Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 24.02.2022 - anthony-maurin - 5 min  - vu 3748 fois

FAIT DU JOUR Le Mas de Mingue entre renouvellement urbain et histoire sociale ?

Les adhérents ne comprennent pas pourquoi la Boule d'Or doit disparaître de son emplacement historique (Photo Anthony Maurin).

Derrière le comptoir, Rosette et Waguy (Photo Anthony Maurin).

Le Mas de Mingue est en pleine mutation. Un renouvellement urbain qui aurait dû débuter voilà des décennies. Avec ce lifting sociétal et architectural, les anciens lieux de vie passent peu à peu dans l'ancien monde. La Boule d'Or ne veut pas en faire partie. Entre un futur hypothétique et un passé historique, pourquoi faire un choix ?

Ils s'appellent Rosette, Waguy ou encore Younès, ils connaissent leur quartier et le rôle que cette simple petite structure peut y jouer. Ici, c'est la Boule d'Or, perçu comme un lieu de convivialité, de partage, de discussion où le prétexte pour venir n'est autre que celui de rencontrer son prochain et de passer un bon moment ensemble.

Mais le renouvellement urbain, nécessaire au Mas de Mingue comme ailleurs dans Nîmes, passe par là et veut donner un second souffle au secteur. Avec la barre d'immeuble éponyme mise à terre il y a de cela plusieurs mois, quel sera l'avenir de la petite association ? D'ici le mois d'avril les adhérents doivent quitter les lieux. Ils sont au courant depuis le mois d'octobre 2021, il y a même eu une concertation mais la Boule d'Or ne se rappelle pas y avoir été invité alors qu'elle est la plus vieille association du quartier.

Dans la "fenêtre", la Boule d'Or. Elle devra être détruite pour accueillir une vaste place qui sera le coeur du futur quartier (Photo Anthony Maurin).

Créée en 1962 par les Pieds-Noirs qui débarquaient du Maghreb, la Boule d'Or était un cercle, une amicale bouliste. Située sur deux parcelles avec bail emphytéotique à la clé, la Mairie et les HLM sont tout de même les propriétaires des 1 000 m² qu'occupent la Boule d'Or. Pour Rosette, "au début elle a été créée par nos aînés pour réunir tout le monde. Personne, à l'époque, n'avait encore des repères dans le quartier naissant. Nous étions à côté du centre aéré. La Boule d'Or tissait du lien social. Notre famille y est impliquée depuis les années 1960 mais notre père en était le président dans les années 1980."

Le portail est un des symboles du quartier et l'été les soirées guinguette animent le secteur (Photo Anthony Maurin).

Depuis, Rosette et son frère Waguy, assurent la relèvent et le service qui va avec. En loi 1901, l'association fonctionne avec des bouts de ficelle, comme toujours. "La construction a été bâtie par les premiers adhérents. Tout le monde se connaissait donc il était facile de trouver des mains. Un montait les murs, l'autre posait le carrelage, le troisième s'occupait du jardin ou de construire un barbecue... On s'est toujours débrouillés avec les moyens du bord mais là, nous avons besoin de garder les murs et de rester dans cet endroit du quartier. Même d'anciens Pieds-Noirs qui habitent à l'étranger viennent encore nous aider !" Et l'association achète encore des gerbes de fleurs pour célébrer la mémoire de ses plus illustres adhérents.

Sur l'arrière, la Boule d'Or a même son petit poulailler (Photo Anthony Maurin).

Un quartier gangrené par ce que l'on peut imaginer dans de telles situations. On l'a encore vu il y a quelques jours avec les barrages filtrants mis en place par quelques caïds dealers du secteur. Le quartier bouge et mue. Sa peau change mais sa chair reste la même. "Quand la barre de la Boule d'Or a été démoli, la Ville a proposé, logiquement, de reloger les habitants. Nous, on se réunit depuis 60 ans ici et nous ne voulons pas la destruction de ce symbole du quartier ! En plus, on ne nous propose rien en retour, même pas un local au coeur du quartier... Nous ne comprenons pas, nous pensons être utiles au quartier, même la police le dit !"

Les adhérents ont proposé de laisser à la Ville une seule des deux parcelles, celle où se situe la construction pourrait lui suffire. Mais la Ville aurait refusé (Photo Anthony Maurin).

