LES HISTOIRES DE L'ÉTÉ Victime d'un accident, poursuivi par la justice : il est innocenté huit ans après
Chaque jeudi, cet été, Objectif Gard vous propose de vous plonger dans un fait divers récent. Pour Redouane, c’est la fin d’un long calvaire et de huit ans d’incompréhension, de dépression, d’arrêts maladie. La procédure est définitivement terminée après un bras de fer avec la justice qu’il croyait bien perdre et qu’il a finalement remporté mais pas sans y laisser des plumes. Cette histoire est issue du numéro 38 d'Objectif Gard le Magazine paru en mars 2022.
Pour Redouane, 28 ans, victime d’un accident de la circulation, l’affaire débute en 2015. Il a 20 ans, un bac en poche et un travail dans la maintenance des ascenseurs. Sauf que le jeune homme se rend compte qu’il s’est trompé de voie professionnelle, que les machines l’insupportent et qu’il veut aider les gens en difficulté. « Je n’avais pas fait assez d’études pour être médecin ou infirmier, mais j’avais envie de m’occuper des autres. Je voulais me rendre utile, être au chevet des gens qui souffrent », témoigne celui qui attaquait en 2015 un contrat d’apprentissage en alternance pour devenir ambulancier.
« Je venais de trouver une société. Je travaillais comme stagiaire dans cette entreprise d’ambulance depuis 15 jours à peine lorsque ma vie a basculé en une poignée de secondes. » Ce jour-là, il est sur la route avec une ambulancière titulaire. Suite à un appel du Samu, ils vont prendre en charge une personne en insuffisance respiratoire qui devait être évacuée vers les urgences du CHU de Nîmes. Le patient est installé sur le brancard, à l’arrière, avec la titulaire du poste. Sur la route entre Saint-Géniès-de-Malgoirès et Nîmes, Redouane est au volant, le gyrophare en action. Il roule avec précaution, arrive à un stop, marque l’arrêt en regardant à sa gauche et à droite pour voir s’il ne risque pas de mettre en danger d’autres automobilistes.
Rouleau compresseur judiciaire
Lorsqu’il poursuit sa route, il est percuté violemment par l’arrière par un autre conducteur. Les pompiers et une équipe médicale du Samu sont dépêchés sur place. Il n’y a plus rien à faire pour le patient installé à l’arrière. Il est déclaré décédé quelques instants plus tard. Redouane, touché au bassin, fait un malaise, perd connaissance. Lorsqu’il se réveille, il est à l’hôpital. Des prélèvements sont effectués pour voir si l’ambulancier stagiaire n’était pas sous l’emprise de stupéfiants ou d’alcool. Des tests qui s’avéreront négatifs, mais qui ne vont pas empêcher le rouleau compresseur judiciaire de se mettre en marche pour des longues années.
« Il conduisait cette ambulance privée de façon prioritaire, en urgence Samu. Il s’arrête quand même au stop, vérifie qu'il n'y a personne et s'engage. Il est alors percuté par l'arrière par un véhicule venant à vive allure qui ne lui a pas laissé la priorité », détaille son avocat maître François Jehanno qui le défend depuis le début. C’est à ce moment-là que le dossier pénal va devenir incompréhensible. « Mon client va être poursuivi pour ne pas avoir laissé la priorité à un véhicule prioritaire, l’ambulance, et pour avoir involontairement causé la mort. Ce qui est ubuesque étant donné qu'il était le conducteur de l'ambulance prioritaire. On lui reproche donc de ne pas s'être laissé à lui-même la priorité », s’étrangle l’avocat nîmois.
Une enquête qui dure
L’affaire aurait pu s’arrêter là si, à un moment, un magistrat ne s’était rendu compte de l’erreur. Sauf que l’enquête pour "homicide involontaire" va, bien au contraire, prospérer. Deux ans plus tard, une audience pénale est fixée devant le tribunal correctionnel. Pour Redouane, l’incompréhension est totale : « Je suis victime depuis le début. Plus les années passaient et moins je comprenais ce qui se passait. Je n’avais jamais eu de problèmes avec la police et la justice. Et, je me retrouve dans une procédure qui me surprend et que je subis de plein fouet. Je n’ai jamais compris, au fil des huit ans de procédure, pourquoi j’étais renvoyé devant un tribunal. Qu’est-ce que j’avais fait de mal. »
Deux ans après, donc, le prévenu se retrouve à la barre du tribunal. « Là, j’informe le président du tribunal et le parquet que la prévention ne tient pas et qu'il faut relaxer. On ne peut pas reprocher au conducteur de l'ambulance de ne pas s'être laissé passer lui-même », se remémore l’avocat. Le président décide de renvoyer le dossier au parquet afin de mieux se pourvoir. Une nouvelle enquête s'ouvre donc. Le parquet met en examen cette fois-ci Redouane parce qu’il n'a pas respecté la priorité. « Il continue de le poursuivre mais, cette fois, pour manquement à une obligation législative ou réglementaire », selon maître Jehanno. Ils le poursuivent non pas pour un homicide involontaire mais pour une erreur de conduite.
"Je suis tombé en dépression sévère"
« Et, là, je me demande pourquoi autant d’acharnement. L’entreprise où j'effectuais le stage n’était pas inquiétée, la responsable de l’ambulance le jour de l’accident non plus, témoigne Redouane. Je suis tombé en dépression sévère, j’ai été en arrêt maladie pendant près de deux ans. Je ne voyais pas comment je pourrais sortir de cette procédure. Pour moi, c’était de l’acharnement. » Le dossier devait passer une nouvelle fois devant le tribunal correctionnel, mais il a été une nouvelle fois renvoyé. « Me laissant toujours dans le désarroi et sans avoir le moindre mot pour moi », ajoute l’ex... futur ambulancier.
Une affaire qui sera finalement jugée en février 2022, huit ans après le début de la procédure. À l’audience, le procureur réclame la relaxe. « Mais, moi, je me demande toujours pourquoi le procureur m’a poursuivi. Le jour de l’accident, il était déjà évident que je n’y étais pour rien », ajoute celui qui a fini par obtenir cette fameuse relaxe. Les voies de recours sont dépassées. Il est donc définitivement blanchi par le tribunal correctionnel. Les juges ont prononcé cette décision après avoir entendu maître Jehanno exposer une nouvelle fois cette série invraisemblable de couacs et de dysfonctionnements.
Tout perdu
« Il reste quand même la question de pourquoi avoir continué de poursuivre mon client depuis 2015 alors que tout indique dès le départ dans le dossier qu'il n'était pas responsable de l'accident. Conséquence importante car mon client a tout perdu : sa formation, son futur emploi, sa vocation et il était en dépression plusieurs années », ajoute l’avocat nîmois. Un autre élément est aussi surprenant dans cette affaire : le conducteur fautif, celui qui a percuté l’ambulance n’a jamais été inquiété. L’avocat entend engager une action en responsabilité de l’État et demander des dommages et intérêts pour son client. Une autre - audience administrative celle-là - sera programmée dans quelques mois pour réparer les dommages causés à ce jeune homme. Autant que faire se peut.