FAIT DU JOUR Pour les cinémas, le pass sanitaire est un film d’horreur
Dura lex sed lex : à partir de ce lundi 9 août, le pass sanitaire devient obligatoire dans de nombreux lieux, comme les cafés, bars et restaurants, et est généralisé dans les lieux culturels comme les cinémas.
La crise sanitaire a déjà, depuis un an et demi, mis à mal l’industrie du septième art et plus particulièrement les exploitants. Depuis le 21 juillet et la mise en place du pass sanitaire au dessus de cinquante personnes, nombreux étaient les cinémas à avoir choisi de limiter leur jauge à 49 personnes par salle pour éviter d’avoir à demander le pass sanitaire à leurs clients. C’est désormais fini, et tout le monde est logé à la même enseigne. Et une chose est sûre : si le pass sanitaire était un film, ce serait un mauvais film d’horreur. Témoignages.
Évrard Zaouche, directeur général du Cap Cinéma CGR de Nîmes, fait office ici de précurseur. Dans son multiplexe, il a dû mettre en place le pass sanitaire il y a deux semaines, et il l'affirme sans ambages : « Le bilan est très négatif. Le groupe (CGR, ndlr) a enregistré dans certains cas une perte de 70 à 80% dès le mise en place du pass sanitaire. » Si « pour Nîmes c’est moindre », dit-il, la fréquentation a tout de même nettement baissé.
« Ça va être l’enfer tout simplement »
Le plus dur reste l’application de la loi. Si le patron du cinéma se dit « contre faire du tri à l’entrée, ce n’est pas notre rôle, c’est difficile à vivre », le risque d’une fermeture administrative plane en cas de non respect de la loi. Et parce qu’il la respecte, « on nous traite de collabos mais on n’a pas la choix, nous avons reçu trois fois la visite de la police. » Et Évrard Zaouche dénonce une application difficile, voire impossible, de la mesure : « Nous avons quelqu’un qui vérifie à l’entrée avec l’application Covidverif. Ce qui est complètement délirant c’est que nous n’avons pas le droit de vérifier les identités donc si vous venez avec un pass qui n’est pas à vous, vous pouvez entrer. » Mathieu et Anne-Marie Duffès, gérants du cinéma indépendant Casino à Bagnols, quatre salles, ont tenté le pass sanitaire au début. « Nous avons essayé le pass sanitaire la première semaine de sortie de Kaamelott, et nous avons abandonné pour passer à la jauge car c’est extrêmement compliqué », dit le premier.
Alors la généralisation du pass sanitaire, « Ça va être l’enfer tout simplement, lance le Bagnolais. Quand il n’y a pas grand monde c’est plus facile, mais quand il y a du monde, tout les gens arrivent en vingt minutes et vous avez la queue. » Sans compter qu’« On ne doit pas contrôler l’identité, on a tous les cas de figure, et dire aux gens de repartir c’est compliqué », ajoute Anne-Marie Duffès. Son mari renchérit : « Et on a déjà vu des faux, sans compter que les moins de 18 ans ont jusqu’au 30 septembre, mais comment vous savez si quelqu’un a 18 ans ou moins ? »
Du côté du Sémaphore, à Nîmes, on avait fait le choix de la jauge à 49 personnes pour éviter le pass sanitaire, et « ça se passait plutôt bien », pour le directeur-assistant du cinéma Daniel Vidal. Lui craint de perdre des clients en route : « Notre public nous a encouragé et il a apprécié notre démarche mais nous savons qu’à partir du 9 août, parce qu’ils sont opposés au pass sanitaire, ils ne viendront plus au cinéma. Nous nous attendons à un nouveau reflux du public dans une proportion que nous ne pouvons pas imaginer. » Inquiétant, surtout que « depuis le 19 juillet et l’entrée en vigueur du pass sanitaire, nous avons perdu un quart de notre public », souffle-t-il, remonté contre « des décisions prises sans concertation avec le terrain. »
« C’est la double peine »
Pour lui, beaucoup de questions restaient sans réponse en fin de semaine dernière. C’est aussi le cas d’Olivier Griffith, co-directeur du cinéma Vog art et essai au Grau-du-Roi. Habituellement, le cinéma de la station balnéaire connaît une plus forte affluence l’été en programmant des films familiaux et plus grand public. Malgré tout, il avait fait le choix d’opter pour la jauge à 49 personnes par salle car « on est en effectif réduit, donc c’est compliqué à contrôler, d’autant plus pendant l’été où nous visons les familles : comme les moins de 18 ans sont peu vaccinés et on s’est dit que ce n’était pas jouable de demander le pass, que nous allions nous pénaliser. »
Et même s’il a perdu en fréquentation, « on a bien communiqué là-dessus et ça fonctionnait bien », affirme Olivier Griffith. Avec la généralisation du pass sanitaire, « on ne sait pas comment on va faire, on risque de devoir recruter du personnel », dit le co-directeur du Vog. « Non seulement on fait moins d’entrées mais nous sommes obligés d’avoir des personnes supplémentaires pour faire appliquer le pass sanitaire, c’est la double peine », estime pour sa part Évrard Zaouche.
Daniel Vidal, du Sémaphore, est même très inquiet : « Ces coups d’arrêts brisent le lien que nous construisons avec notre public depuis des années. Nous voyons le temps considérable qu’il faut pour retrouver le public perdu. C’est très dur à vivre et nous n’avons aucune visibilité. Cela peut amener des dépôts de bilans et des faillites. »
À Bagnols, Anne-Marie et Mathieu Duffès commencent à être « fatigués de tout ça, jusqu’à présent, on s’est adaptés, mais là ça commence à être pesant », dit la première, quand son mari finit par admettre que « si ça devient trop pénible et ingérable, on fermera et puis voilà. »
Norman Jardin (à Nîmes), Boris Boutet (au Grau-du-Roi) et Thierry Allard (à Bagnols)