols ou Trèves, ou même Valleraugue." Du centre de Dourbies, se rendre à Camprieu prend autant de temps que d'aller à Lanuéjols. De L'Espérou, en revanche, il faut un quart d'heure vers Camprieu. Et plus d'une demi-heure vers Lanuéjols, sur un trajet que les cars de ramassage ne couvrent pas pour l'instant. Irène Lebeau fait aussi valoir que certains élèves ont de la famille à Lanuéjols et continueront, quoi qu'il arrive, de préférer cette école pour des questions de commodité évidentes. "La solution serait intermédiaire", plaide Irène Lebeau. 

"Camprieu, à 1 000 mètres d'altitude, c'est parfois un peu compliqué, reconnaît Christian Evesque, maire de Causse-Bégon. Mais il faut soutenir l'école." Deux enfants vivent sur sa commune, qui sont scolarisés côté Lozère, à Meyrueis : un au collège, l'autre en élémentaire. Il n'y aura pas de nouveaux élèves l'an prochain. "Faire fonctionner plusieurs écoles peut faire augmenter le nombre d'élèves", espère Christian Evesque en imaginant un RPI plus large. 

En attendant, une nouvelle réunion est prévue, le 25 mars prochain. Derrière l'Aigoual, les discussions se poursuivent entre parents et maires. Mais le 25, la réunion aura lieu, à Camprieu, en présence du Dasen du Gard, Christophe Mauny. "S'il se déplace à Camprieu, c'est bien que l'école de Camprieu lui pose problème", prophétise Irène Lebeau... Sans doute vient-il, aussi, pour rappeler le besoin d'une solution rapide, avant 2027. Sinon l'école de Camprieu pourrait bien finir comme celle d'Aujac...

Les maires du canton de Trèves autour du préfet du Gard et de la sous-préfète du Vigan, lors de la visite préfectorale à Lanuéjols d'août 2024 • François Desmeures

François Desmeures

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