ALÈS Michel Wienin, géologue : "Les granits qui affleurent à Saint-Jean-du-Pin doivent être, à Vézénobres, à 4 000 mètres de profondeur"
Le géologue Michel Wienin vient expliquer l'histoire géologique d'Alès et des Cévennes, lors des dernières 500 millions d'années, ce samedi 7 décembre, à 14h30, à l'auditorium du pôle culturel et scientifique. Un dixième de l'histoire de la Terre, sur l'actuel territoire cévenol, résumé dans le cadre du cycle de conférences "La spéléologie sort de son trou", et de la programmation de la Sainte-Barbe. Entretien à Vézénobres, autour d'une très vieille histoire faite de plissements, de magma, de compression et de déplacements.
Objectif Gard : Pourquoi faire commencer cette histoire géologique il y a 500 millions d'années ?
Michel Wienin : Les roches les plus anciennes du Massif central, et de la région, c'est 450 millions d'années, à peu près. Ce n'est pas tout à fait arbitraire, c'est un chiffre rond. Si je disais 437 millions, ça paraîtrait curieux.
Mais qu'y avait-il avant ?
Avant ? Il n'y avait rien. C'est-à-dire qu'on était au milieu d'un océan qui, à l'époque, devait se trouver quelque part dans l'hémisphère Sud, sans doute plus au sud que Le Cap actuellement. L'océan est quelque chose qui s'élargit et les terres qui sont devenues les nôtres n'existaient pas encore.
Mais comment sommes-nous remontés de l'hémisphère Sud ?
Du fait de la dérive des continents. Contrairement à ce qu'on croit souvent, la, dérive des continents ne se déroule pas sur un bloc qui serait statique, par rapport à l'axe des pôles. Mais c'est l'axe des pôles qui se déplace par rapport aux continents, en gros. Et l'ensemble Afrique-Eurasie est remonté vers le nord, progressivement, au cours de l'histoire qu'on appelle phanérozoïque, c'est-à-dire depuis le début de l'ère primaire.
Que trouve-t-on aujourd'hui comme vestiges d'il y a 437 millions d'années ?
Je crois que c'est la plus ancienne datation qu'on ait pour une roche du Massif central. Il s'agit d'un gneiss, ce n'est pas très intéressant : ce sont des granits profonds qui ont été compressés sous des milliers de bars, à des températures de plusieurs centaines de degrés. Ce qui a donné une sorte de pâte feuilletée, les cristaux se sont orientés dans le sens de la compression et se sont aplatis en même temps. On obtient donc des roches litées, feuilletées.
"Chez nous, on a aujourd'hui des roches qui, à l'époque de la chaîne de montagne, n'affleuraient pas quand la chaîne existait"
Ces roches existent encore ?
C'est un phénomène qui se passe, encore aujourd'hui, probablement sous les Alpes et encore sous l'Himalaya, mais à quinze ou vingt mille mètre de profondeur. Chez nous, on a aujourd'hui des roches qui, à l'époque de la chaîne de montagne, n'affleuraient pas quand la chaîne existait. Les roches que tout le monde connaît autour d'Alès, les micaschistes des Cévennes - les lauzes. Ce sont des roches marines, des argiles sableuses, des limons marins, de cet océan qui s'élargissait à l'époque de l'ère primaire et qu'on appelle aujourd'hui le paléozoïque. Parce que l'expression "ère primaire" donne l'impression que c'est le début de l'histoire, alors qu'en réalité, c'est 450 millions d'années sur plus de 4 milliards. Ce sont aussi les premiers niveaux qui donnent des fossiles identifiables.
Après cette roche primaire, comment se développe le Massif central ?
Après cet océan, on va avoir alternativement un écartement et une compression. Ici, nous avons deux grandes périodes de compression, à l'origine de chaînes de montagne. L'une qu'on appelle chaîne hercynienne, qu'on connaît aussi bien en Bretagne que dans le Massif central, ou dans les Ardennes. Et puis, des petits lambeaux de granit ou de gneiss profond hercynien qui ont été remaniés dans les Alpes, la Corse ou les Pyrénées. Le Canigou est ainsi formé de roches hercyniennes, en réemploi. Un peu comme les maisons de Vézénobres sont bâties avec les pierres du château (sourire). Et puis, on connaît une période d'érosion : en 20 ou 25 millions d'années, une chaîne de montagne disparaît, elle s'érode. À l'échelle géologique, ce n'est pas énorme, ça se mesure autour de quelques centimètres par siècle. Ce n'est pas visible à l'oeil nu mais si on prend le Gardon en crue, par exemple, il est beige. Il contient entre 25 et 30 grammes de matière solide par litre. Avec un débit, mettons, de 2 000 m3/s à Comps, calculez le volume que ça enlève. Et quelle épaisseur est enlevée par an. Quand on a affaire à des roches dures, comme des calcaires durs, c'est autour du dixième de millimètres par an qui s'en va. Quand on a des roches tendres, comme celles du bassin tertiaire d'Alès-Salindres ou Saint-Chaptes, on est entre 2 et 5 dixièmes de millimètres par an.
