FAIT DU JOUR Reconfinement : la culture de nouveau sous cloche
Cinémas, théâtres, salles de concert, galeries d’art ou encore musées : comme lors du premier confinement, les acteurs de la culture ont dû tirer le rideau depuis vendredi dernier pour le reconfinement.
Nous sommes allés à leur rencontre, un peu partout dans le Gard, pour recueillir leurs témoignages, en cette période de nouveau très difficile pour ce secteur. Certains sont encore groggy, d’autres tentent de s’adapter à une situation qu’ils subissent pour la deuxième fois en à peine huit mois.
Avant cette crise sanitaire, le cinéma Casino de Bagnols/Cèze, le seul de la troisième ville du Gard, n’avait jamais fermé ses portes en plus d’un siècle d’exploitation. La semaine dernière, pour la deuxième fois de l’année et après quelques semaines seulement de réouverture, Anne-Marie Duffès, qui gère le cinéma avec son mari, Mathieu, a dû se résoudre à baisser le rideau. « C’était émouvant, rejoue-t-elle. À la fin de la dernière séance tout le monde nous a parlé, puis nous avons reçu des messages d’encouragement. Les gens nous disent "tenez bon". Ça nous met du baume au coeur. »
Reste que la gérante l’affirme : « On est catastrophés. » Et ce d’autant plus qu’après une reprise molle, due au manque de gros films pour tirer les chiffres, « lors de la première semaine des vacances de la Toussaint la fréquentation avait un peu repris, c’était encourageant », affirme-t-elle, avant que sa voix ne retombe : « Voilà, on retourne à la case départ. »
Cette fois, c’est la tristesse qui l’emporte sur le reste, admet-elle. Et si elle comprend parfaitement les mesures prises, Anne-Marie Duffès regrette le « flou » qui règne sur ce nouveau confinement, et ce à l’orée d’une période traditionnellement favorable pour le cinéma. « Tout le dernier trimestre de l’année et spécialement les fêtes sont une grosse période », confirme-t-elle, espérant rouvrir début décembre, « avec des films forts. » Reste que la situation assombrit immanquablement l’avenir du cinéma, « car la trésorerie est fragilisée », dit-elle pudiquement, tout en refusant « d’envisager 10 000 scénarios. » Un seul est sur la table aujourd’hui : « On rouvrira, je ne sais pas quand, mais on rouvrira. »
Les réseaux sociaux comme planche de salut
À Aigues-Mortes, Cécile Chiorino, à la tête de la galerie d’art qui porte son nom, s’adapte à la situation. « On va ouvrir une boutique sur Facebook pour vendre nos tableaux via une plateforme, explique-t-elle. L’achat de tableaux en ligne se développe, sur base de photos détaillées. Ça nous donne accès à une clientèle qu’on ne connaît pas. » Dans cette période, les réseaux sociaux jouent un rôle prépondérant pour la galerie, qui y promeut sa quinzaine d’artistes permanents.
La galeriste envisage aussi de rouvrir sur rendez-vous, sans aucune certitude : « On évalue la légalité », précise-t-elle. C’est que Cécile Chiorino l’affirme : « Les artistes sont très largement en difficulté, et les galeries c’est comme tous les commerçants, les solides vont tenir le coup. » Dans ce contexte morose, la profession sait se montrer solidaire, en tout cas localement : « On est en train de créer un pôle de galerie à Aigues-Mortes, avec quatre galeries principales et quelques boutiques-ateliers, ce qui fait au total une dizaine de point de vente autour de l’art. On s’entraide », avance Cécile Chiorino.
De quoi tenir en attendant la réouverture, qui avait été plutôt encourageante au sortir du premier confinement : « L’art continue à plaire. On a eu un rebond après le premier confinement. Nous espérons que ce sera la même chose cette fois-ci. »
Le spectacle vivant au travail en coulisses
Du côté du spectacle vivant, le confinement n’est pas tout à fait le même qu’au printemps. Pour François Noël, directeur du théâtre de Nîmes, « nous mettons à profit ce temps de pause pour réfléchir et penser à l'avenir. Nous sommes plus réactifs. Nous évitons les écueils connus lors du premier confinement, nous perdons moins de temps. Nous sommes dans l'action, c'est moins assommant qu'au printemps. Nous savons comment attraper les choses et nous savons que nous pouvons agir. On prépare la sortie qu'il ne faudra pas rater. »
« Contrairement au premier confinement, on a le droit de continuer à tourner en interne sans recevoir du public », explique Denis Lafaurie, le directeur de la scène nationale d’Alès, le Cratère. De fait, les artistes vont pouvoir continuer à travailler sur site, notamment pour répéter leurs spectacles. « Nous avons une première équipe qui était en résidence et qui va prolonger son bail (la bande à Badault, ndlr), d’autres artistes sont également intéressés », ajoute-t-il.
Le même système est en place au théâtre de Nîmes ainsi qu'à Paloma, la scène de musiques actuelles de Nîmes métropole (SMAC). « Nous sommes obligés de fermer nos portes au public, rappelle son directeur Fred Jumel. Les artistes qui, eux, sont en résidence peuvent continuer leur travail chez nous car ils font partie de nos salariés au titre de la création. » Cependant, « tout cela est tout de même très restreint car nous sommes tournés vers des artistes de la région », ajoute-t-il.
Alors, la culture est-elle sous cloche ? « Sous cloche ? Oui et non ! Pour le public c'est le cas pour l'instant, mais pour les acteurs culturels non. C'est dramatique d'être coupé du public... Mais le drame absolu serait de ne pas pouvoir voir aboutir les pièces en préparation. C'est pour le public que nous travaillons ! », poursuit François Noël qui a 20 télétravailleurs chez eux et 15 autres salariés dans les locaux du théâtre.
« Va-t-on un jour pouvoir voir un concert comme avant ? »
Reste que le coup est dur. « Nous sommes un peu abattus parce que notre public suivait et nous étions en ordre de marche, regrette Denis Lafaurie. On avait le sentiment de faire les choses correctement avec un taux de remplissage moyen d'environ 60%. » S’il comprend la décision prise par le Gouvernement, le directeur du Cratère craint que les artistes « paient cher ce nouvel arrêt. Mais c’est à nous de trouver des solutions pour les aider. »
En attendant, le directeur va devoir se creuser pour reprogrammer les spectacles : « On a déjà recalé deux spectacles lors de la saison 2021/2022 sur la quinzaine qui ont été annulés, et on regarde au printemps prochain tous les trous que l’on peut avoir pour tenter de caser les autres. »
Si Paloma avait anticipé la situation en n’annonçant aucune programmation supplémentaire, la situation n’en est pas moins préoccupante. « Nous sommes inquiets car l'écosystème dans sa globalité est touché, explique Fred Jumel. Les précarités vont être fortes et on ne sait pas dans quel état on va retrouver l'ensemble de nos équipes. De plus, une troisième vague est possible. Tout cela risque bien d'être durable. » Le tout alors qu’« on sent que la culture n'est pas un axe prioritaire du Gouvernement », affirme le directeur de Paloma, qui se dit dans l’incompréhension sur l’application de ces mesures dans le milieu culturel.
Un directeur « inquiet » pour ce milieu : « je sens la déprime monter. Il ne faut pas oublier que nous sommes un des seuls secteurs à ne pas avoir pu reprendre normalement notre activité comme nous le faisions avant la Covid-19. Va-t-on un jour pouvoir voir un concert comme avant ? »
Corentin Migoule (à Alès), Anthony Maurin (à Nîmes), Boris Boutet (à Aigues-Mortes) et Thierry Allard (à Bagnols)