Objectif Gard : Comment se porte Au diable vauvert ?

Lucas Galian : Cette année, nous fêtons nos 25 ans, une année décisive pour raconter notre histoire et notre évolution. Le Diable est l'une des seules maisons d’édition françaises, indépendantes et décentralisées, qui a un rayonnement national et international. Nous avons vraiment de bonnes dynamiques, la maison a augmenté son chiffre d'affaires depuis deux ans et nous nous positionnons dans les 70 premières maisons françaises !

Les bases sont solides.

Nos ouvrages de fonds portent aujourd’hui nos ventes, des auteurs qui faisaient le catalogue au début de la maison, comme William Gibson ou Octavia Butler, sont maintenant devenus des iconoclastes. C'est assez précieux parce que c'était le pari de Marion Mazauric à la création de la maison : créer un catalogue qui suivrait l’œuvre d’auteurs, livre après livre.

Mais ces auteurs auraient pu partir voir si l’herbe était plus verte ailleurs, non ?

Le Diable, c'est une maison qui suit ses auteurs. Dans la ligne éditoriale, il y a vraiment la volonté d'être au plus proche des auteurs, de publier l'intégralité d’une œuvre, même si quelquefois les livres sont moins commerciaux ou plus expérimentaux. C’est le cas d'Octavia Butler, ça a mis près de 20 ans à la faire connaître en France, pourtant elle fait partie des meilleures ventes aux États-Unis et en Espagne…

Octavia Butler avait annoncé ça d’ailleurs !

La venue de Trump au pouvoir ? C’est vrai. Et ça a servi à la faire reconnaître. La parabole du semeur, son grand classique, annonçait la venue d'un personnage qui voulait « rendre sa grandeur à l’Amérique ». Même chose pour Angela Davis, quand Marion a publié la prison est-elle obsolète, je crois en 2003, on lui disait qu’Angela Davis était passée de mode, comme le marxisme, que personne n’allait la lire, qu’on allait l'oublier. Aujourd'hui, Angela Davis est une des penseuses militantes les plus reconnues dans le monde.

Une actualité d’ailleurs ?

Un inédit ! Son dernier inédit, Abolitions I, à paraître en novembre prochain.

C’est une marque de fabrique de dénicher ces profils ?

Oui ! Enfin, je préfère employer le mot voix. Nous avons plein d'auteurs comme cela, à la marge, des personnes non reconnues, ou décriées, peu regardées à leurs époques, et qui aujourd’hui ont complètement explosé. Comme Bukowski.

À côté de ça il y a aussi des nouvelles têtes des nouvelles plumes qui viennent étoffer ce catalogue ?

Nous avons publié des auteurs français depuis leur premier livre comme Nicolas Rey, Thomas Gunzig et feu Jean-Paul Didierlaurent qui sont devenus des auteurs reconnus en littérature française. Nous avons une réelle volonté de faire éclore des voix originales, qui décloisonnent les genres littéraires, parfois même non-académiques ou déviantes.

Un exemple ?

Il y a une nouvelle voix qui arrive au catalogue. C'est Charlotte Bourlard, une autrice belge qui publie chez nous son deuxième roman. Son premier, chez Inculte, avait reçu le prix Sade. Elle revient avec À trois, on saute à paraître en mars. C'est un roman sur la marginalité. On y suit l'histoire de deux femmes qui se construisent à rebours de la norme et qui vivent de vols, de sévices, de petites arnaques… Un vrai roman sur l'horreur sociale, doté d’une écriture sobre et loufoque, brute et baroque !

D'autres auteurs internationaux publient cette année ?

Le manifeste contre-sexuel de Paul Preciado, le grand philosophe de la pensée queer. Nous rééditions ce livre, qui est un texte de jeunesse de Paul Preciado. Ce texte est dans nos tiroirs depuis plus de 15 ans et il sort cette année, c'est assez beau en termes de symbolique parce qu'il sort 25 ans après sa première publication, l’année de nos 25 ans !

Le catalogue des auteurs Au Diable Vauvert est particulier quand même.

Ce qui est fort avec le Diable, c'est qu’il est profondément précurseur, notre catalogue promeut des contre-cultures depuis sa création, en 2000, à une époque où le féminisme, la pensée queer ou encore la pensée décoloniale étaient complètement décriés et pas du tout à la mode. D'où l'intérêt d'être un peu comme nos auteurs, à la marge !

Là aussi, un autre exemple ?

Dans cette même ligne on vient de sortir un témoignage littéraire, Ma honte de D’de Kabal, qui est rappeur et performeur. Ce livre est le récit d'une prise de conscience des viols et violences sexuelles qu’il a subis pendant son enfance. C'est un homme qui a été abusé par sa mère et sa tante quand il était enfant, et ce texte revient sur la déconstruction de sa masculinité, la prise de conscience de ces violences subies. C'est aussi un texte sur la manière dont on doit sortir d'une masculinité nocive. L’auteur embrasse le mouvement de libération de la parole initiée par les femmes et MeToo.

Et ça a forcément fait parler n’est-ce pas ?

L’auteur a été bien repéré et depuis l'apparition de son livre en janvier dernier, les médias sont là. Il a aussi performé son texte au centre Pompidou, il était au festival effractions…

D’autres profils à suivre ?

Siébert, le prince du punk français ! Il continue l’exploration de son univers imaginaire post-soviétique avec Une vie de saint. Cette fois, on va suivre la vie de Svatoj, une espèce de Raspoutine moderne, guide subversif de Mertvecgorod. On va rencontrer des personnages et des événements complètement fous : la chute d’une dictature, des histoires d’amour impossibles, des sorcières surnaturelles, des oligarques corrompus… Tout cela porté par l’excellente écriture de Siébert. On a aussi Christopher Bouix qui revient en avril, nous le publions depuis Alfie, son premier roman dystopique sur l’intelligence artificielle, un grand succès en grand format et en Poche. Il avait depuis publié un autre roman, Tout est sous contrôle. Et Le Mensonge suffit vient clore son triptyque dystopique … Il faut lire Christophe Bouix pour son écriture satirique, accessible et jouissive !

Un dernier ?

Nous en parlions, mais nous avons aussi la dernière trilogie inédite d'Octavia Butler qui va sortir en mai. La saga s'appelle Patternist. Elle s’inspire des mythes et dieux d'Afrique de l’Ouest pour créer un univers afrofuturiste. C'est un texte fascinant. Deux autres tomes viendront clore cette trilogie.

Parlons des 25 ans !

Beaucoup de rencontres en librairies, des mises en avant dans des festivals et médias. Dès le mois prochain avec le festival Itinérances à Alès, avec Nicolas Martin, notre auteur de la rentrée de septembre, auteur du très remarqué fragile/s ! Nous irons aussi à La comédie du livre, à Montpellier, il y aura beaucoup d'auteurs qui seront présents mais je ne vais peut-être pas tout dire…

Avec une grosse rentrée ?

Oui ! On s'y prépare, des voix très fortes forgeront cette rentrée. Des auteurs connus du catalogue, même si on laisse encore la place à une petite surprise… Ce que je peux dire c'est qu'en fin d’année nous publions un super texte à quatre mains des géants Keanu Reeves et China Miéville.

Un message à faire passer ?

Lisez le Diable, allez en librairie !