FAIT DU JOUR Pèlerinage de Santa Cruz nouvelle version
Le soleil tape fort . Les pèlerins gravissent lentement le chemin qui mène au sanctuaire. Cette année, rien n'est pareil. Tout se passe en haut. Fini le marché et ses nombreuses échoppes éphémères en bas, la grande procession, les odeurs de brochettes dès l'arrivée sur le parking. Il n'y a pas si longtemps encore, le pèlerinage annuel de Santa Cruz, c'était ça.
Aujourd'hui, la fréquentation étant en baisse constante, les moyens dont disposent l'association des amis de Santa Cruz diminuent eux aussi en proportion. Alors il faut s'organiser différemment. "Cette nouvelle organisation est un ballon d'essai, confie Michel Perez, président de l'association. "On a pas arrêté nos comptes mais il y avait entre 6 000 et 7 000 personnes." Il y a des points positifs et beaucoup de points faibles. On va se réunir et analyser tout ça pour en tirer les conséquences pour l'année prochaine." Si le président s'exprime de la sorte, c'est qu'il a entendu la grogne dans les rangs des pèlerins.
Entre déception et ferveur
"On est perdu", se plaint un groupe à l'unisson assis à l'ombre sur l'esplanade , "on est déboussolé", renchérissent-ils en chœur. En bas, un petit bar abrite un autre groupe de déçus. "Il ne restait plus rien à manger, et puis il n'y avait plus les pancartes alors, on n'a pas pu se retrouver…" Eh oui, elles étaient bien utiles ces pancartes avec le nom, d'un village, d'un quartier d'Oran… Elles permettaient aux pied-noirs de se retrouver de longues années plus tard. Car au-delà du pèlerinage, il y a la joie, la nostalgie, l'échange et puis des rencontres.
Marinette, Gaby, Daniel, viennent du Var et de l'Isère, au-delà de leur déception face à une manifestation qu'ils ont toujours connue et qui, aujourd'hui a perdu de sa saveur, Marinette avoue, "J'ai revu ma cousine germaine que je n'avais pas vu depuis … Et puis on a rencontré Christian et Jean-Pierre… " Petit Paul et Janinne qui viennent "depuis toujours" grognent un peu eux aussi… "Il n'y a plus de pancartes avec les noms des villages"… Michel Perez est formel, "l'année prochaine, ils auront repris leurs repaires." Jean, lui, habite le quartier. Ce matin à la fraîche il a accompagné sa maman de 94 ans au sanctuaire. Il y retourne pour voir des copains, sourire aux lèvres.
Sur l'esplanade les messes se succèdent, dites par 'Monseigneur Wattebled évêque de Nîmes, Monseigneur Jean-Marc Aveline évêque auxiliaire de Marseille et cinq prêtres. Des musulmans se mêlent à la foule des pèlerins. "Les Oranais, quels qu'ils soient, viennent prier Santa Cruz", glisse une dame en passant. Des chants religieux, une Marseillaise… La chaleur ne semble décourager personne. Les places à l'ombre sont pourtant chères. Ça aussi c'est dur pour les plus âgés.
Une communauté en voie de disparition
Une chose est sûre, il faut se rendre à l'évidence, si les choses ne sont plus ce qu'elles étaient, c'est parce que la communauté pied-noirs est "en voie de disparition" selon un Michel Perez réaliste. Les générations à venir ne sont pas aussi motivées. Si on aperçoit certains "jeunes", c'est souvent parce qu'ils accompagnent leurs parents. "En 95, il y avait 140000 personnes, aujourd'hui si il y en a 6000, on est contents," constate Michel Perez. "J'ai envie de passer le flambeau et je ne trouve personne. Même mes bénévoles ne sont plus tout jeunes", déplore le président. Il n'en reste pas moins que l'organisation s'accroche. "L'an prochain, il y aura le retour de la chorale andalouse", promet-il. L'association des amis de Santa Cruz continue de se démener pour faire survivre la mémoire… et n'est pas contre un coup de main.
Pour en savoir plus et connaître toutes les actions en cours : sanctuaire-santa-cruz.fr
Un peu d'histoire
José Bueno, marinero oranais et Nîmois d'adoption, écrivait en 2002 une histoire à la fois complète et joliment tournée dont voici des extraits.
"Il m'a semblé intéressant de faire partager à nos amis, quelques connaissances sur l'origine de la Patronne de l'Oranie : Notre Dame de Santa-Cruz. Santa-Cruz est le nom du fort, situé au-dessus de la chapelle. Il fut construit pendant l'occupation espagnole au XVIII siècle.
Les Espagnols, dans leur esprit de foi catholique, avaient donné un nom religieux à tous les principaux ouvrages militaires élevés par eux autour d'Oran . En 1830, la France conquit l'Algérie.
