FAIT DU JOUR Deux journées dans les Cévennes pour dater le décès du mammouth de Durfort
Une paléontologue, un paléo-généticien, un expert des pollens, un autre des sédiments et de paléo-magnétisme, un troisième de datation absolue et un spécialiste de la faune préhistorique se sont donné rendez-vous à Durfort, ces mercredi 15 et jeudi 16 juin pour enquêter autour du lieu où le squelette de mammouth fut découvert, en 1869. L'objectif de ces scientifiques : réduire la fourchette, trop large actuellement, de la période durant laquelle le mammouth de Durfort aurait trouvé la mort. Soit, au stade actuel des hypothèses, il y a entre 700 000 et... deux millions d'années.
Une pelle mécanique et surtout beaucoup de matière grise se sont donné rendez-vous, deux jours durant, au bord de la départementale 982, à Durfort-et-Saint-Martin-de-Sossenac. Alors que le mammouth de Durfort - qui trônait jusqu'au début du mois dans la galerie d'anatomie et de paléontologie comparée du Muséum national d'histoire naturelle de Paris - s'apprête à connaître une restauration salvatrice, et près de 125 ans après son exposition au grand public, des scientifiques cherchent désormais à en savoir plus sur la période dans laquelle il aurait glissé dans ce petit marécage, qui fut à la fois son tombeau et l'écrin de sa conservation.
"On n'est pas ici pour relancer une fouille"
"Nous sommes ici deux jours pour effectuer des prélèvements et des mesures afin d'améliorer le calage chronologique, détaille Régis Debruyne, paléo-généticien au Muséum national d'histoire naturelle. Au départ, on a estimé qu'il datait de deux millions d'années. Sauf qu'ici, il n'y a aucune connexion avec le terrain, plutôt vieux de 100 millions et jusqu'à 60 millions d'années. Sur cette petite zone, on est entre deux effondrements de calcaire qui ont fait que les terrains au-dessus se sont effondrés. Sauf ce trou avec le mammouth." La fenêtre de temps, large (entre 700 000 et deux millions d'années, donc), mérite d'être raccourcie. "On sait qu'il est mort sur place, a priori embourbé. On a retrouvé deux mètres de lacustre par dessus. Il est possible qu'on soit face à une période inter-glaciaire", échafaude Régis Debruyne.
Pour affiner la datation, l'équipe a besoin d'analyser les sédiments, les pollens contenus dans le sol et de mesurer le paléomagnétisme (*). "On a retrouvé beaucoup d'animaux morts avec lui, poursuit le scientifique. A priori, ce sont des animaux de la même époque", des hippopotames géants, des rhinocéros, bisons, cervidés, chiens, carnivores... Sauf que ce butin de la fin du XIXe siècle a été partiellement disséminé.
"Le matériel a d'abord été envoyé à Montpellier, la faculté locale. Puis, le propriétaire du terrain a demandé de l'argent et la faculté a alors fait appel au Muséum. Une partie du matériel a alors migré à à Paris, avec le mammouth, une partie est restée à Montpellier et une autre à Lyon." Montpellier avait pourtant perdu la mémoire de cette conservation que le Muséum national lui a rappelée. La flore est également très présente dans ce qui avait été collecté au départ, notamment dans les couches argileuses qui ont conservé le spécimen. "Elles traduisent une végétation méditerranéenne, inter-glaciaire, avec des plantes qu'on retrouve de nos jours en Asie mineure, en Iran..."
Les spécialistes s'apprêtent à réaliser une tranchée mais "on en peut pas creuser exactement au même endroit, constate Régis Debruyne. C'était un très grand trou à l'époque, qui a été remblayé de façon anarchique. On ne peut donc pas retrouver les couches sédimentaires. De plus, on s'appuie aussi sur la démarche paléontologique d'André Bonnet, un passionné de Durfort qui a travaillé sur le site il y a vingt ans. En regardant ce qui avait été fait entre 1870 et 1970, il a creusé où il pensait que c'était intéressant." Il suffit, pour cela, de traverser la route. "Il a validé son hypothèse en trouvant les mêmes sédiments et les mêmes fossiles de l'autre côté. Si on peuvait déjà caler une datation sur le dépôt d'argile...", espère Régis Debruyne.
