L'INTERVIEW Lamine Gharbi, propriétaire de la clinique de Ganges : "S'il y avait 2 000 accouchements par an, je n'aurais pas de problème"
Le 18 janvier, le collectif Maternité à défendre manifestait devant la polyclinique de Ganges pour réclamer la réouverture de la maternité, deux ans après sa fermeture. Pour le président de Cap Santé (groupe auquel appartient la polyclinique Saint-Louis) et président de la fédération de l'Hospitalisation privée depuis 2014, les naissances ne sont pas assez nombreuses pour attirer des praticiens. Lamine Gharbi annonce un premier coup de pioche en 2025 pour la nouvelle polyclinique, mais sans aucune garantie que la maternité fonctionne. Entretien.
Objectif Gard : Le 18 janvier, le seuil de votre polyclinique Saint-Louis à Ganges a reçu une manifestation pour demander, notamment, la réouverture de la maternité (relire ici). Où en est-on de la recherche de praticiens ? La situation a-t-elle évolué depuis décembre 2022 ?
Lamine Gharbi : Pour reformuler les besoins médicaux, il faudrait quatre gynécologues-obstétriciens, au minimum, quatre pédiatres et trois anesthésistes. Pour 250 bébés par an. Donc, on n'est pas attractifs, en matière de volume, pour mobiliser une telle équipe médicale. Jusqu'en 2022, on tenait parce que des médecins prenaient jusqu'à 15 ou 20 gardes par mois. Le Dr Mestre est même allé jusqu'à 30 gardes dans le mois. Aujourd'hui, les jeunes ne veulent plus : ils veulent faire 7 ou 8 gardes par mois. Donc, il faut quatre ou cinq praticiens de chaque équipe. On ne parvient pas à trouver. Et quand on en trouve un ou deux - parce qu'on a quand même des touches - ils nous disent "Quand l'équipe sera complète, rappelez-nous". C'est un peu le serpent qui se mord la queue et ces praticiens-là ne sont sur le marché que 15 jours ou trois semaines. Après, ils ont trouvé un poste. On n'arrête pas de courir après cette équipe médicale. Et on n'arrive pas à se positionner sur une réouverture, avec une date ou un délai.
"Je préfère suspendre l'activité plutôt que de bosser avec des mercenaires"
On parle uniquement d'un manque de praticiens ou d'un manque d'appétance pour les coins plus reculés ?
Mais s'il y avait 2 000 accouchements par an, je n'aurais pas de problème. La région est à une heure de Montpellier, ça va. Ganges n'est pas enclavée entre trois vallées, à 500 kilomètres d'une métropole. ce n'est pas repoussoir. Je suis un peu le spécialiste des établissements excentrés - comme Bédarieux ou Lamalou - et les praticiens qui viennent le font pour un choix de vie, une qualité de vie. C'est plus dur à trouver mais, quand on l'a trouvée, la personne reste sur site. On a même essayé de laisser la maternité à l'hôpital. Eux-mêmes nous ont dit que c'était impossible. Sur Montpellier, sans trahir de secret, la clinique Clémentville va déménager et s'interroge sur la fusion de la maternité avec Saint-Roch. Ça représente pourtant 1 700 ou 1 800 accouchements. Même à ce niveau-là, les collègues s'interrogent sur le maintien de deux maternités dans une ville.
Si on vous suit, les maternités rurales seraient donc toutes condamnées à terme ?
Dix d'entre elles ferment chaque année sur le territoire. Et, parfois, de façon plus dramatique que Ganges, car ce sont 600 ou 700 accouchements qui sont déportés sur d'autres villes. C'est là où le collectif ne me suit pas : quand on a suspendu l'activité, je n'avais plus de médecin, plus qu'un seul gynéco, qui m'assurait 5 à 6 gardes par mois. Pour le reste, je n'aurais donc eu que des mercenaires. Ce que ne comprend pas le collectif, c'est que je préfère suspendre l'activité plutôt que de bosser avec des mercenaires qui ne connaissent pas les locaux, pas le matériel, et pas le personnel. Et qui ont, quelquefois, des compétences douteuses. Si c'est pour avoir un drame parce qu'on a maintenu une structure sanitaire qui n'est pas digne du respect et de la confiance qu'on doit avoir dans la santé et le monde médical, je préfèe ne pas faire. Aujourd'hui, j'en prends plein la tête, mais je préfère ne pas faire.
"Les locaux de la maternité sont toujours là. Mais la garantie de trouver des médecins, je ne l'ai pas."
Le projet de nouvelle polyclinique Saint-Louis prévoit-il toujours une maternité en son sein ?
On a déposé le permis le 20 décembre, il y a six mois d'instruction. Les plans sont déposés à la mairie, il y a un bloc obstétrical, sept chambres de travail, etc.
Mais le nombre de médecins n'aura pas connu de bond, voire même il aura empiré si on regarde la chute actuelle de la natalité...
J'ai comme mission de reconstruire une clinique avec une maternité. Si je vous disais aujourd'hui "je ne construis pas la maternité"...
Vous pourriez perdre les subventions d'État, liées au maintien de la maternité...
Tout à fait. Les subventions couvrent le quart du projet. J'ai une mission, je la fais.
Mais cela veut-il dire que vous allez ouvrir une maternité qui sera une coquille vide ? Présente sur le papier, mais inactive ?
C'est déjà le cas aujourd'hui : les locaux de la maternité sont toujours là. Mais la garantie de trouver des médecins, je ne l'ai pas. Mais si je disais aujourd'hui "je pense que je ne trouverai pas de médecin, je ne construis pas la maternité"...
Le collectif vous demanderait sans doute de rendre l'argent public...
