FAIT DU JOUR Louis Charrier, maire de Bagnols et Poilu mort pour la France
C’est une avenue comme une autre, le long du square des Marronniers à Bagnols. Une avenue qui porte un nom familier à tous les Bagnolais : Charrier. Derrière ce nom, le plus jeune maire de l’histoire de Bagnols, au destin tragique lié à la Première guerre mondiale, dont on célèbre l’armistice en ce 11-novembre. Portrait.
Né il y a 140 ans presque jour pour jour à Bagnols, le 26 octobre 1884, Louis Charrier n’a que 27 ans et 7 mois, ce 19 mai 1912, lorsqu’il devient le maire de sa ville de naissance. Celui qui reste le plus jeune maire de l’histoire de la troisième ville du Gard, qui ne comptait à l’époque que 4 225 habitants, est alors pharmacien rue de la République, qu’on appelait alors la Grand’Rue.
Nous sommes au début du XXe siècle quand ce fils d’un droguiste de la Grand’Rue de Bagnols part à Lyon mener des études en pharmacie. Il revient chez lui en 1908 avant de reprendre la pharmacie de la Grand’Rue en 1910. Décrit par tous comme dynamique, le jeune Louis se pique de politique, au point de conduire une liste aux élections municipales de 1912. Au sortir de douze ans de mandat, le maire, Bertin Boissin, semble quelque peu usé par les années. Après avoir affirmé qu’il ne se représenterait pas, il décide finalement de briguer sa propre succession.
Louis Charrier est bien décidé à lui prendre sa place, avec sa « Liste des intérêts communaux », c’est son nom. Nous sommes au début du siècle, peu de temps après la petite révolution qu’a été la séparation de l’église et de l’État en 1905. Laïc sans être anticlérical, lecteur de Zola et dans le camp des Dreyfusards, dynamique, le regard perçant et la moustache d’époque, Louis Charrier voit neuf candidats de sa liste être élus dès le premier tour le 5 mai 1912, dont lui-même avec 642 voix. En ballottage favorable, il obtiendra la majorité au second tour le 19 mai, avec 17 élus contre 6 pour Bertin Boissin. La messe est dite, le pharmacien devient le plus jeune maire de l’histoire de Bagnols à 27 ans et 7 mois, record qui tient toujours aujourd’hui.
Il mène de front son mandat et son métier de pharmacien. Adepte des longues parties de chasse dans la campagne, aficionado patenté qui fait régulièrement le trajet vers les arènes de Nîmes, Louis Charrier est un grand lecteur, surtout de Rabelais, Ronsard, Molière, Racine, Rousseau ou encore Anatole France. Cultivé, le jeune élu est aussi un adepte de Mistral, et donne des cours gratuits de provençal chaque mercredi, pendant le marché, en mairie.
De toutes les batailles
Arrive le funeste été 1914. Le 1er août, Louis Charrier, comme tous les homologues de France, publie l’ordre de mobilisation générale. Il sera lui-même mobilisé dans les tout premiers jours de ce qui deviendra la Première guerre mondiale, et laissera la charge municipale à son deuxième adjoint Auguste Arnaud. Pharmacien, Louis Charrier intègre le service de santé des armées, et part pour la Lorraine, puis devient brancardier, chargé d’évacuer les blessés sur la ligne de front, avant d’occuper le poste de pharmacien au service de toxicologie, face aux toutes premières attaques au gaz menées par les Allemands. Dans ses fonctions, le Bagnolais sera de toutes les batailles : Champagne, Verdun, Somme.
Aux horreurs de la guerre, ses morts, ses mutilations, ses « gueules cassées », s’ajoutera au printemps 1918 une redoutable épidémie : la grippe espagnole. La maladie commence à faire des ravages dans les rangs de l’armée. Pour tenter de soigner les soldats, Louis Charrier et son équipe sont chargés de créer un hôpital de campagne à Compiègne, dans l’Oise, destiné uniquement aux soldats contaminés. Il ne le sait pas encore, mais il les rejoindra quelques mois plus tard.
« Je connais toute la grandeur du sacrifice que je fais pour la patrie »
À la mi-octobre 1918, même pas un mois avant l’armistice et alors qu’il pouvait entrevoir de se sortir du cauchemar de la guerre, Louis Charrier contracte la grippe espagnole. Le mal, qu’il n’a déjà que trop fréquenté au cours des derniers mois, ne lui laisse aucune chance. Alors le trentenaire « se sentant faiblir et voyant que le moment de la fin approchait, a pris ses dernières dispositions, témoigne dans une lettre le remplaçant du médecin-chef qui travaillait avec lui. Il a, comme un voyageur partant pour un long voyage, arrangé froidement ses affaires. »
La grippe espagnole en France
D’après une étude de l’US National Library of Medecine National Institutes of Health, la grippe espagnole a causé la mort de 240 000 personnes, dont 33 000 dans l’armée. Au total, la pandémie mondiale de grippe espagnole aurait causé entre 20 et 100 millions de morts.
Louis Charrier rend son dernier souffle à 19 heures le 17 octobre 1918 dans une forêt de l’Oise où il aimait marcher lorsque le devoir le laissait quelque peu souffler. Il allait avoir 34 ans. Peu avant de mourir, il lancera à ceux venus à son chevet : « Je vous défends de me plaindre, de vous apitoyer sur moi, je connais toute la grandeur du sacrifice que je fais pour la patrie », relate le remplaçant du médecin-chef, témoin de la longue agonie de son collègue. Louis Charrier laisse un fils, Albert Camille, né le 6 janvier 1918, qu’il n’aura jamais connu.
La dépouille de Louis Charrier ne sera rendue à sa terre natale que le 16 juin 1921. Lors de la cérémonie qui accompagne ce retour, Albert Martin, l’ancien premier adjoint de Louis Charrier, louera « l’action municipale toute de franchise et de loyauté » du jeune maire, « victime de ce dévouement qui était toute sa pensée. » Le temps fera son oeuvre, et il faudra attendre 1979 pour que le nom de Louis Charrier ne soit donné à une avenue à l’initiative du maire de l’époque, Georges Benedetti. Puis sa tombe, longtemps laissée à l’abandon, sera nettoyée et une plaque y sera disposée par la mairie en 2018, un siècle après sa disparition. Un hommage lui a été de nouveau rendu par la municipalité, ainsi qu’à cinq autres maires de Bagnols enterrés au cimetière communal, le 1er novembre dernier.
L’auteur de cet article remercie les Archives municipales de Bagnols. Certains passages de cet article ont été tirés de la revue Rhodanie (N° 131, « Louis Charrier, le plus jeune maire de l’histoire de Bagnols, est mort pour la France pendant la Grande guerre », de Roseline et Jean Charmasson).