CULTURE Luther initie la Réforme au Petit Temple de Nîmes

Luther et Tetzel
- Photo Yannick PonsCe mardi 8 avril à Nîmes, 150 personnes se pressaient devant le parvis du petit Temple, rue du Grand Couvent, du côté des Halles nîmoises, afin de découvrir une performance artistique absolument magnifique. Un face à face entre Luther et l'Église catholique du XVIe siècle, en dix rounds.
Tetzel, Franck Steinmetz, avance lentement dans l’allée centrale du temple nîmois, vêtu d'ornements sacrés. Entre ses mains, un encensoir suspendu par des chaînes oscille en un mouvement régulier, presque hypnotique. À chaque balancement, une frêle fumée s’élève, emplissant l’air d’une fragrance mystique. Et puis cette voix…
Le petit temple de Nîmes, plein à craquer, a accueilli en son écrin une pièce de théâtre absolument magnifique qui met en scène la rencontre fictive entre Luther, et le Johann Tetzel, qui vendait, au 16e siècle, des indulgences au nom du Pape afin de financer la construction de la basilique Saint-Pierre à Rome !
Schisme
Mis en scène par Henri Mariel en 2017 ans à l’occasion des 500 ans de la réforme protestante et de la proclamation des 95 thèses de Luther, actes qui amorçaient le grand schisme de la réforme protestante, la pièce pose les bases d'une discussion théologique primordiale et historique.
L'acte de Luther aboutissait, dans le sang, à la création d'une des trois confessions du christianisme, celle qui ne reconnaissait pas l'autorité du pape et qui estime que l'homme ne peut pas mériter son salut auprès de Dieu, mais que Dieu le lui offre gratuitement par amour.
Luther, ou la Réforme en dix rounds, raconte un face-à-face entre la vieille Église et le courant réformateur protestant à l’origine du schisme sanglant et retentissant qui aura lieu au XVIe siècle. Luther engage un dialogue qui aurait pu exister, avec Johann Tetzel, qui vend des indulgences sur la place publique.
Plèbe ou peuple ?
L’ancien inquisiteur d'obédience dominicaine représente la frange la plus extrême de l’Église au XVIe siècle. Il reste malgré tout bienveillant, ce qui est surprenant, à l’endroit de son interlocuteur.
Tetzel réplique non sans bienveillance donc, défendant la position du pape que Luther attaque de manière virulente, mais d'un ton juste. Les hommes, objecte l'ex-inquisiteur, ont besoin d’être guidés par une autorité qui prend en charge leur propre liberté, trop lourde à porter. Par l'interdiction de lire la Bible, il suffit désormais à la plèbe d’obéir à l’Église en se pliant à ses commandements afin de sauver son âme.
Indulgence
Citoyens, vous avez péché et pour vous punir, Dieu vous frappera bientôt dans sa juste colère ! Tetzel brandit les indulgences. Il déplie un parchemin sur lequel sont inscrits les tarifs des Pardons « Pour l'absolution d’un prêtre concubinaire : sept ducats. Pour l’absolution d’une fortune acquise par le pillage et autres voies illicites : cinquante ducats », harangue le clerc, devant les yeux médusés, mais érudits, des spectateurs nîmois.
« Croyez-vous vraiment que le pape a le pouvoir d’imposer son autorité à Dieu ? », renchérit Luther. Le débat théologique, un sport de combat, est donc ouvert, en dix rounds et en 95 thèses, celles qu'il a envoyées ce jour-là.
Moment historique
Luther, bouillant réformateur allemand, milite pour le salut en tant que rapport entre le croyant et Dieu. Pour lui, les intermédiaires font partie des dérives de l’Église du 16e siècle qui assoit son pouvoir et ses richesses. Le contraire des écrits bibliques.
Un moment de l’histoire essentiel où l’hégémonie de l'église catholique est totale et devient probablement abusive, avec ses déviances, son train de vie et sa luxure.
La pièce ne prend pas parti dans la dispute, le réalisateur s’efforce de tenir la balance égale entre Luther, moine augustin et lecteur de théologie, et Tetzel, le vendeur d’indulgences, ancien inquisiteur d'obédience dominicaine. Entre le futur réformateur et un représentant de l’Église catholique.
Si l’auteur de la pièce ne semble pas prendre parti, il le fait tout de même par la situation ubuesque et les réponses biaisées du représentant du Vatican. L’Église a interdit, à ce moment, la diffusion de la Bible en langue « vulgaire », alors que Luther demande pourquoi priver le peuple d’un rapport personnel et intime avec Dieu. « Chacun doit pouvoir lire la Bible et devenir son propre pasteur », explique Luther.
La manière de croire, le rapport de l’homme à la foi, couvent des Augustins, le prêtre pose la question de la liberté de croire de l’homme.
Moment unique
Tetzel, Franck Steinmetz, avance lentement dans l’allée centrale, vêtu de ses ornements sacrés. Entre ses mains, un encensoir suspendu par des chaînes oscille en un mouvement régulier, presque hypnotique. À chaque balancement, un fin filet de fumée s’élève, emplissant l’air d’une fragrance mystique, mêlant résine et épices. Cette diffusion de l’encens représente l’élévation des prières vers le ciel.
Son parfum sacré purifie le lieu, créant une atmosphère propice à la prière et à la méditation. Et puis la voix lyrique de Marc-Alexandre Gourreau monte dans les hauteurs sacrées du temple nîmois. Des notes de musique s’échappent d’un harmonium récupéré dans un couvent par le père du musicien. Moment sacré sanctifié dans la fraîcheur sombre du temple nîmois.
L’atmosphère ainsi créée, plonge le spectateur dans un monde dans lequel le tangible et le spirituel se rencontrent. La mise en scène exceptionnelle d’Henri Mariel ouvre la porte du centre du réacteur de l’église, au cœur du sacré. Même s’il ne semble pas prendre parti, il est évident que ni lui ni l’histoire ne peuvent renier la justesse des propos de Luther, un réformateur dont l’œuvre a probablement changé le visage du christianisme.
Luther ou la réforme en dix rounds
Acteurs : Jean-François Gascard et Franck Steinmetz
Musique Marc-Alexandre Gourreau