FAIT DU JOUR Journée mondiale de lutte contre l'endométriose : « Il faut briser le tabou »
À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre l’endométriose, Objectif Gard a rencontré différents acteurs médicaux, associatifs et des personnes atteintes de cette maladie qui touche 10 % des femmes et dont on ne connaît pas encore tous les aspects.
On en parle de plus en plus depuis quelques années, l’endométriose est une maladie chronique liée à l’endomètre, une muqueuse qui se trouve normalement à l’intérieur de la cavité utérine, et qui se désagrège et s’évacue par le vagin pendant les règles. Lorsqu’une personne est atteinte d’endométriose, cet endomètre se forme ailleurs, ce qui peut causer des douleurs, mais aussi des troubles digestifs, urinaires… Environ une femme sur dix en âge de procréer est touchée. Pourtant, la diversité des symptômes et sa nature polymorphe même la rendent aujourd’hui encore très difficile à détecter.
Douleurs pelviennes, troubles intestinaux, nausées, troubles urinaires, problème de fertilité… « L’endométriose peut avoir plein de symptômes et d’expressions cliniques bien au-delà de la douleur », explique le professeur Vincent Letouzey, chef du service gynécologie, obstétrique et maternité du CHU de Nîmes. « Il n’y a pas de corrélation entre la lésion anatomique et le symptôme, c’est très atypique. Et la maladie a presque plus de séquelles dans le temps que la lésion originelle ». Ces séquelles, les malades ont appris pour certaines à les intégrer à leur quotidien. « Je suis obligée de planifier chacun de mes déplacements en amont, explique Eloeïz. Je suis à contrecœur une vraie pharmacie ambulante pour prévenir chaque souci possible ».
Une maladie qui impacte au quotidien
« J’ai découvert il y a quelques mois que j’avais de l’endométriose. Je souffre depuis que j’ai 15 ans, ça a gâché ma vie », témoigne Marie-Noëlle. Et elle est loin d’être la seule dans ce cas. Dans les très nombreux témoignages que nous avons reçus suite à notre appel à témoins, nombreuses ont été celles qui ont évoqué des règles hémorragiques ou des douleurs handicapantes. « Il est possible de faire les démarches auprès de la Maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH) pour obtenir un statut de travailleur handicapé », indique Myriam Poulain, présidente de l’association EndoAction. Elle poursuit : « Ce n’est pas parce que la maladie n’est pas toujours officiellement reconnue comme affectation longue durée 30 (ADL30) qu’il ne faut pas demander de la reconnaissance et de l’aide. » D’autant que cette maladie a un coût : HEROIC Santé, une plateforme de santé collaborative, a mené en 2022 une enquête auprès des personnes touchées par l’endométriose : pour 87 % d’entre elles, cette maladie leur coûte près de 10 % de leur revenu chaque mois.
Isolement social, manque de compréhension… « C’est l’horreur, les gens ne vous croient pas, s’attriste Jeanne. C’est une maladie invisible, alors au quotidien c’est difficile ». Maéva, elle, s’estime chanceuse : « J’ai été diagnostiquée rapidement, et les médecins pensent que mon traitement hormonal a contribué à contenir la maladie. Mais il m’arrive parfois de poser un arrêt malade parce que des crises me clouent au lit, même si mes symptômes restent supportables par rapport à d’autres. » Pour le professeur Letouzey, cette accumulation de problèmes, parfois graves, vient du délai entre l’apparition de ces symptômes et l’établissement d’un diagnostic. « Les patientes sont en errance médicale pendant 5 à 7 ans dans les pays développés, y compris le nôtre. C’est dû à la fois à un retard dans la formation des soignants, mais aussi à cause de la difficulté à identifier la maladie elle-même.»
Une approche multi-disciplinaire
Pour pallier cette méconnaissance de la maladie, l’Agence régionale de santé a déployé en 2023 la filière EndoOccitanie. Dotée de 50 000 euros pour la recherche, cette filière a pour vocation de réduire l’errance diagnostique et de faciliter le parcours de soin, notamment via une approche multidisciplinaire de la maladie. Cette approche, déjà mise en place au CHU de Nîmes, engage médecins généralistes, gynécologues, sage-femmes, mais aussi radiologues, gastro-entérologues, urologues, psychologues, kinés, diététiciens etc… L’objectif étant également de mieux comprendre la maladie, dont on ne connaît pas encore les causes, et via une prise en charge plus rapide de la maladie, d’aller petit à petit vers une réduction du recours à la chirurgie ou aux assistances à la procréation.
