Publié il y a 3 h - Mise à jour le 04.02.2025 - Sabrina Ranvier - 5 min  - vu 80 fois

LE DOSSIER Bienvenue dans les circuits ultra-courts

Elizabeth Adam productrice à Valleraugues. Ses deux filles vont reprendre l'exploitation. L'aînée, 38 ans, va quitter son métier de costumière TV. 

- Sabrina Ranvier

Elizabeth a été styliste en Angleterre. Elle cultive la bonne humeur et les oignons doux en Cévennes. Trois fois par mois, elle tient la halte paysanne de Saint-Dionisy. Elle y croise Hugues, le paysan boulanger qui fait pousser ses céréales juste à côté, ou Julien, le chauffeur routier qui se reconvertit comme apiculteur.

La halte paysanne est ouverte le lundi de 15h à 19h ainsi que du mardi au samedi de 9h à 13h et de 15h à 19h. • Sabrina Ranvier

« On a de la viande de chez Laurent. Une boîte d’œuf de chez Vincent et une autre de chez Carole. Pas de jaloux. » Le ton est joyeux, le sourire contagieux. Elizabeth Adam enregistre les produits, avec une pointe d’accent so british. Sur sa caisse tactile, elle coche pour chaque produit, le nom de son producteur. En fin de mois, chacun des 20 producteurs et les 2 artisans membres de la halte paysanne de Saint-Dionisy perçoivent le produit exact de leurs ventes. Ils reversent un pourcentage des sommes gagnées à la halte. « C’est équitable. En ce moment, la productrice de chèvres ne produit rien car c’est la période de mise à bas et un pourcentage de zéro, c’est zéro », résume Elizabeth, les yeux pétillants sous ses lunettes XXL. Il n’y a pas d’employé, chaque producteur vient, à tour de rôle, tenir la boutique. Le temps qu’ils doivent y consacrer est calculé en fonction de leur chiffre d’affaires.

Non aux choux-fleurs espagnols

Elizabeth y vient trois demi-journées par mois. Une dame emmitouflée dans une doudoune verte entre et dépose sur la caisse des pots en verre, barrés d’une étiquette « ratatouille ». Elle revient quelques minutes plus tard avec trois bocaux : de la soupe de potimarron mais aussi deux pots de ratatouille. « Vous aimez la ratatouille », la taquine Elizabeth. Cette cliente venue de Calvisson, avoue tout : oui elle aime la ratatouille, mais elle apprécie beaucoup la soupe de tomates. Et quand elle épuise les fraises de son potager, elle se fournit elle se fournit aussi ici. « Globalement, je fais mes courses à Intermarché. Mais je suis Bretonne et quand je vois des choux-fleurs espagnols en rayon alors que je sais qu’il y en a plein dans le Finistère, cela me fait mal, dénonce-t-elle. Les Espagnols n’ont pas les mêmes traitements autorisés. » Elizabeth renchérit : même en bio, l’achat de souffre ou de cuivre est « très règlementé ».

Elle produit des oignons, des piments. Son mari élève des cochons. En ce mardi de janvier, lorsqu’elle a quitté sa ferme à Valleraugue, il faisait -6 degrés. Quand elle est arrivée à Saint-Dionisy, une heure et demie plus tard, le mercure avait pris de l’altitude : -1 degré. « Il faisait chaud, éclate-t-elle de rire. Mais mes cochons ont des poils et ils n’ont pas froid. Même quand on fait des abris et qu’il pleut, ils ne vont pas dedans. Ils sont rustiques. » Elizabeth adore partager ces détails avec les clients pour qu’il y ait de la transparence, pour qu’ils sachent comment les animaux sont élevés.

Décoratrice, styliste, agricultrice

Mais est-ce financièrement rentable de faire plus de 160 km aller-retour pour vendre ses produits ? Oui, elle fait un bon chiffre d’affaires à la boutique, répond l’intéressée, bien campée dans ses baskets Converse bleues. Si elle vendait sur les marchés, elle serait obligée d’être présente tous les jours. Ici, même quand elle n’est pas là, un autre producteur tient la caisse et ses produits sont toujours en vente. La galère, Elizabeth connaît. Cette Néerlandaise mariée à un Britannique, a eu une première vie professionnelle de cheffe d’entreprise en Angleterre comme décoratrice d'intérieur, puis comme styliste de vêtements pour enfants. En 1998, Elizabeth, son mari et leurs quatre enfants traversent la Manche et s’installent à Valleraugues. « On avait chacun notre entreprise. On s’est dit qu’on aimerait bien faire quelque chose ensemble et on est toujours ensemble », éclate-t-elle de rire. Le couple achète une propriété qui n’avait pas été cultivée depuis 1930. Ils débroussaillent, retapent. Un petit pont suspendu à la "Indiana Jones" leur permet de passer d’un côté à l’autre de la vallée. La première récolte d’oignons doux est franchement « pas terrible ». Que faire de ces drôles de spécimens ? Elizabeth se fait prêter des tréteaux et se met à faire des beignets d’oignons avec de la farine de pois chiche lors d’un marché organisé au village. Sur place, on la scrute : « Mais qu’est-ce qu’elle fait l’Anglaise ? », imite-t-elle en faisant rouler sa voix. Finalement la recette est qualifiée par les habitants de « pas trop mauvaise ». « Cela veut dire qu’elle était bonne », traduit celle qui continuera à faire des beignets sur les foires, les manifestations agricoles. Mais elle ne peut pas faire cela tous les jours. Elle décide de cultiver aussi d’autres produits, son mari achète des cochons roux Tamworth et de « gros cochons noirs » Berkshire.

