Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 01.02.2022 - anthony-maurin - 6 min  - vu 1502 fois

FAIT DU JOUR Immersion au quartier du Chemin-Bas d’Avignon avec la nouvelle sous-préfète

Séverine Marin-Hebray, Chloé Demeulenaere et Yasmine Fontaine (Photo Anthony Maurin).

Chloé Demeulenaere, secrétaire générale adjointe, sous-préfète en charge, notamment, de la politique de la ville (Photo Anthony Maurin).

Yasmine Fontaine, déléguée de la préfète pour les quartiers est de Nîmes, accompagnait Chloé Demeulenaere, secrétaire générale adjointe, sous-préfète en charge de la "politique de la ville", pour sa première sortie depuis sa prise de poste. Une immersion au sein du quartier du Chemin-Bas d’Avignon.

Chloé Demeulenaere vient du Pas-de-Calais. Elle a fait des études de Droit, Sciences Po avant d'intégrer la fonction publique. Comme elle aimait tout ce qu'elle faisait, mais qu'il fallait bien qu'elle choisisse, elle est partie vers le milieu hospitalier pour devenir, un temps, directrice d'hôpital. Après avoir reçu un appel, c'est en tant que sous-préfète, en Lozère, qu'elle se lance dans son nouveau domaine de prédilection, la proximité. "Me voilà dans le Gard, loin de ma ruralité ! Je suis en poste depuis une semaine, c'est mon premier déplacement, ma première sortie dans les quartiers de Nîmes. Il y a de nombreux sujets à aborder, mais nous voulions commencer, pour ce quartier, par rencontrer nos relais qui sont des acteurs de terrain, les associations. Je veux être présente à leur côté, en complément de ce que peuvent faire les délégués comme Yasmine Fontaine par exemple."

Deux structures ont éveillé l'intérêt de la sous-préfète. L'association le Rocher met en place avec les habitants du quartier des activités sociales, éducatives et culturelles, en réponse à leurs besoins. L'association Union des citoyens des deux rives (UCDR) propose quant à elle des ateliers d'apprentissage de la langue française, des permanences d'accès aux droits et de l'accompagnement à la scolarité à travers du soutien scolaire. Enfin, une rencontre avec les fonctionnaires de la police nationale, la police contact, était également au programme de cette première sortie.

Alain, Saskia et Jean-Luc parlent aux représentantes de l'État (Photo Anthony Maurin).

Avant tout, Alain Froment, ancien président national et Gardois de coeur, tient à rappeler l'implantation du Rocher au Chemin-Bas-d'Avignon, au sous-sol de l'église Notre-Dame-du-Suffrage-et-Saint-Dominique. "L'église devait être rénovée et le sous-sol a été aménagé pour nous grâce à l'action d'Yves Dassonville. Il a été le ciment de tout ce que nous avons construit. Il a su dire et faire comprendre pourquoi l'arrivée du Rocher était importante dans un tel quartier. Il aimait dire qu'il ne connaissait pas d'association plus catholique que la notre, mais qu'il n'en connaissait pas une qui était plus laïque non plus."

Un rocher auquel se rattacher, s'accrocher

Saskia et Jean-Luc Mincheni, le nouveau couple de responsables de l'antenne nîmoise du Rocher, reviennent sur leur arrivée : "Nous sommes venus vivre au Chemin Bas, au coeur du quartier, avec notre fils Noé âgé de 15 ans. Nous sommes là pour trois ans, c'est toujours comme ça au Rocher." C'est un réel atout d'habiter le quartier, mais c'est aussi déstabilisant pour qui n'est pas habitué. Dans l'association, trois volontaires sont en service civique pour un an et de nombreux bénévoles donnent un coup de main quand le besoin s'en fait ressentir.

"Jean-Luc était régisseur dans le monde du spectacle. Moi j'étais clown, mais aussi éducatrice spécialisée. En couple, nous voulions partir en Afrique mais la covid est arrivée. On a dû faire une pause dans nos vies professionnelles car nous ne pouvions plus exercer, mais nous voulions agir. Notre désir a rencontré cet appel et nous voilà Nîmois", ajoute Saskia. Dans le quartier depuis septembre, les nouveaux responsables du Rocher prennent encore leurs marques. Sur le pull de Jean-Luc, une inscription donne le change : "Oser la rencontre, choisir l'espoir."

Le Rocher, une association catholique qui veut créer des ponts entre les humains et réinvestir les quartiers en y mettant une bonne dose d'humanité (Photo Anthony Maurin).

"La ''politique de la ville" recouvre de nombreuses et variées actions. De la cohésion sociale à la mixité en passant par l'égalité des chances, les relations hommes-femmes... Il y a du travail mais c'est passionnant. C'est un défi, c'est aussi un bonheur", poursuit la sous-préfète qui était accompagnée par Séverine Marin-Hebray, stagiaire à Sciences Po.

Dans la retenue jusque-là, Jean-Luc Mincheni ne veut pas que l'État reparte sans savoir : "En quatre mois, je vois que nous avons tout intérêt à revenir vivre ici, à habiter ces territoires, à faire revenir une diversité de commerçants sur le marché, à faire comprendre aux bailleurs sociaux qu'il faut plus de mixité, à revoir les cages d'escaliers sans ascenseurs... Ici, tout le monde veut partir, comment ne pas le comprendre ? On essaie de vivre comme ça, mais on s'est pris un mur dans la tête quand on a compris la situation. Saskia a dû s'arrêter un mois en maladie, nous sommes confrontés à une réalité insupportable en habitant ici. J'imagine celles et ceux qui y habitent depuis des décennies... Nous ne pouvons pas échapper à tout cela, il y a une vraie urgence, il faut revenir occuper l'espace. À la longue, tous ceux qui tentent des choses s'épuisent." Ou comment profiter du Rocher pour s'accrocher à quelque chose.