Oui, sauf qu'ils auront quand même une clinique neuve. Et une maternité, ça ne vaut pas 40 millions d'euros... Je ne fais pas qu'une maternité mais je refais les urgences, la biologie, l'hospitalisation, la médecine, la chirurgie, etc.
"On va pouvoir faire des IVG médicamenteuses"
La manifestation du 18 janvier dénonçait aussi un Centre périnatal de proximité, installé comme palliatif, qui n'apporterait rien de plus et n'aurait pas empêché les accouchements dans les voitures ?
Accouchements dans les voitures... Il n'y en a eu qu'un. Ce qui me navre un peu, c'est que nos urgentistes, H24, sont formés aux acouchements. Je ne comprends pas pourquoi cette maman a fait appel aux pompiers. Elle venait à la clinique... On a tout le matériel, comme les couveuses, de quoi l'emballer. À Pézenas, j'ai aussi un accouchement par an. Le centre périnatal permet quand même une consultation avec un gynécologue. Une sage-femme est sur place cinq jours sur sept et répond à toutes les problématiques de la femme. Concernant les IVG, on a un peu tardé à bâtir la convention avec le centre hospitalier universitaire. On l'a depuis une semaine, on va pouvoir faire des IVG médicamenteuses.
Quand la maternité avait fermé, on vous avait vu recevoir les élus, comme les députés d'alors du Gard et de l'Hérault, le maire de Ganges ou le président du Pays viganais. Quelles sont, aujourd'hui, vos relations avec les élus locaux ?
Je n'en ai pas. Enfin, moi, je fais mon boulot quoi. On a installé un IRM sur Ganges, l'antenne du SMUR tient, les urgences tiennent, et tout ceci n'est pas facile. La chirurgie fonctionne bien, la médecine aussi.
L'équilibre financier est compliqué, vous voulez dire ?
Ah bien sûr. Il n'y a pas beaucoup d'habitants. 4 000 habitants sur Ganges... Et on a déjà un taux de captivité des patients qui est de 50 %, c'est énorme. On a un taux de fuite qui est très limité. Les patients ont confiance en nos médecins, sinon j'aurais arrêté la clinique si je n'avais pas la qualité médicale. Mais c'est bien pour ça que j'ai repris la clinique, en 2016.
Dans votre groupe, le problème de maternité paraît global, puisque Cap Santé en compte une ? Deux ?
Celle de Ganges est la seule. Auparavant, il y en avait une à Pézenas, une à Bédarieux.
Et elles ont fermé par manque de rentabilité ?
La rentabilité n'était pas atteinte à Ganges non plus. Mais j'avais 600 000 € d'aides de l'Agence régionale de santé, et j'équilibrais. Je le dis depuis le début : ce n'est pas un choix économique. Ce n'est pas le grand capitaliste que je suis censé représenter - ce qui me fatigue un peu parce que je suis quand même un des rares à bosser sur Lamalou, Bédarieux, Pézenas, Molières-Cavaillac, etc. Ce n'est pas un probème économique, l'ARS couvrait toutes les charges non prises en charge par la faiblesse du volume. Et moi, je n'ai jamais accepté de prendre le risque parce que les médecins ne sont pas qualifiés.
"Je suis l'exemple type d'une mission de service public"
Sur quelle surface doit s'étendre la future polyclinique dont le permis a été déposé, au rond-point de sortie de Ganges, en direction de Nîmes ?
13 000 m2. On va y retrouver les mêmes services. L'IRM ne sera pas dans un préfabriqué mais dans un local en dur ; de la dialyse, du laboratoire, scanner, échographie, antenne SMUR, urgences, chirurgie, médecine.
C'est l'occasion d'étoffer les équipes ?
Oui, cela devrait inciter les praticiens à prendre des associés et à avoir confiance en l'avenir. Quand je mets 40 millions d'euros sur la table pour créer un bâtiment neuf, ça leur fait plaisir.
Que va devenir la polyclinique actuelle ?
C'est mon souci... Je suis propriétaire et toutes les idées et projets sont les bienvenus. L'idéal aurait été de la transformer en maison de retraite, mais il n'y a pas d'agrément. Je ne sais pas s'il y a un réel potentiel à Ganges pour une résidence senior. Il faut donc que j'essaie de la vendre.
On constate parfois que l'hospitalisation privée a tendance à lâcher les activités non rentables pour les laisser au secteur public, ce qui vous a été aussi reproché lors de la fermeture de la maternité. Que répond le président de l'hospitalisation privée à cette critique ?
Je répète que ce n'était pas un problème économique, parce que l'ARS, dans sa grande logique d'aménagement du territoire, comblait mes déficits. Ce qui veut dire que je correspondais à un besoin. Je répondrais aussi que, dans mon groupe, j'ai quatre services d'urgence (Saint-Jean-de-Védas, Saint-Louis à Ganges, Pézenas et Bédarieux, NDLR), et on sait tous qu'un service d'urgence ce n'est pas rentable ; que je suis sur un territoire excentré et isolé. J'ai créé ce groupe de toutes pièces en partant de Pézenas, il y a trente ans et si j'avais voulu faire des activités faciles, je me serais mis sur la bordure littorale et j'aurais fermé Ganges, Bédarieux et Pézenas. Je suis l'exemple type d'une mission de service public.
Alors, pourquoi rester dans des territoires aussi compliqués ?
Parce que ça rend service à la population. Que j'arrive à équilibrer les budgets et que ça va bien. Parce que même quand je suis déficitaire, l'État est là et aide. Le directeur régional de l'ARS, Didier Jaffre, le dit bien : "À Ganges, ce n'est pas une clinique. C'est un hôpital." Et ça me plaît, c'est l'essence de mon groupe. Sinon, je vais acheter des cliniques à Toulouse, Bordeaux, Lyon, Marseille... Non, je suis là. Et on ne me délogera pas.