FAIT DU JOUR Franck Lucchesi, l'homme des derbys
Pour cette 7e journée de Ligue 1, Nîmes se déplace à Montpellier pour y disputer le premier derby du Languedoc de la saison. Une rivalité que connaît parfaitement Franck Lucchesi qui a disputé neuf confrontations, un record, entre les deux clubs de 1983 et 1992, sous les deux maillots, sans jamais en remporter une. Contexte, anecdotes, culture du derby... L'ancien défenseur ouvre la boite aux souvenirs.
"Guerrier", "soldat", tels sont les termes employés par la presse de l'époque pour qualifier Franck Lucchesi. Des coupures de journaux et des photos que l'ancien défenseur conserve soigneusement dans l'armoire du salon. C'est chez lui, à Saint-Rémy-de-Provence, que l'Avignonnais de naissance a accepté d'évoquer ses souvenirs de derby. Pourquoi lui ? Car Franck Lucchesi est celui qui en a joué le plus. Neuf au total, de 1983 à 1992, avec la particularité d'avoir porté les deux maillots et surtout de n'en avoir gagné aucun. Sept matches nuls pour deux défaites.
"En 1991, avec Montpellier, on ne gagne pas à cause d'une flaque d'eau", entame-t-il. Pour ce premier derby en première division depuis la création en 1974 de ce qui deviendra le MHSC, Lionel Perez, le gardien nîmois, dégoûte attaquants et supporters héraultais par ses arrêts. "Et quand Vincent Guérin réussit à le lober, le ballon est freiné à 50 centimètres de la ligne !", décrit Franck comme si c'était hier. Le second match où Lucchesi n'était pas passé loin de remporter un derby, c'était le 21 mars 1986 où Nîmes menait 3-0 après une demi-heure de jeu ! "On avait reculé et on finit à 4-4. Je crois qu'Alain Lopez en dévie au moins trois dans nos buts", regrette t-il.
Sanguin et nerveux, Franck Lucchesi fera preuve d'humour dans les dernières minutes après cette folle remontée montpelliéraine : "Je m'infiltre dans la surface et Laszlo Kiss me retient par le maillot. Je l'ai enlevé et je lui ai tendu comme si je voulais lui donner. Le public de la Mosson m'avait sifflé." Un geste qui en dit long sur la personnalité de cet homme des derbys. C'est certainement la fois où les Crocos étaient le plus proche de gagner chez leur meilleur ennemi après l'unique succès en Coupe de France (0-3) en 1977.
Bagarre avec Cubaynes
Les duels s'enchaînent au début des années 1980 lorsque les deux formations évoluent ensemble en D2. "Déjà à l'époque c'est le premier match que l'on regardait quand le calendrier sortait", assure celui qui a terminé sa formation dans le Gard et porté le maillot rouge de 1981 à 1986. Les souvenirs reviennent à la surface et cette fois-ci c'est Patrick Cubaynes qui a fait des siennes lors du derby de 1984. "On mène rapidement 1-0 grâce à un but de Kristen Nygaard. On les mangeait. Un penalty est sifflé. Cubaynes, qui venait de gagner la médaille olympique avec la France, lui prend le ballon des mains et son tir n'est même pas arrivé jusqu'à la ligne. Le lendemain, à l'entraînement, il faisait le beau. On s'est battus. Je partais au quart de tour ! Deux jours après on s'est embrassés."
Malgré le veto de Jean Bousquet, le président nîmois, Franck Lucchesi traverse le Vidourle à l'été 1986. "J'ai dû être transféré pour 40 bâtons (entre 100 000 et 200 000 €) et j'ai doublé mon salaire. Je sentais que Montpellier montait en puissance." Désormais, il allait disputer le derby dans l'autre camp. Le premier cette saison-là est d'ailleurs remporté par Montpellier (1-0) mais Lucchesi est suspendu. "Ça m'arrivait quelques fois", plaisante ce joueur dur sur l'homme que l'on peut comparer à un Éric Di Méco, souvent cité pour ses tacles limites lors des PSG-OM des années 1990.
