FAIT DU JOUR De la Côte d'Ivoire à Nîmes, que devient Mamadou Savane ?

Mamadou rêve de créer son entreprise dans le chocolat
- Coralie MollaretObtention du permis, nouveau boulot… Mamadou Savane continue de reconstruire sa vie après un incroyable périple de la Côte d'Ivoire à Nîmes. Le jeune homme a même choisi de s'impliquer activement pour venir en aide à d’autres migrants.
Nous avions rencontré Mamadou en 2021, alors qu’il était apprenti à la chocolaterie La Tabletterie, place aux Herbes à Nîmes. Le jeune homme avait alors 19 ans. Il nous racontait son périple pour rejoindre la France (relire ici). Ce jour où son oncle, Amed, l’a embarqué malgré lui dans son camion pour un voyage sans retour, en quête d’un avenir meilleur. Mamadou avait 14 ans et ne savait pas ce que l’avenir lui réservait. L’adolescent traversa le désert nigérien pour atterrir en Libye. Un enfer pour les migrants africains.
Arrêté, enfermé dans un container à Sabratha, battu à coups de fouet… « Là-bas, tout le monde est armé. Quand ils voient un noir dans la rue, ils l’attrapent et appellent sa famille pour demander une rançon », se souvenait Mamadou. Le garçon finit par être libéré et parvient à traverser la Méditerranée, devenue un véritable cimetière de migrants. Ramené sur l’île de Lampedusa par la Croix-Rouge, il regagne la France avec qui il partage une langue et histoire commune. Il atterrit à Nîmes et devient un fameux « MNA », un mineur non accompagné.
Charly, « un frère, un papa »
Mamadou entre en alternance à Toulon où il passe un brevet technique des métiers après avoir réussi son CAP en vente avec une mention chocolatier et confiserie. Son patron, Charly, se défend de faire de la charité : « Si je l’ai pris avec moi, c’est qu’il en avait envie. En deux semaines, il a su tempérer le chocolat ! » Entre les deux hommes, c’est une relation quasi père-fils qui s’est nouée. Aujourd’hui âgé de 23 ans, Mamadou travaille en CDI comme préparateur de commandes sur le site du Marché Gare : « Pendant les fêtes de Noël et de Pâques, j’aide toujours Charly à la boutique. »
Si Mamadou a fait ce choix, c’est qu’il lui fallait un contrat CDI pour obtenir une carte valable pour quatre ans. « Plus tard, mon rêve est d’avoir ma propre chocolaterie », confie-t-il. Toujours en contact avec Charly, il le considère comme « un frère, un papa ». Le jeune homme vit rue Séguier et a passé son permis six fois : « Ça a été une vraie galère, je stressais ! Le jour où je l’ai eu, je n’y croyais pas ! J’ai appelé Charly. En 10 minutes, j’ai remonté le Jean-Jaurès pour récupérer le papier à l’auto-école ! » Sa première voiture, c’est Charly qui lui a vendu : « J’ai travaillé pendant toute une saison et je lui ai donné l’argent : 1 000 € pour acheter la voiture. »
« Mon oncle s’est sacrifié pour moi »
C’est en 2022 que Mamadou retourne pour la première fois en Côte d'Ivoire, à San-Pédro, sa ville natale : « À la gare, mon père a couru et m’a attrapé dans ses bras… Nous sommes tombés par terre. » Le lendemain, son père le conduit chez sa tante, la femme d’Amed, cet oncle qui l'avait embarqué avec lui. Mamadou n’a plus eu de nouvelles de son oncle après leur deuxième arrestation. « Ce moment a été très douloureux. J’ai expliqué à sa femme que je n’étais pas au courant de ce que mon oncle avait prévu », explique-t-il. Mamadou raconte comment, avec son oncle, leurs routes se sont séparées : « Il a demandé à une Ivoirienne qui allait être libérée du camp de Sabratha, de dire que j’étais son enfant pour que je puisse être libéré. Il s’est sacrifié pour moi. »
Quatre mois plus tard, en juin, Mamadou revient en Côte d'Ivoire pour chercher des papiers. « Les gens du quartier pensaient alors que j’avais été reconduit à la frontière ! », s’amuse le jeune homme. Mamadou a grandi et adopté les us et coutumes de la France : « J’ai dit à mes copains qu’on allait faire une soirée pyjama, ils se sont moqués de moi ! Ils se moquent aussi de moi parce que je dis beaucoup ‘putain’. En Côte d’Ivoire, on ne dit pas ça… Oh non, non, non ! », rigole-t-il.
Mamadou avait croisé le chemin de la jeune Awa
Résilient, Mamadou s’implique dans la société nîmoise avec la création d’une association "Migrants et Migrantes de France", présidée par Mamery Koné. « L’idée est née lorsque nous discutions dans un café, boulevard Amiral-Courbet. Comme nous sommes un peu anciens, nous voulons aider ceux qui arrivent. » Son chemin a d’ailleurs croisé celui d’Awa, 15 ans, décédée la veille de Noël : « Je lui avais montré où était le bâtiment du Département pour faire sa demande de minorité. » Comme une centaine d’autres manifestants, Mamadou a participé, ce jeudi, à la mobilisation en soutien d’Awa. Puisque derrière chaque numéro se cache un parcours de vie, souvent tortueux. Et parfois admirable.