FAIT DU JOUR Lieux de culte : une réouverture dans l’incompréhension
Les lieux de culte ont pu rouvrir ce week-end, après avoir dû fermer leurs portes durant le reconfinement. Une réouverture a minima qui suscite l’incompréhension chez les représentants des différentes religions.
Elles ne sont pas d’accord sur tout, loin s’en faut, mais sur ce sujet, il y a unanimité : chez les pratiquants des principales religions représentées dans le Gard (*), la jauge de 30 personnes imposée aux lieux de culte par le Gouvernement en ces temps de crise sanitaire ne passe pas. « C’est quelle que soit la taille de l’édifice, donc on peut être 30 dans la chapelle de Sabran mais aussi à la cathédrale de Strasbourg », expose le diacre permanent du diocèse de Nîmes, le Bagnolais Jean-Paul Rychener, qui précise s’exprimer en son nom propre.
« Prenons l'exemple de la cathédrale d'Amiens qui fait 7 000 mètres carrés, pose le vicaire général du diocèse de Nîmes, Jean-Claude Rodriguez. Pour cette même superficie un supermarché peut laisser entrer 875 personnes mais les Amiénois seront contraints d'ouvrir les portes pour 30 personnes seulement ? Pour la cathédrale de Nîmes, qui peut accueillir 900 croyants, nous serons trente fois moins... On décroche le pompon de la bêtise », tonne l’homme d’église.
Il reprend : « C'est une décision irréaliste et irréalisable. Quand on voit les allées centrales des supermarchés… » « D’où il sort ce chiffre de 30 personnes ? », demande Yassine Taleb, le secrétaire de l’Association culturelle musulmane de Pont-Saint-Esprit, qui gère la mosquée de la ville, en dressant quant à lui le parallèle avec les métros bondés dans les métropoles. « C’est un peu ridicule car il y a beaucoup de grands temples où on peut largement être plus de 30 tout en répondant aux exigences sanitaires, mais bon on l’a tous dit », estime pour sa part la présidente de l’Entraide protestante alésienne, Jeanne Boutin.
« Qui va oser dire à la 31ème personne : "Non, pas vous !" »
Ce qu’ils craignent, c’est de devoir faire la police à l’entrée de leur lieu de culte. « Ce n’est pas à nous de faire la police, chacun son métier ! On ne demande pas à la police de faire les sacrements », grince Jean-Paul Rychener. « On nous lance la patate chaude, abonde Yassine Taleb. Un lieu de culte n’est pas là pour refuser des personnes, mais pour les accueillir et les servir. » Cette jauge basse pose une question centrale selon le vicaire général du diocèse de Nîmes : « Qui va oser dire à la 31ème personne : "Non, pas vous !" Je suis devant un gros point d’interrogation… » Quant à l’idée de mettre des policiers municipaux devant les lieux de culte pour faire respecter la règle, « ce ne serait pas bien vécu par la communauté et le ministre du culte », estime Jean-Paul Rychener.
Un point d’interrogation plane aussi sur l’organisation du culte dans ces conditions. « Nous allons peut-être devoir enchaîner les messes. Mais jusqu'à quand ? », pose le vicaire général. « Comment faire ? Aujourd’hui je n’ai pas la réponse », souffle Yassine Taleb, dont l’association compte 300 membres. « On pourrait faire deux prêches, mais ça ne ferait que 60 personnes », ajoute-t-il. Chez les protestants alésiens, le culte de ce dimanche s’est tenu en visioconférence, comme depuis le reconfinement. « Quand Emmanuel Macron a fait ses annonces le culte était déjà prévu comme ça, précise Jeanne Boutin. Dimanche prochain, nous reprendrons nos deux cultes habituels, l’un à Saint-Ambroix et l’autre ici (dans la salle de culte de la Maison du protestantisme au 5, rue Frédéric-Mistral, ndlr). »
La visioconférence est de toute façon jugée peu satisfaisante. « Certains imams proposent des prêches en vidéo, mais la prière en elle-même ne peut pas se faire à travers un écran », estime Yassine Taleb. « Le principe du culte, c’est l’aspect communautaire. Il y a le rite et le partage », ajoute le diacre permanent. « N'oublions pas que le mot église veut dire assemblée », estime pour sa part le vicaire général.
« Un dialogue de sourd » avec le Gouvernement
Dans l’ensemble, il ressort un sentiment de mépris de la part du Gouvernement pour les différents cultes, qui ont dû fermer comme les commerces jugés « non-essentiels » par les autorités. « Déjà, c’est assez humiliant de considérer les cultes comme des commerces non-essentiels, lance Jean-Paul Rychener. Et dans ce cas, pourquoi avons nous des normes différentes ? Les commerces c’est 8 mètres carrés par personne. »
« Le Conseil d'État nous a demandés d'entamer des discussions tous ensemble autour des pratiques religieuses, rappelle Jean-Claude Rodriguez. Dans ces conversations, nous avons peut-être été écoutés mais pas entendus. Les croyants se sont réunis pour dire qu'il fallait poursuivre ces discussions mais c'est un dialogue de sourd. » Et pour Yassine Taleb, « l’État est plus dans la réaction que dans l’action, et il y a tellement de confusion que plus personne ne sait quoi faire. »
Bref, l’incompréhension est, disons, œcuménique. D’autant que les religions affirment avoir joué le jeu lors du premier déconfinement : « Cet été nous allions à la messe normalement mais nous n'utilisions qu'un banc sur deux et nous espacions d'une place les différents groupes, rappelle le vicaire général. Tout était respecté, il y avait le gel hydroalcoolique, nous portions le masque et moi, quand je célébrais une messe, je me lavais les mains à trois reprises... Je ne comprends pas. »
« J’ai été agréablement surpris, et je remercie les fidèles, ils ont respecté les règles d’hygiène alors que ce n’était pas évident, affirme Yassine Taleb. Nous avons mis en place la distanciation et appliqué tout ce qui était demandé. » Ce qui n’a pas empêché le Gouvernement de fermer à nouveau les lieux de culte pour ce reconfinement.
« Venir faire les cinq prières quotidiennes est un lien social »
Pour eux, la solution passerait par la responsabilisation des fidèles, notamment sur les échanges qui suivent le culte. « Il faut leur faire confiance et ne pas les prendre pour des idiots », lance Yassine Taleb. « Je sépare bien le culte des à-côtés pour lesquels chacun est responsable, comme pour les obsèques par exemple », pose le vicaire général. Cette dimension sociale autour du culte et des lieux de culte reste cruciale pour Yassine Taleb, qui rappelle que pour certains fidèles, « venir faire les cinq prières quotidiennes est un lien social. »
Pour l’instant, il faudra faire avec cette limitation à 30 personnes, au moins dans un premier temps. « J’espère que le bon sens prévaudra », avance Jean-Paul Rychener. « Un moment important dans le culte, c'est celui de l’anamnèse, conclut Jean-Claude Rodriguez. C'est le contraire de l’amnésie, et les catholiques s'en souviendront ! Nous ferons l'anamnèse le moment voulu. » Amen.
Corentin Migoule (à Alès), Anthony Maurin (à Nîmes) et Thierry Allard (à Pont-Saint-Esprit)
* Nous avons joint les représentants de la communauté juive du Gard, qui n’ont pas pu donner suite à nos sollicitations. Précisons que le grand rabbin de France, Haïm Korsia, a affirmé à l’AFP que « Trente, c'est mieux que rien. C'est cohérent », et que « on va multiplier les offices par deux. »