L'épidémie
Une épidémie de choléra qui sévissait dans le bassin méditerranéen et notamment en d'Italie, toucha Oran. Après quelques jours, aidé par une sécheresse qui n'en finissait plus, on dénombrait 1172 victimes. Les habitants, toutes confessions confondues, devant cette hécatombe, décidèrent de s'adresser à l'autorité militaire, le Général Pelissier qui gouvernait Oran, pour demander de l'aide. Après une étude des remèdes, des moyens mis en place et précautions d'usage pour lutter contre l'épidémie, force est de reconnaître que tout paraissait vain, l'épidémie gagnerait dans les jours à venir encore du terrain. Il faudrait de la pluie pour stopper l'épidémie. C'est alors en conclusion d'une énième réunion des autorités civiles, militaires et religieuses que le général Pelissier interpella l'abbé Suchet, Vicaire général d'Oran : "Mais qu'est-ce que vous faites, Monsieur l'Abbé, vous dormez ? Vous ne savez donc plus votre métier ? le choléra ? Nous n'y pouvons rien : ni vous, ni moi, ni personne ne pouvons l'arrêter. Je ne suis pas curé et, pourtant, c'est moi Pelissier, qui vous le dis : faites des processions ! " Et l'officier jeta comme un cri de désespoir ou de suprême espoir ces mots devenus célèbres : " Foutez-moi une Vierge là-haut sur la montagne : elle se chargera de jeter le choléra à la mer"
La première procession
Dès le dimanche 4 novembre est organisée une procession vers la montagne du Murdjadjo. Les Oranais allèrent à l'église Saint-Louis située au quartier de La Marine(cette église est devenue la cathédrale d'Oran jusqu'en 1930), où se trouvait Nostra Señora del Salud et ils partirent en procession en portant la Vierge de Notre Dame du Salut. On peut aisément imaginer l'immense foi, la ferveur des chants et prières qui accompagnèrent les premiers fidèles en cette première procession. Arrivés au plateau, ils déposèrent la Vierge et prièrent et chantèrent des louanges encore et encore… Mais le ciel demeurait obstinément bleu.
Le miracle
Quelques heures après le ciel s'assombrit. Quelques gouttes de pluie commencent à tomber, se mélangeant aux larmes de joie des assistants. La pluie s'arrêta puis elle repartit en fines gouttes. Miracle ! ! La foule retombe à genoux. La pluie redouble de force et de violence pendant deux jours. L'épidémie est vaincue.
Le Miracle de la Pluie avait eu lieu. Il a marqué à jamais les esprits de nos anciens. Une chapelle fût érigée, dès 1850. En 1873, une grande tour, surmontée d'une statue géante de la Vierge compléta l'édifice. De ce sommet Notre Dame du Salut devenue Notre Dame de Santa-Cruz veillait et protéger les Oranais. Dès lors, chaque année, le jour de la fête de l'Ascension est devenu le rendez-vous des Oranais et des Oraniens (habitants de la région d'Oran (NDR)). Ce rassemblement aussi était l'occasion pour ceux moins pratiquants, de passer une belle journée à la montagne, pour plaisanter et rigoler, cherchant d'abord le meilleur endroit pour faire une paella au feu de bois ou faire cuire les brochettes. Au préalable chaque participant allait du côté de la grotte pour allumer un cierge. De nos jours à Nîmes, la même tradition demeure.
L'exode
En 1962, les Oranais quittent leur ville, leur pays…C'est l'exode. On ne sait plus où est parti tel membre de sa famille, de ses amis les plus proches, ses voisins. Chacun est dépaysé, un peu perdu. À Nîmes beaucoup d'Oranais se retrouvent au Mas de Mingue, un quartier à l'extérieur de la ville où des bâtiments H.L.M récemment construits accueillent cette nouvelle génération d'habitants.
Le miracle continue
Le Révérend Père Hébrard, aumônier de la Base aérienne voisine s'étonne de ne voir pratiquement aucun fidèle pieds-noirs venir assister à la messe. Il rencontre alors le président du quartier, Antoine Candéla et Antoine Roca, président de l'association des parents d'élèves. Les deux "Antoine " font alors part de leur sentiment "père nous serons des vôtres si vous prenez l'engagement solennel de vous placer, avec nous sous le vocable de Notre Dame de Santa-Cruz " en souhaitons bien évidemment que la Vierge soit rapatriée elle aussi.
Le défi est lancé, l'aumônier s'adresse à son supérieur, Monseigneur Rougé évêque de Nîmes. Ce dernier encourage cette démarche et rencontre Monseigneur Lacastre alors évêque d'Oran. Considérant que la quasi-totalité de ses paroissiens étaient partis, la Vierge devrait être parmi eux maintenant là où ils se trouvaient. Et il donna son plein accord.
En 1965, c'est par un bâtiment de la Marine Nationale que la patronne des Oraniens traversa la Méditerranée. Grâce à l'opiniâtreté de l'Aumônier et des deux Antoine, la Vierge rejoignit le Mas de Mingue. La générosité d'un nîmois M. Régis Denis qui céda pour un franc symbolique un terrain de 5000m2 en haut de la colline est à souligner. Le projet de construction d'un Sanctuaire pouvait être envisagé. Ce sanctuaire grâce à de nombreux donateurs et par l'action de l'Association des Amis de Notre Dame de Santa-Cruz a été agrandit au fil des ans.
Véronique Palomar
veronique.palomartobjectifgard.com