Le budget du Rocher est composé de 20 % de subventions de l'État et de 80 % de financements privés. Saskia reprend sur son nouveau quartier. Des yeux neufs, un même constat : "Il n'y a ni mixité, ni intégration. Ces HLM doivent s'ouvrir à d'autres horizons, d'autres publics. Des gens de tous les âges, de toutes les catégories sociales. Il faut peut-être revoir la carte scolaire. On est là pour vivre ensemble. Nous avons nos préjugés, les habitants ont les leur, mais nous devons vivre ensemble." Pour créer du lien social, le Rocher doit investir un peu plus et un peu mieux le quartier. Il s'y attèle et l'État l'aide. Trois logements sont mis à disposition pour les membres du Rocher mais cela ne suffit pas. L'État va essayer de faire un effort supplémentaire.

En octobre dernier, le Rocher a fêté ses 20 ans à Paris. Le 10 février sera créé à Nîmes un nouveau Rocher qui s'ancrera sur le territoire car il sera organisé en fédérations. Et la sous-préfète sera de la partie pour assister à cette nouveauté. Si vous voulez rencontrer les membres de l'association, ils tiennent tous les mardis un stand de café au marché.

Deux rives à réunifier

Deuxième petite visite de Chloé Demeulenaere : l'UCDR. Les habitués du Chemin-Bas connaissent par coeur cette belle association. Cependant, l'Union des citoyens des deux rives, via la voix de son porte-parole Moncef Garrouri, laisse elle aussi entendre son désarroi quant à l'avenir du quartier. Son association est la plus vieille du secteur et il n'a jamais eu la langue dans sa poche. Lui comme les membres de sont staff sont connus et reconnus.

"L'éducation est un problème. Nous voyons des enfants, jeunes, du primaire et du collège, qui sont emmenés à la mosquée par leurs parents pour apprendre l'arabe... Mais la mosquée n'est pas là pour ça. C'est religieux et forcément, quand on leur parle des choses de la vie de tous les jours, pour eux, tout est interdit. Ces gens-là disent n'importe quoi, ils ne savent pas ce qu'est l'Islam. Vous vous rendez compte qu'ils font apprendre des sourates par coeur à des enfants de six ans qui ont aussi des devoirs à faire ? Les mercredis et les samedis, on voit ces jeunes, habillés et traînés par leurs parents, aller à la mosquée. Les gens qui leur apprennent l'arabe ne sont même pas diplômés !"

Une petite visite à l'UC2R (Photo Anthony Maurin).

Permanence sociale et juridique, médiation école-famille dans le quartier, ateliers sociolinguistiques, insertions des femmes et parentalité, actions collectives d'insertion, ateliers multimédia, activité périscolaires, soutien scolaire et point écoute jeunes, l'UC2R fait beaucoup, mais ses forces s'amenuisent.

"Je viens de Tunisie, un pays laïque, je connais la laïcité. Là-bas, il n'y avait même pas de séparation entre filles et garçons à l'école, mais maintenant et ici j'ai l'impression de revenir 200 ans en arrière ! Les dangers de la radicalisation sont là. Notre association insiste sur la laïcité, sur les valeurs de la République. Avant, même dans le quartier, il y avait un peu de mixité mais aujourd'hui on recule et ça devient grave. Nous luttons de toutes nos forces mais l'État doit voir comment sont éduqués les jeunes dans ces mosquées... Il y a un réel travail à faire sur la parentalité", ajoute Moncef Garrouri qui ne voit aucun "bon signe" dans ce qui se passe au coeur de son quartier.

Une discussion en profondeur pour des sujets d'importance (Photo Anthony Maurin).

Autre problème structurel pour l'association, le manque d'intérêt de celles et ceux qui veulent agir. "Les gens ne veulent plus s'engager dans les quartiers. Nous avons un problème de recrutement. Nous avons trois postes à pourvoir et pas de réponse à nos annonces. Il en va de même pour les services civiques, ça limite nos activités. Nous voyons les problèmes. L'État ne peut pas faire la sourde oreille, tout ce qui arrive maintenant, nous le disons depuis 20 ans", lâche le patron Garrouri. Comment aider ? Par un meilleur financement ? Oui. Par des salaires un peu plus élevés pour ces postes à pouvoir ? Oui, aussi. Pour les contrats "adulte relais", comme celui d'Amal, c'est aussi compliqué alors que c'est renouvelable... La sous-préfète reviendra le 16 février. "Simplicité, proximité, efficacité. On va essayer de faire ça !", conclut elle.

Pour finir sa visite, elle a rencontré la police nationale. Stella, bien connue des habitants du secteur car en poste depuis des années dans le quartier, ne lâche rien. "Les trois agents que vous voyez maintenant sont volontaires pour être en poste dans ce quartier. On va partout, on essaie, quand on le peut, d'aller voir les associations, mais nos missions ne sont pas sans difficultés. On a toujours un véhicule en renfort, on essaie de rentrer dans les immeubles. Nous sommes encore là et nous sommes visibles."

(Photo Anthony Maurin).

Anthony Maurin

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