Elle participe à une première boutique paysanne à Montpellier, tente sa chance dans un autre établissement de ce genre à Nîmes mais le projet ne tient pas sur la durée. Elle s’inscrit dans une boutique de producteurs, mais lâche vite car on lui impose des réunions sur place en soirée à Sète au moins une fois par mois. Trop loin, trop fatigant. En 2020, des inondations mutilent Valleraugues. Le pont « Indiana Jones » de la famille Adam est détruit. « Pendant 7 mois, on n’avait pas accès à nos terres. Les passerelles étaient parties. On a installé une tyrolienne pour traverser la vallée. Je n’aimais pas du tout. » La commune fait des travaux. En plus de la boutique de producteurs de Montpellier, Elizabeth décide de vendre aussi à la halte paysanne de Saint-Dionisy.

Michel Gabach, président de la SCIC de Saint-Dionisy et Elizabeth Adam, productrice.  • Sabrina Ranvier

Circuits ultra-courts

Elles sont deux à venir de loin : Camille, la productrice de châtaignes, et elle. Les autres sont des producteurs locaux, voire ultra-locaux. Une petite porte à l’intérieur de la boutique s’entrouvre. Un barbu couvert d’un bonnet se faufile. Lui c’est Hugues Cassan. Ce paysan-boulanger cultive ses céréales juste à côté. Il a un atelier dans l’arrière du bâtiment avec un petit moulin. Son four à bois est installé dans la cour.

Un autre monsieur, bonnet orange vissé sur la tête sort des ateliers. Lui commande du fromage. Elizabeth le connaît bien. C’est Michel Gabach, l’ancien maire de la commune qui avait initié ce projet. « Cela a pris dix ans de faire tout ça, se souvient-il. On a commencé ce projet en achetant des terres qu’un propriétaire de la commune voulait vendre pour faire une brocante. » Après moultes péripéties, la commune crée une société coopérative, SCIC, et achète 8 hectares. Un bâtiment est construit un peu plus loin avec quatre ateliers réservés aux agriculteurs installés sur les terres. Dans le hangar, se rajoute la boutique paysanne qui est aussi ouverte à d’autres producteurs et artisans gardois.

L'équipe qui travaille les terres de la SCIC de Saint-Dionisy. En haut, Armelle Dongois, horticultrice, est entourée de Luca, venu prêter renfort en woofing et Hugues Cassan (blouson marron), paysan-boulanger. En bas. Caroline Garrigues, horticultrice, Mathilde Bertier, maraîchère-arboricultrice et Julien Sirerol, apiculteur. • Sabrina Ranvier

Ne plus transporter des containers venus d’Asie

Ce mardi, les cinq agriculteurs installés sur les terres de la SCIC, partagent un repas, derrière la boutique, dans le hangar glacé de cette maraîchère-arboricultrice. Bien serrés autour de la table, on trouve aussi Hugues, le paysan boulanger, les horticultrices Caroline Garrigues et Armelle Dongois. Julien Sirerol a préparé le repas. Depuis 2023, il pose ses ruches sur les terres. Pour l’instant, il est apiculteur le week-end et chauffeur routier en semaine. Si tout se passe bien, en mars, il sera à 100 % apiculteur. « À Fos-sur-mer, je récupère des containers maritimes venus d’Asie, des containers où il y a peut-être du miel. Cela fait un moment que je cherche à sortir de ce système-là », confie-t-il. Des dispositifs de la Région ont accompagné sa reconversion. Mais après 40 ans, plus d’aide à l’installation comme jeune agriculteur. « C’est grâce à la SCIC que j’ai pu m’installer, reconnaît cet habitant de Nages-et-Solorgues. Je suis locataire gratuit des terres et je loue le hangar à prix très avantageux. » Ses produits sont vendus à la boutique. Son atelier est voisin de ceux des autres membres de la SCIC. « C’est un réseau d’entraide. C’est un peu une pépinière d’entreprises », résume-t-il. Les autres opinent et complètent dans un éclat de rire : « On peut échanger du matériel ou même s’engueuler. »

Sabrina Ranvier

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