Le fait d'avoir de l'ancienneté dans le quarter, d'y habiter et d'y vivre permet aux adhérents de la Boule d'Or de modérer certains comportements, de contrebalancer les opinions, de montrer que la tolérance et la parole peuvent encore avoir des atouts. Il est vrai que celles et ceux qui entrent ici peuvent venir boire un coup mais de là à évoquer une quelconque concurrence avec des commerçants... "Nous sommes entre l'église et la mosquée. Nous n'avons aucun problème avec l'une ou l'autre ! Au contraire, il y a une belle tolérance. Ça nous crève le coeur de voir comment nous sommes traités. Nous ne demandons même pas de subventions à la Mairie. Déjà qu'on nous a enlevé la procession de l'Ascension."

Le terrain vague qui marque l'emplacement négatif de la tour de la Boule d'Or, tour abattue il y a quelques mois (Photo Anthony Maurin).

Car pour la fête des Pieds-noirs, à Santa-Cruz, la Vierge avait ses quartiers dans le local de la Boule d'or. "Elle y a même dormi ! C'était incroyable. Certains Pieds-noirs sont tout de même venus mais vous auriez connu l'ambiance qu'il y avait à la Boule d'Or il y a quarante ans..." En réalité, plus qu'une simple asso, la Boule d'Or est un vrai lieu de mémoire. Durant ces années fastes, l'association ouvrait ses portes de 9h à 22h, aujourd'hui, avec l'évolution des moeurs, les gens s'y retrouvent entre 16h et 23h. "On a le billard, le babyfoot, les jeux de cartes, le rami, les dominos, le 421... L'été on fait les grillades, on met la petite piscine pour les gamins du quartier car Fenouillet (la piscine municipale la plus proche, NDLR) est loin."

La Boule d'Or est presque une maison de quartier tant l'accueil des habitants du secteur y est aisé. L'aide est monnaie courante, y compris pour la paperasse. Waguy est derrière le bar depuis 27 ans, il est plus que barman, il est assistant social, éducateur, psychologue... Une personnalité totem du Mas de Mingue, un référent, quelqu'un qui ne met pas les autres dans des cases.

(Photo Anthony Maurin).

Sauf que. Sauf que l'endroit doit subir un remodelage exemplaire. La barre d'immeuble est donc tombée, place à un grand espace où le marché s'installera avec des bosquets et des endroits éclaircis. En lieu et place de la construction de la Boule d'Or, la future place qui sera au coeur du quartier. "La Ville est certainement dans son bon droit de nous demander de partir mais notre bail finit en septembre 2030 ! On aimerait, au moins, que la loi soit respectée. On ne demande par d'argent mais a minima qu'on nous compense la perte de ces années et qu'on nous reloge comme cela est fait ailleurs et pour tout le monde."

Au fond, l'église, au fond à gauche, la Boule d'Or qui avait donné son nom à la barre d'immeuble qui a été détruite... Un nom qui a marqué l'histoire du quartier (Photo Anthony Maurin).

Ok pour déménager, l'association est d'accord pour s'installer ailleurs, pourquoi pas en garrigue afin de conserver l'esprit guinguette ? "Nous ne sommes pas contre le renouvellement urbain, bien entendu, mais en quoi la Boule d'Or est-elle gênante ? Nous sommes ouverts du lundi au dimanche, mieux qu'un service public et nous ne coûtons rien à l'État !"

À la Boule d'Or, les discussions vont bon train mais l'inquiétude est palpable (Photo Anthony Maurin).

Un jeune entre dans la salle. "Il n'y a plus de Mas de Mingue si la Boule d'Or disparaît. Mon grand-père venait déjà ici et je viens moi aussi. Plusieurs générations s'y succèdent et c'est un peu notre histoire. Celle des hommes et des femmes du quartier qui est racontée entre ces murs. On sait qu'on doit rénover le quartier, mais là ils sont en train de le tuer."

Quelques symboles de l'histoire de l'association (Photo Anthony Maurin).

Avec une cinquantaine d'adhérents sociétaires, la Boule d'Or n'est pas parmi les plus grosses associations de la cité des Antonin. Mais ne compte-t-elle pas parmi les plus nécessaires ? "La Mairie s'est engagée à venir nous voir pour trouver des solutions avec nos sociétaires mais nous n'avons plus de nouvelles. Ils n'ont pas respecté leurs engagements." La lutte, pacifique, risque d'être longue mais elle a du sens. Le bail doit être résilié à la mi-avril mais avec l'approche du ramadan, l'association a eu droit d'occuper les lieux quelques maigres semaines de plus. L'association va créer une page Facebook et commencer à faire signer une pétition.

Sur la droite en noir et blanc, le "papa" de Rosette et Waguy (Photo Anthony Maurin).

Anthony Maurin

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