Votre conférence ne se penchera que sur l'histoire du bassin alésien ?
L'histoire géologique n'a pas de sens à échelle trop limitée. L'histoire d'Alès, d'Anduze, du Vigan ou de Florac, ça se ressemble beaucoup. J'ai déjà présenté cette conférence il y a trois mois, à Tavel, et elle s'appelait 500 millions d'années de l'hisoire de Tavel... L'an dernier, à Mende, c'était 500 millions d'années d'histoire de Mende... 70 à 80% de mes diapos sont communes, il est évident que la carte générale de la chaîne hercynienne est la même. Et puis, dans la mesure du possible, je prends des illustrations sur place. Car après l'érosion s'est déroulé le cylcle alpin, avec deux grande phases : une phase pyrénéenne, à dominante est-ouest, phase par laquelle nous devons les plissements d'Anduze par exemple, le mont Bouquet, la vallée de la Tave ou le pic Saint-Loup. Puis, ça s'est érodé avant la phase alpine proprement dite, plutôt nord-sud dans la région.
"Le bourrelet des Alpes, c'est le soulèvement du Massif central, du Jura et des Vosges"
Et qu'en reste-t-il ?
La phase alpine n'a pas vraiment débordé sur la rive droite du Rhône, chez nous. Qu'est-ce qui fait une montagne ? Quand deux plaques se rapprochent. Et il arrive qu'elles se chevauchent, ou qu'elles s'affrontent directement, ça dépend où elles en sont. Le magma qui est dessous, une partie a tendance à être éjectée vers le centre, et cela donne les chaînes de montagne granitiques. Comme le mont Blanc, le Pelvoux (le mont Pelvoux culmine à 3 946 mètres, dans le massif des Écrins, NDLR). Et, en même temps, au niveau du manteau visqueux, sous la croûte, le magma est repoussé latéralement et soulève la croûte, en formant une sorte de bourrelet, comme une empreinte de pied qui forme un bourrelet tout autour. Et ce bourrelet des Alpes, c'est le soulèvement du Massif central, du Jura et des Vosges, qui étaient des plaines et ont été soulevés en même temps que les Alpes. Ce qu'on appelait autrefois "le contrecoup du plissement alpin".
Il n'y avait donc pas du tout de Massif central à l'altitude où nous le connaissons aujourd'hui ?
De Vézénobres, si on regarde le paysage, il est plat. C'est un relief négatif. Si je superpose la carte géologique aux altitudes, je vois que les zones de roche tendre sont en creux : le bassin de Lédignan, le bassin de Saint-Chaptes, la route de Montpellier vers Crespian, etc. Par contre, quand on a des roches dures, ça crée un relief : le Coutach, derrière Quissac ; la double pointe du Castelas après Puechredon, etc. Et la surface plane, qu'on appelle surface fondamentale, elle s'est formée au milieu de l'ère tertiaire. À l'époque, il n'y avait pas d'endroit, en France, qui devait dépasser trois ou quatre cents mètres d'altitude. Ces surfaces planes, ce sont les garrigues. On les trouve aussi en Ardèche. Elles se prolongent sur l'Hérault, avec les garrigues de Montpellier. Si on continue vers l'ouest, on les voit basculer vers le sud, au niveau de la Montagne noire. Et les causses. Nous, ici, nous voyons le Méjean ou le Sauveterre, à près de 1 000 mètres d'altitude. Mais si on descend vers le Lot, ils sont à 200 mètres. Le Massif central a donc été soulevé. Et le point qui l'a le plus été, c'est le sommet de Finiels, sur le mont Lozère.
La chaîne des Puys ne fait donc pas partie de ce soulèvement (le Puy Mary ou le Puy de Sancy, par exemple, ont une altitude plus élevée que le mont Lozère, NDLR) ?
Non. Ce sont des volcans et, même s'ils ont été en partie soulevés, ils sont ce qu'on appelle des reliefs postiches, c'est-à-dire un relief qui s'est "mis par dessus". Je parle, ici, du massif hercynien : l'endroit où les roches de la chaîne hercynienne ont été le plus soulevées - en dehors de sommets, du type Canigou - c'est la haute chaîne de Lozère. D'un côté, une pente très douce qui descend vers la Garonne et la Loire ; de l'autre, la faille des Cévennes, ou plus exactement une série de failles en escalier, qui font que les granits qui affleurent à côté d'Alès - à Saint-Jean-du-Pin - doivent être ici, à Vézénobres, à 4 000 mètres de profondeur.