S'associer pour s'entraider
Les patientes tentent aussi à leur échelle de trouver des solutions. C’est le cas de Christelle Guillaume, professeur des écoles en reconversion, qui propose des ateliers de sophrologie en partie dédiés aux mamans atteintes d’endométrioses. « La sophrologie vient en complémentarité du parcours de soin médical. En aucun cas on ne s’y substitue », précise-t-elle. Avant d'ajouter : « Elle permet cependant de mieux connaître son corps, et de prendre en charge son parcours de santé. J’aide aussi par la respiration notamment, à faire baisser les sensations de douleurs, à mieux la définir aussi. Mais ce n’est pas une recette miracle, ça demande un engagement régulier. » Elle-même atteinte d’endométriose, avec un parcours comme pour beaucoup compliqué, elle a trouvé dans la maladie une force et des outils qu’elle veut aujourd’hui transmettre à plein temps dans son local nîmois à travers son association SophroDouceur.
D’autres créent des associations, comme EndoFrance EndoAction ou Endomind, pour n’en citer que quelques-unes. Ces dernières, en plus de militer pour plus de recherche et de connaissances autour de cette maladie, créent des réseaux de soutiens bienvenus auprès des patientes. Partage de conseils, réseautage autour des professionnels de santé, c’est pour beaucoup un lieu de parole libérée où on se sent moins seule. C’est aussi un moyen de sensibiliser le plus grand nombre, sans distinction de genre, et dès l’adolescence. « Il faut briser ce tabou autour de l’endométriose », assène Myriam Poulain « Que ce soit au niveau professionnel ou personnel, cette maladie est source d’isolement, parfois de séparation dans la vie de couple, de dépression… »
Il est important de consulter dès les premiers symptômes
Le professeur Letouzey l’assure, il faut consulter un médecin dès les premiers signes. « Il ne faut pas laisser passer chez une jeune femme des règles douloureuses qui vont provoquer de l’absentéisme scolaire ou professionnelle, ou la consommation de médicaments qui dépasseraient un rhume ! Il faut consulter pour ça, le système de soin est fait pour ça. Si on rate ce coche, cela se paye très cher derrière. Les douleurs ne sont pas normales. »
Agathe, 25 ans, le sait bien. Elle a été diagnostiquée à 19 ans après 7 ans de symptômes. Elle a subi 33 changements de traitements hormonaux et quatre ménopauses artificielles qui ont eu un gros impact sur son corps. « Aujourd’hui j’ai l’impression d’avoir 60 ans, et j’ai développé de la fibromyalgie. Ma dernière solution, c’est l’hystérectomie, une ablation de l’utérus ». Mais cette opération, loin d’être bénigne, n’est pas la seule solution qui s’offre aux personnes touchées par l’endométriose.
L’hygiène de vie, de l’alimentation aux pratiques sportives régulières peuvent grandement impacter la maladie. L’alimentation anti-inflammatoire, qui évite les aliments à indice glycémique trop élevés comme le riz blanc, les produits sucrés, mais aussi la viande rouge, aiderait à réduire les effets secondaires de l’endométriose par exemple. Une autre solution, c’est le médicament. « Une bonne partie des solutions médicamenteuses passent par une solution hormonale », explique le professeur Letouzey. « Ensuite, en continuant de monter progressivement, vous avez la chirurgie, un petit peu de radio interventionnelle grâce aux nouvelles technologies ».
L'endométriose touche aussi la fertilité
Et en parallèle, il y a tout le volet qui touche à la reproduction. L’endométriose impacte parfois la fertilité, soit mécaniquement, en touchant l’appareil reproductif, soit sexuellement, par de fortes douleurs lors de rapports ou une perte de libido. Jess, par exemple, a dû passer par une procréation médicalement assistée (PMA) : « Le parcours a été difficile aussi bien physiquement que psychologiquement à cause des traitements divers et variés et des échecs liés à mon endométriose. »
Pourtant, pour le professeur Latouzey, un désir de grossesse peut être vue comme une opportunité : « Quand on est enceinte, on n’a pas de règles pendant neuf mois, douze si on allaite. Comme l’un des traitements préconisés contre l’endométriose, c’est l’aménorrhée, l’absence de règle, la plupart du temps une grossesse aide à réduire la maladie. » La kinésithérapie, l’aide psychologique, la médecine de la douleur peuvent également être des solutions proposées aux patientes.
"Une vraie révolution"
« S’il y a une chose qui me réjouit, c’est qu’on a un véritable rajeunissement à la fois de la patientèle et des soignants », indique le médecin. « Aujourd’hui, on a des patientes de 18 ans qui viennent consulter, ce qui permet une prise en charge plus rapide. Potentiellement, vous ne verrez plus ces personnes après la consultation, mais on les aura peut-être sauvées d’une suite de problèmes à vie. Et ça, pour moi qui ai vu pendant des années des patientes avec des quantités importantes de symptômes et de problèmes de santé découlant de l’endométriose, c’est une vraie révolution. »
Note de la rédaction : Si l’endométriose est susceptible de toucher toutes les personnes qui possèdent un utérus indépendamment du genre, nous avons principalement utilisé le féminin pour faciliter la compréhension de cet article.