FAIT DU SOIR À la découverte de la doyenne des grottes préhistoriques ornées
Elle est bien cachée derrière des chênes, puis un mur seulement ouvert par une petite trappe : la grotte Chabot, aussi appelée grotte des mammouths, située à Aiguèze sur la rive gardoise de la rivière Ardèche, était exceptionnellement ouverte à la visite ce samedi à l’occasion de Biodiversité en fête, organisée par le Syndicat de gestion des gorges de l’Ardèche.
Léopold Chiron ne le sait pas encore lorsqu’il fouille la grotte en 1878, mais il va initier l’art pariétal, comprendre l’art préhistorique des parois des cavités. Car ce que découvre cet instituteur originaire de Saint-Marcel-d’Ardèche dans cette grotte longtemps ensablée et vidée pour devenir une bergerie est d’une importance capitale : il s’agit de traits gravés dans le calcaire représentant des animaux préhistoriques et datant du proto-solutréen, soit 20 à 25 000 ans avant notre ère.
Il faudra une trentaine d’années à Léopold Chiron pour faire connaître son travail, et la grotte sera classée aux monuments historiques en 1911. Après de multiples dégradations, l’État, propriétaire des lieux, décide de la fermer à la visite en 1975. Depuis, la porte de la petite trappe qui permet d’y accéder ne s’ouvre que rarement, et il est formellement interdit d’y prendre des photos. Pour autant, « elle n'est pas fermée à jamais, nous ne voulons surtout pas la mettre sous cloche, dans une volonté d’ouverture au territoire », précise le premier vice-président du Syndicat de gestion des gorges de l’Ardèche Didier Boulle. Des gorges dont il convient de préciser, comme le fait le maire d’Aiguèze Charles Bascle, qu’elles sont « pour un quart dans le Gard, avec 450 hectares. »
Reste que la grotte Chabot se mérite. Rendez-vous est donné ce samedi matin côté ardéchois, à Saint-Marcel. Une courte mais accidentée randonnée nous amène à un embarcadère de fortune où une barque permet la traversée. Côté gardois, il faut encore crapahuter sur quelques dizaines de mètres, puis se faufiler par la petite lucarne pour pénétrer dans des lieux exceptionnels.
« Chaque tracé a nécessité plusieurs dizaines d’heures de travail au silex »
Dedans, les traits, creusés au silex, se superposent, et il faut la sagacité et l’expertise de Philippe Galant, chargé du patrimoine souterrain au service régional archéologique de l’État, pour distinguer ici un mammouth, là les pattes d’un équidé, là encore un renne. Il s’agit de « figures d’animaux contemporains, ils représentaient ce qu’ils voyaient, et souvent des animaux pas chassés ni consommés », explique l’expert, qui travaille sur la grotte Chabot depuis plus de 35 ans.
Si, comme il le dit, « nous arrivons 25 000 ans après, la nature a fait son travail », les dessins gravés sont dans un état de conservation exceptionnel, et ce grâce au sable. « Une fois abandonnée par les hommes préhistoriques, la grotte s’est remplie de sable, et les gravures ont été naturellement conservées », poursuit Philippe Galant. Il faudra attendre le XIXe siècle pour que le sable soit sorti de la grotte pour en faire une bergerie, et que Léopold Chiron ne découvre sa particularité.
Une grotte qui devait servir d’habitat temporaire, car l’expert l’affirme, les hommes préhistoriques n’habitaient pas d’une manière pérenne dans les cavités, mais dans laquelle ces homo sapiens sapiens, en d’autres termes nos proches ancêtres, ont pris beaucoup de soin à orner les parois. « Il s’agit d’un calcaire très dur, chaque tracé, avec des incises en V de plusieurs millimètres de profondeur, a nécessité plusieurs dizaines d’heures de travail au silex », note Philippe Galant. Compte tenu de la multitude de tracés mis au jour dans la grotte, cette dernière a abrité plusieurs milliers d’heures de travail au bas mot.
« Un sanctuaire de la vie humaine »
Pour quoi faire ? « Les interprétations sont très variées », reconnait l’expert. De nos jours, la théorie la plus en vogue est celle du totémisme, à savoir la représentation animale comme totem. Philippe Galant y voit pour sa part « un sanctuaire de la vie humaine. » La partie ornée s’arrête à la lumière du jour, et se répartit sur les deux côtés et la voute. Elle est très chargée, car « pendant des milliers d’années, les gens ont gravé leurs oeuvres sur celles des autres, il y a une superposition des représentations pendant un temps qu’on ne mesure pas », indique Philippe Galant. Les gravures fraîches, qui ressortaient en blanc sur la paroi, prenaient ainsi le dessus sur les plus anciennes.
Aujourd’hui, tout se mélange mais avec l’aide de Philippe Galant, on arrive à distinguer des mammouths, leur silhouette, leur corne et même leur pelage. « 80 % des figures de la grotte sont des mammouths », glisse l’expert. Il faut dire qu’à l’époque, l’Ardèche comme le Gard sont dans un climat glaciaire. Les hivers sont très rigoureux, et les étés brefs. La végétation, qui pouvait faire penser à de la toundra par endroits, abrite une faune adaptée au climat, comme les mammouths ou les rennes, qu’on retrouve sur les parois.
Impossibles donc à retranscrire en photos, ces oeuvres préhistoriques nous donnent une belle leçon : nos lointains ancêtres n’étaient pas des sauvages. « Ils vivaient en groupes, organisés avec une hiérarchie basée sur le savoir des anciens, des rites et des pratiques initiatiques », ajoute Philippe Galant. Plus de 25 siècles après leur passage, seules subsistent ces traces, que les autorités s’efforcent à préserver. Du reste, des capteurs sont disposés dans la grotte, pour effectuer un suivi bioclimatique serré. Il faut bien ça pour que ce patrimoine multimillénaire se transmette encore pour 25 000 ans.
Thierry ALLARD