Il effectue son retour à Jean-Bouin en mai 1987, pour l'avant-dernière journée de championnat. "C'était plein à craquer ! Il nous suffisait de ne pas perdre pour monter. Forcément, Nîmes voulait nous battre. Ça rentrait dedans mais il n'y avait plus beaucoup de vrais Nîmois." Après ce match nul 1-1, les Héraultais accéderont à l'élite à la fin de cette saison instaurant une trêve de quatre ans dans les derbys. Des affrontements déjà à part et quelques tensions entre défenseurs et attaquants. "Je me rappelle avec Éric Cantona, dans le match de la "flaque d'eau" avec des regards et des petites insultes. Mais toujours dans le respect. Tous les matches ont fini à onze contre onze." Lucchesi jouera également un match sous les couleurs Bleu et Orange au stade des Costières en mars 1992, achevé par une victoire gardoise sur un doublé de Vercruysse (2-1). "on s'est cagué dessus. Certains types étaient blancs comme un cachet d'aspirine."
"Les valeurs d'homme, je les ai apprises à Nîmes"
Tout était bon pour déstabiliser l'adversaire comme des petits coup d'épaule à la sortie des vestiaires, sous le tunnel qui mène à la pelouse. Une culture du derby et de la gagne que le Nîmes Olympique a inculqué à Franck. "Les valeurs d'homme, de camarade et de joueur, je les apprises à Nîmes. On était habitué à gagner les matches dans les cinq premières minutes. On mettait deux buts et on fermait."
Franck Lucchesi, par son vécu, porte les deux clubs dans son cœur. "Je n'aurais pas jouer ailleurs", avoue-t-il. Tout le paradoxe de deux clubs qui se "détestent" et qui sont si proches à la fois. L'ascension fulgurante de la Paillade, de la DH à la D1 de 1975 à 1981, est due en grande partie à la venue en fin de carrière d'illustres Crocos : Louis Landi, Henri Augé, Jean-Pierre Betton, Michel Mézy, Jacky Vergnes... L'arrivée récente de Téji Savanier après quatre saisons à Nîmes continue d'entretenir cette rivalité.
Des départs restés, à l'époque, en travers de la gorge de Jean Bousquet. "Quand il est passé maire en 1983, la ville de Nîmes n'a pas renouvelé le marché du nettoyage des ordures avec Nicollin", raconte-t-il. L'attachement de Franck Lucchesi à Montpellier est surtout lié à son affection pour la famille Nicollin. "Loulou est comme un second père pour moi", assure t-il. Ce dernier lui avait promis une reconversion et malgré un retour au Nîmes Olympique de 1992 à 1995, Louis Nicollin fera entrer Franck dans son groupe à la fin de sa carrière. Cela va faire bientôt 20 ans qu'il travaille dans l'entreprise familiale et occupe aujourd'hui le poste de directeur d'exploitation.
Le retour aux sources a lieu lors du mercato estival de 1992 sur la volonté de Michel Mézy, alors président du NO (1991-1994), qui n'a évidemment pas plu à "Loulou". Le derby aux Costières arrive dès la 10e journée, le 6 octobre 1992. "Il considérait que je l'avais trahi et m'avait allumé dans les journaux toute la semaine. "J'aimerais jouer ailier droit pour mettre des petits ponts à Lucchesi", disait-il." Une ruse qui avait réussi à perturber le défenseur qui avait manqué sa rencontre. La tête dans ses livres de souvenirs, Franck se laisse aller à imaginer si Louis Nicollin avait été président du Nîmes Olympique : "Vu comment les gens aiment le foot et la caillasse qu'il avait, ça aurait été grandiose !" Pas sûr que le premier concerné aurait accepté !
Corentin Corger
Le onze type de Franck Lucchesi pour disputer un derby avec la formule, "si on va la à guerre, on a une chance de la gagner." Lionel Perez - Faouzi Mansouri, Laurent Blanc, Bruno Devot, Franck Lucchesi - Éric Castagnino, René Girard, Michel Mézy - Jean-Marc Ferratge, Christian Perez et Patrick Cubaynes. Entraîneur : Kader Firoud et Pierre Barlaguet.
Liste des derbys de Franck Lucchesi :
Avec le Nîmes Olympique (1981-1986) :
19 mai 1983 : Montpellier - Nîmes (3-1, D2), 21 septembre 1984 : Nîmes - Montpellier (1-1, D2), 15 février 1985 : Montpellier - Nîmes (2-2, D2), 18 octobre 1985 : Nîmes - Montpellier (0-0, D2), 21 mars 1986 : Montpellier - Nîmes (4-4, D2).
Avec Montpellier (1986-1992) :
16 mai 1987 : Nîmes - Montpellier (1-1, D2), 5 octobre 1991 : Montpellier - Nîmes (0-0, D1), 7 mars 1992 : Nîmes - Montpellier (2-1, D1)
Avec Nîmes (1992-1995) :
6 octobre 1992 : Nîmes - Montpellier (0-0, D1)