Le reste, ce sera affaire d'analyses "pour corréler à ce qu'on suit sur d'autres sites". La radioactivité naturelle du sol doit aussi être mesurée, puis comparée avec celle des dents d'espèces retrouvées sur place et conservées à Montpellier. Mais pas du mammouth... Son émail est peu accessible et le squelette a, de toute façon, le statut de Collection patrimoniale, qu'on ne peut altérer, même pour une recherche. "On n'est pas ici pour relancer une fouille, s'empresse d'ajouter Régis Debruyne. Sauf si on met à jour quelque chose d'exceptionnel..." Des ossements humains par exemple, nos ancêtres étant possiblement présents il y a déjà un million d'années.
"Trouver la plus petite fenêtre possible"
Ce travail sur les dents contraint les scientifiques "à travailler à rebours, parce que la radioactivité baisse avec le temps. Avec une seule dent, on risque de contraindre les dates. En même temps, en paléontologie, on n'a pas de problème avec les fourchettes." Une façon de dire que de l'étude ne sortira, évidemment, pas une date de décès du calendrier grégorien mais une estimation, une échelle de temps. "Mais il nous faut trouver la plus petite fenêtre possible." Durfort est l'un des trois sites de France où ont été découverts des restes de mammouths méridionaux qui ont vécu dans Europe d'il y a 3,5 millions d'années à 600 ou 700 000 ans. Le mammouth laineux, plus connu, est plus tardif et a profité du froid qui a décimé son prédécesseur, en lui supprimant les forêts.
La présence de ces six scientifiques sur deux jours, Durfort la doit au besoin de restaurer le fossile. Et à la pugnacité de son maire, Robert Condomines. "Quand j'ai vu qu'une cagnotte était lancée pour la restauration du mammouth de Durfort, et qu'on n'était pas associé en tant que village, j'ai appelé pour dire ce que je pensais", sourit-il aujourd'hui. Ce qui avait donné lieu à une première rencontre, une conférence donnée à Durfort par les scientifiques "avec un peu plus de 100 personnes". Assez pour que ces derniers prennent la mesure de la popularité dont jouit encore le mammifère à proximité du site de sa découverte. "Depuis, on est en contact pour mettre le site en valeur."
Dans l'attente, la restauration du mammouth a commencé par son démontage, du 31 mai au 3 juin derniers. "Je m'attendais à ce qu'il y ait plus de problème, commente la responsable de la galerie, Cécile Colin, paléontologue elle aussi. Notamment pour un humérus dont on craignait qu'il ne parte en miettes." Il n'en a rien été. "Tout ce qui manquait a été complété à l'époque, poursuit Cécile Colin, et on a gardé les côtes et les vertèbres avec leur armature métallique." Environ 190 os manquent, dont une bonne part des vertèbres de la queue, "mais il y en a quand même plus que ce qu'on pensait".
Après 15 jours de tests, puis le nettoyage ou le retrait des anciennes colles et résines, les os seront consolidés. Avec, ici aussi, une bonne surprise : "Ils ne sont pas aussi friables que ce qu'on craignait", rassure Cécile Colin. Le mammouth de Durfort devrait retrouver sa place en février 2023 dans la galerie du Muséum national, dans une position scientifiquement plus respectueuse de la démarche et de la physionomie des mammouths que ne l'avaient imaginée les responsables de 1898, lors de sa première exposition. Entre-temps, la terre aura peut être parlé et livrera un acte de décès plus précis de ce juvénile, qui glissa sans doute d'un talus dans une mare dans les débuts du Quaternaire. À moins que ce ne soit vers le milieu...
François Desmeures
francois.desmeures@objectifgard.com
* Variations du champ magnétique terrestre au cours des temps géologiques.
La restauration du mammouth, estimée à 300 000 €, a fait l'objet d'un appel à contribution qui a récolté près de 170 000 €. Il est encore possible d'y participer via ce lien.