FAIT DU JOUR Les sociétés publiques locales ont-elles trop de pouvoir ?
L’affaire de la Senim ouvre le débat sur le pouvoir grandissant des sociétés publiques locales (SPL). Ces structures de droit privé financées par des collectivités (mairies, communautés de communes, etc.) pour conduire certains de leurs projets et services publics.
C'est l’élu d’opposition à la Ville de Nîmes, Vincent Bouget, qui a lancé le débat. Sur notre plateau 19 heures, Le live, le 24 novembre, le communiste réagit à l’affaire de la Senim. La société d’économie mixte de Nîmes, créée en 1986 sous la mandature de Jean Bousquet. Dans les années 2000, l’élu Franck Proust en est le président directeur général (*). Il est aujourd’hui renvoyé devant le tribunal, soupçonné d’avoir favorisé des promoteurs dans la vente de terrains ainsi que des entreprises dans la réalisation de travaux. « Je n’irai pas sur le terrain judiciaire, prévient Vincent Bouget. En revanche, les questions politiques m’intéressent. À l’échelle de l’Agglo ou de la Ville, on continue de reverser des compétences et de déléguer des projets à des sociétés privées. »
À Nîmes, les débuts de la décentralisation
Des sociétés privées certes, mais dirigées et financées par les élus. Initiées dans les années 80, les SEM (Société d’économie mixte) ont accompagné les lois de décentralisation. Les fameuses lois Defferre qui ont donné aux collectivités (mairie, département, région) d’avantage de pouvoir en matière de construction d’école, de collège, de logement... L’idée était de mieux répondre aux besoins de la population. À Nîmes, la Senim a commencé par aménager la zone commerciale de Ville active ainsi que celle de l’Esplanade Sud pour le compte de la Ville. L'Esplanade Sud, c'est cette vaste zone de 70 hectares, comprenant les terrains des Trois brasseurs ainsi que les bureaux et logements du promoteur Pragma, cités dans l’affaire de la Senim.
Concrètement, la SEM a acheté, aménagé puis revendu des terrains à des promoteurs immobiliers, qui y ont construit des bureaux ou des logements, avant de les louer ou revendre à leur tour. Trente ans plus tard, la Senim - devenue entre-temps SAT (**) - est sur le point de clôturer l’opération Esplanade Sud avec un résultat positif de six millions d’euros. Toutefois, les SEM ont perdu de leur superbe. Financées majoritairement par les collectivités, elles pouvaient répondre à n'importe quel marché public et entraient en concurrence avec des sociétés privées. Ce qui n'a pas été vraiment du goût de l'Europe.
Une entreprise au service des collectivités
En 2010 apparaissent alors les SPL (Société publique locale). En 2012, Nîmes créé la SPL Agate, présidée aujourd’hui par le premier adjoint de Nîmes, Julien Plantier, et dirigée par le directeur général, Antoine Cotillon. Financée à 100% par le secteur public, Agate travaille uniquement pour ses actionnaires à travers des contrats (et non plus des appels d'offres, NDLR), différents selon l'opération. Début 2020, Nîmes métropole a mis deux mois pour confier à la SPL la concession d’aménagement de Magna Porta. Une zone d’activité autour de la gare Nîmes-Pont du Gard. « Au départ, l’Agglo a préféré monter une équipe pour gérer le dossier avec notamment Francis Aynaud, le directeur général. Un garçon adorable mais pas un opérationnel », commente Antoine Cotillon.
Avec sa trentaine de salariés, Agate met en avant son expertise. Magna Porta a été chiffrée à 78 M€ sur 20 ans. L’Agglo y contribuera à hauteur de 20 M€ et la société publique locale empruntera le reste. « La vente des terrains remboursera la créance et financera notre pourcentage. Nous rendrons le reste des bénéfices à l'Agglo », poursuit le directeur, assurant « qu'Agate sait faire de l'argent, contrairement aux collectivités. »
L'opposante communiste, Sylvette Fayet, a réagit à l'achat d'un terrain à Redessan « au double du prix fixé par France Domaines ! S’agissant des deniers publics, nous avons tous intérêt à la prudence. » Et de demander à intégrer le conseil d'administration de la SPL « par souci de transparence. » « Même si l’opposition y siégeait, elle ne pourrait pas bloquer l’achat d’un terrain. Le conseil d'administration se prononçant uniquement sur l'opportunité de mener une opération », répond le directeur, prêt à discuter de sa stratégie.
La délégation de pouvoir aux sociétés publiques n'est pas obligatoire. D'ailleurs à Nîmes, la Ville a choisi elle-même son aménageur pour le Mas des Lombards. Un projet d’écoquartier de 46 hectares qui sera construit, route de Beaucaire, par le groupe Eiffage. Seulement, toutes les mairies n’ont pas les ressources en interne pour mener à bien leurs projets. À Beaucaire, la commune a fait appel à la SPL Terre d'Argence pour réhabiliter deux de ses écoles, Garrigues Planes et Nationale, à travers un contrat de mandat. « Nous suivons le dossier étape par étape. C'est nous qui avons choisi l'architecte. La SPL apporte son expertise et nous, nous décidons. Les sociétés publiques sont ce que les élus en font », indique le directeur de cabinet de la Ville, Yoann Gillet.
Et la démocratie dans tout ça ?
Depuis sa création, Agate est montée en puissance, endossant de nouvelles compétences. Outre l'aménagement du territoire, ses 110 salariés gèrent le tourisme et le stationnement à Nîmes. « Sur le tourisme, hors subvention de la Ville, nos fonds propres sont passés de 50 000€ en 2016 à 750 000€ en 2019 », expose Antoine Cotillon. Sa recette ? « La gestion de ce service comme une entreprise. Exemple : nous avons arrêté le contrat du prestataire pour le "petit train". À la place, nous avons embauché deux chauffeurs. Ça nous a permis de maîtriser les horaires et de modifier le tracé. »
L'opposition ne reste pas fan de ce mode de gestion : « Nous ne savons pas vraiment ce qui est fait. Même si des rapports annuels sur certaines opérations passent au conseil municipal, ces compétences transférées échappent au débat démocratique. Peu à peu, les élus se dépossèdent de compétences qu'à l'avenir, ils auront du mal à maîtriser. »
Coralie Mollaret
coralie.mollaret@objectifgard.com
* Le directeur général endosse la responsabilité pénale d'une structure. Au début des années 2000, le directeur était Michel Bonnet, issu de la SCET (Services, Conseil, Expertises et Territoires). Une société d'ingénierie de projets accompagnant les collectivités et leurs satellites.
** La SAT (Société d'aménagement des territoires) a encore quelques zones économiques à gérer comme Mitra, Georges-Besse, Grézan. Selon nos informations, elle est vouée à disparaître.
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Les sociétés publiques locales soumises à différents contrôles. « Comme tout organisme public, on cumule le contrôle de la Chambre régionale des comptes et de la préfecture. Nous sommes soumis également au contrôle des commissaire aux comptes, comme les sociétés privées », indique le directeur, Antoine Cotillon.