"Si on prend la seule commune d'Alès, dans un rayon de cinq kilomètres autour de la ville, on a les quatre ères fossilifères"
Quand on va vers Saint-Jean-du-Pin, donc, et qu'on prend, ensuite, la vallée des Camisards par Mialet, on voit, en très peu de distance, du granit, du calcaire et du schiste. À quoi tient une telle variété aussi proche ?
La région d'Alès est très compliquée. Si on prend la seule commune d'Alès, dans un rayon de cinq kilomètres autour de la ville, on a les quatre ères fossilifères. L'ère primaire est présente par les micaschistes et le houiller ; l'ère secondaire, par les calcaires ; l'ère tertiaire, c'est la plaine Alès-Salindres, où on a notamment retrouvé des vertébrés ; et l'ère quaternaire, les grottes avec les remplissages humains. Toutes les époques sont là, avec des sédiments. Et en dessous, on a la chaîne hercynienne avec deux failles, de plus d'un kilomètre verticalement, et d'au moins dix kilomètres de glissement horizontal, qui forment la faille des Cévennes. Par rapport au Massif central, on sait que la région côté garrigues a glissé de 17 kilomètres vers le nord-est à l'époque pyrénéenne. On le sait parce qu'à côté de Ferrières-les-Verreries, à côté de Pompignan, il y a un récif barrière, de la fin du Jurassique, qui fait 200 à 300 mètres de large. Ce récif est tronçonné en trois parties, qui ont 17 kilomètres de décalage...
D'autres régions concentrent-elles un tel enchevêtrement ?
Oh oui. Dès qu'on a affaire à des montagnes plissées, faillées - comme autour de Grenoble, par exemple : le Vercors et la Chartreuse, ce sont des calcaires. Et vous avez des granits dix kilomètres à côté. Dans les Alpes ou les Pyrénées, vous avez à peu près de tout. La région d'Alès est un cas d'école à basse altitude. Mais, en soi, ce n'est pas quelque chose d'extraordinaire. Un peu rare, mais pas extraordinaire. Du coup, la deuxième faille est celle dite de Villefort, vers Les Vans, faille est de la Lozère, qui décale le massif de Borne par rapport au massif de Villefort, de onze kilomètres. C'est la suite du massif de Lozère.
Vous avez sans doute entendu les débats autour de la possibilité de reprendre, en France, l'exploration des fonds terrestres pour une éventuelle exploitation minière. Qu'en pensez-vous ?
En tant que scientifique, toutes les fois que des choses sont à découvrir, je suis intéressé. On ne peut vraiment comprendre la géologie qu'en essayant de comprendre ce qui se passe à moyenne profondeur. Actuellement, il n'y a que deux ou trois trous, faits par l'homme, qui aient dépassé 9 000 mètres. Ce n'est pas beaucoup ! Et ces trous n'ont pas donné ce qu'on attendait... même s'ils ont donné d'autres informations. Au niveau industriel, si vous regardez les chaînes hercyniennes en France, les bassins houillers en représentent 15%. Essentiellement dans le bassin du Nord-Ardennes, et un peu en Bretagne, dans les Vosges, et dans le Massif central, bien sûr. La chaîne hercynienne recouvrait toute la France et les parties, où il y a des bassins aujourd'hui, sont des zones qui se sont affaissées. On peut donc imaginer qu'il existe un certain nombre de bassins houillers, en profondeur, sous ces zones. On sait qu'il y en a un sous Lons-le-Saunier, par exemple, qu'on a trouvé en cherchant une extension du gisement de sel et on a trouvé du charbon. Des puits de pétrole existent dans la banlieue parisienne. On peut imaginer que sous le bassin parisien ou le bassin aquitain, si on descend assez bas, il y aurait des gisements de charbon. Pour le moment, à 3 000 ou 4 000 mètres de profondeur, ce n'est pas rentable. Mais savoir qu'il est là pour le jour où il y aurait une crise mondiale... je comprends que les gouvernants fassent une étude.
L'excursion géologique se poursuit-elle encore dans les Cévennes, ou bien la science en a fait le tour ?
Il se fait toujours du travail. Quelqu'un comme Hubert Camus ou le laboratoire d'hydrosciences de Montpellier travaille sur l'histoire du karst cévenol, depuis Les Vans jusqu'aux causses. Les paléontologues étudient plusieurs gisements de niveau européen, dans la région. Comme celui du hameau de Robiac, du côté de Fons - Saint-Mamert. On a un chercheur de niveau international, Laurent Bruxelles, qui travaille actuellement sur la manière dont les chauve-souris modifient les volumes des grottes, par la respiration et l'acidité de leurs excréments. Le travail continue.