FAIT DU JOUR Gilles Dumas, l'homme d'une seule commune
Doyen des maires du Gard en termes de mandat, Gilles Dumas en est à son septième et dirige Fourques depuis 1977. À travers une vision particulière de la politique et en anecdotes, l'élu est revenu pour Objectif Gard sur une vie menée au service de sa commune.
Nous sommes en mars 1977 à Fourques. Les élections municipales approchent et rien ne semble distraire Gilles Dumas, 32 ans, professeur d'éducation physique et sportive qui ne lorgne pas sur la place de premier édile de la ville. "Je n'étais pas candidat pour être maire. Je m'y suis retrouvé sans le vouloir", rappelle t-il en 2018. Engagé syndicalement auprès de la SNEP (Syndicat national éducation physique) cet homme érudit, fils d'entrepreneur et descendant d'un ancien maire de la commune, avait naturellement été embarqué dans une liste.
Mais le grand jour venu, la liste gagne et Gilles est désigné maire. "Pendant deux jours, j'ai refusé. Je ne me sentais pas capable. Ça m'a tellement bouleversé que j'en ai oublié ma femme à la maternité", confie-t-il, désormais avec le sourire. Une épouse fidèle qui lui en a pas voulu, toujours présente à ses côtés après 50 ans de mariage. Finalement, il accepte la situation et assume son rôle avec la particularité de devoir gérer une commune avec un budget très modeste à cause d'un événement tragique. En 1923, une partie des tribunes des arènes temporaires s'écroule, faisant six morts, dix blessés et laissant dix enfants orphelins. Condamnée, la commune a dû verser l'équivalent de 15 millions €. "Ça a plombé la commune pendant 30 ans et bloqué l'investissement. Vous imaginez si ça arrive aujourd'hui avec notre budget de trois millions, on se retrouve sous la tutelle du préfet."
Un endettement qui va pousser six maires à jeter l'éponge dans l'entre-deux-guerres. La stabilité viendra ensuite et de quelle manière : après Etienne Courlas (1945-1977), Gilles Dumas n'est que le deuxième maire de Fourques depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ! La croissance économique des Trente Glorieuses va permettre de s'en sortir et Gilles Dumas hérite ensuite des clés de la ville. Pour développer Fourques et obtenir davantage de ressources, il décide de créer une première zone industrielle. "Le soleil ne se lève pas, il faut aller le chercher. J'ai trouvé les entreprises, acheté les terrains et dessiné la zone", se souvient-il. Désormais, la commune en compte quatre pour environ 150 entreprises installées.
Une politique basée sur des principes
Avec une politique claire, "tout l'argent nouveau que l'on gagne on le réinvestit dans la commune". C'est d'abord le réseau d'eau qui va être aménagé avec la mise en eau potable pour les agriculteurs vivant aux portes de Saint-Gilles, car la commune est très étendue. Et puis des équipements vont voir le jour : trois stades, un auditorium, un groupe scolaire refait à neuf, un centre culturel... "Au niveau des grands équipements, on est au complet", se réjouit le maire. Avec un autre principe : "on va continuer à vivre comme des moines au lieu d'améliorer notre train de vie." Résultat, la commune compte seulement 20 employés municipaux et tous les frais des déplacements sont à la charge des élus. "C'est certainement pour cela que je n'ai jamais vraiment eu d'opposition", suppose t-il.
Pas évident de résumer quarante années de mandat en une heure et quarante minutes d'interview. Dans une pièce où il n'a pas vraiment de bureau, deux tables sont juxtaposées pour des séances collectives et supportent des centaines de documents. Les souvenirs et les digressions s'emmêlent mais on n'interrompt pas cet homme de 73 ans qui enchaîne les histoires. Tiens en voilà une nouvelle sur sa couleur politique. Encarté au Parti socialiste, il le quittera en 1986 pour une demande qui n'avait pas été retenue : "Lors d'un comité directeur , je voulais que l'on envoie une motion pour faire fusiller le ministre Christian Nucci, dans le cadre de l'affaire du Carrefour du Développement. Pour l'exemplarité." Depuis il ne se retrouve dans aucune famille politique, se considérant du parti de Platon. Un maire qui évoque les saints comme modèle de société. Loin de se classer dans cette catégorie, il estime avoir toujours appliqué le devoir d'exemplarité d'un élu.
Au fil des élections, le maire a appliqué des principes pour composer son conseil municipal. "Il y en a trois : l'élu doit avoir une compétence particulière, ne pas être fâché avec la moitié du village et adhérer au projet municipal." Depuis ses débuts, il n'y a qu'un seul adjoint encore présent à ses côtés mais tous les deux arrêteront en 2020. "À chaque élection, une partie d'entre nous cède sa place. On renouvelle pour ne pas ausculter une génération. Du coup, la prochaine fois c'est mon tour je suis dans la dernière charrette." Gilles Dumas sera investi de sa mission jusqu'au bout et il est encore très actif sur tous les dossiers.
Son plus gros combat : les inondations
Au-delà d'avoir offert le confort nécessaire aux Fourquésiens, Gilles Dumas a mené un autre combat, celui des inondations. Car sa commune est bordée par le Rhône. Pionnier dans la prévention des risques, il fonde le Syndicat des digues du Rhône en 1986. Le Plan Rhône a été activé pour permettre la création et la réhabilitation des digues. Un projet qui l'a poussé à se représenter en 2014 : "J'avais peur que l'État n'aille pas au bout".
Des travaux que le maire a réussi à lier avec ceux du port de Fourques, "tout le sable décaissé a pu être acheminé sur la digue à seulement deux kilomètres. Cela a permis d'économiser quatre millions d'euros." Quand le port sera terminé, Gilles Dumas aura fini son septième et dernier mandat. Un repos bien mérité. "J'ai un voilier de sport dans le garage. Depuis que j'ai été élu maire je ne l'avais plus sorti. Le jour où le port de Fourques sera inauguré, je le coulerai dedans. "
Quand on lui demande de choisir un souvenir le plus marquant ? Il répond sans hésiter les inondations de 2003. Un épisode de détresse où le maire n'a pas dormi pendant trois jours. "En 2003, c'était le pire mais aussi le plus encourageant. Le centre a été épargné mais dans les campagnes il y avait 1,50 m d'eau avec 250 personnes inondées. J'ai vu un agriculteur porter sur son dos un universitaire auquel il n'avait jamais parlé auparavant. Cette image pleine d'espoir m'a marqué." Une caractéristique du climat local qui pour rien au monde ne le ferait partir. Il aurait pu embrasser une carrière professionnelle d'entraîneur de football une fois ses diplômes obtenus mais cela l'aurait éloigné de son Midi natal et surtout de Fourques. Passionné également de tauromachie, il s'est à nouveau retrouvé à toréer dans les arènes, l'été dernier, lors de la fête votive. Un personnage excentrique.
Et que dire de la chapelle romane qu'il a bâti de ses propres mains pendant 35 ans ! Une longévité et un combat contre les inondations récompensés par une nomination au grade de chevalier de la Légion d'honneur. Mais que va t-il faire après la mairie ? Certainement s'occuper des siens : "J'ai obligé ma famille à vivre différemment", concède t-il. Quoi qu'il arrive, il ne restera pas seul et sans rien à faire. Mais toujours à Fourques...
Corentin Corger