Publié il y a 2 h - Mise à jour le 24.09.2024 - Propos recueillis par François Desmeures - 6 min  - vu 189 fois

L'INTERVIEW Emmanuel Grieu : "François Ruffin proposait une voie mais il n'a jamais été entendu"

Emmanuel Grieu, maire de Mandagout et premier soutien de François Ruffin dans le Gard

- François Desmeures

Maire de Mandagout, Emmanuel Grieu était un fidèle de François Ruffin avant sa séparation d'avec La France insoumise (LFI). Il le suit pour créer, dans le département, "Gagner dans le Gard avec Ruffin", déclinaison locale du mouvement qui doit porter les idées du député de la Somme au plan national. Retour, avec lui, sur ce qu'il attend de ce mouvement et sur les critiques formulées à l'encontre de son "leader" depuis son départ de LFI.

Emmanuel Grieu, maire de Mandagout et premier soutien de François Ruffin dans le Gard • François Desmeures

Objectif Gard : Vous créez une cellule gardoise autour de François Ruffin. Est-ce pour faire émerger de nouvelles idées ou, déjà, pour l'accompagner sur une future présidentielle ?

Emmanuel Grieu : C'est lors de la rentrée politique de François Ruffin à Flixecourt (Somme), le 31 août, que ç'a été évoqué. J'y étais, il y avait environ 2 000 personnes. Le lendemain, on a eu une réunion avec des proches d'un peu toute la France et tout le monde poussait pour qu'il y ait une implantation, avec une perspective de rayonnement national, puisque son parti aujourd'hui c'est Picardie debout ! On a eu une décision, à l'unanimité, d'une démarche local pour soutenir l'élan de François. On n'a pas parlé de présidentielle, ce serait ridicule et ce n'est pas le propos. C'est de faire entendre cette voix. La scission avec LFI, tout le monde s'y attendait. François proposait une voie ; Alexis Corbière et Raquel Garrido proposaient une voie aussi, avec Clémentine Autain. Mais ils n'ont jamais été entendus. Ils savaient très bien qu'ils allaient au clash, les législatives ont précipité la chose. François Ruffin poursuit la voie qu'il a toujours évoquée, notamment lors des législatives : il s'est rendu compte que, pendant la campagne, on a eu beau avancer un programme défendu par LFI - et qui est d'autant plus d'actualité et avec lequel nous sommes d'accord - le personnage Jean-Luc Mélenchon posait problème partout. Sa façon de faire, sa méthode, son approche, doivent être revus, adaptés et modifiés. Ce qui ne se faisait pas au sein de LFI. On veut faire autrement : fédérer. 

Depuis, il y a eu la fête de l'Humanité, les sifflets à François Ruffin et des débats assez compliqués. On a l'impression que ce qui devait être une clarification de la part de François Ruffin, vis-à-vis des autres forces de gauche, apporte plutôt de la confusion...

Oui, c'est cela. On est dans la confusion parce que c'est un positionnement délicat. Est-ce que François était content de cette session ? Non, personne ne l'était. C'est un échec quand on sème un parti... On l'a évoqué dans cette réunion du 1er septembre. On était plusieurs à lui dire : "Encore un parti ?" Il y en a ras-le-bol de la structuration des partis dogmatiques "je décide et vous faites". LFI avait la mission de ne pas être comme ça. Mais on s'aperçoit, in fine, que ce n'est pas le cas ! Il y a une coordination unique, avec une voix unique, et finalement -  même si ça a été discuté en interne - une discussion courtoise qui n'a mené à rien. On le savait que ça pèterait... Ce qui est apparu, là, à la fête de l'Huma - même si d'autres débats se sont bien passés - c'est exactement cette dissension. Je caricature, mais tu ne peux pas dire à un agriculteur "Tu fais de la merde. Change, parce que tu pollues avec tes produits phyto..." On doit élargir notre base. Certains produisent naturellement, mais le mot "bio" les fera fuir...

"Ce n'est pas parce que tu dois défendre un projet de rupture essentiel et indispensale (...) que tu dois cracher à la gueule de ceux qui ne le veulent pas"

Dans les réactions qui ont suivi la fête de l'Humanité, il a été reproché à François Ruffin, venant d'une partie de la gauche, d'abandonner la lutte contre le racisme pour ne parler qu'aux classes populaires et mettre l'anti-racisme au second plan. Que pensez-vous de cette remarque ?

C'est ridicule. C'est ce que je reproche au débat actuel : la déception de la scission fait qu'une partie a envie de cracher sur l'autre. C'est une erreur ! La déception de la scission, tout le monde la partage. Personne n'est heureux. Ce qui m'attriste, c'est bien cela : LFI propose une vision complexe, large et globale des choses. Faire semblant de ne pas comprendre et de réduire François Ruffin, en disant qu'il abandonne le racisme, c'est ridicule. Parce que tu ne cries pas "Non au racisme !", alors tu es raciste ? Ce n'est pas comme ça que ça marche. Mais c'est bien comme ça qu'une partie de la gauche a clivé avec les autres. Ce n'est pas parce que tu dois défendre un projet de rupture essentiel et indispensale - qu'on défend toujours et qu'on défendra toujours - que tu dois cracher à la gueule de ceux qui ne le veulent pas. En fait, les gens le veulent mais n'arrivent pas à l'exprimer. Ce qui veut dire qu'il faut qu'on reprenne le temps du dialogue, de la discussion. 

"La gauche a trop été trahie par son camp, il est hors de question de retomber dans les compromissions"

Aucun parti de gauche n'est en mesure de gagner seul des élections. Des dissensions à la limite de l'insulte - même si la gauche est coutumière - est-ce que ça ne laissera pas de traces trop importantes entre les partis de gauche ?

Le Nouveau front populaire (NFP) tient, aujourd'hui, à cause de l'urgence, parce qu'on est dans une droitisation dure du pays. Si on continue à se cracher à la gueule, ça laissera des traces. On l'a bien vu avec Roussel et le PCF, même si on a pu s'entendre derrière. Demain, à mon sens, la démarche de François pourra servir de signe pour le NFP, en les ramenant tous, de façon aimable et courtoise, à une rupture nécessaire et à la fin des compromissions. La gauche se retrouve dans le programme de LFI. Maintenant, on ne peut plus réduire le jalon, le faire redescendre. La gauche a trop été trahie par son camp, il est hors de question de retomber dans les compromissions. Il faut qu'on amène tout le monde à cette hauteur. LFI nous a ramenés à gauche, ramenons désormais les gens avec nous. 

Qui, dans le Gard, peut adhérer à cette démarche ?

Ceux qui ont oublié que la cause des ouvriers est défendue par les idées de gauche. Ils n'ont pas voté à gauche - y compris ici, en Cévennes - parce qu'ils ne se sont pas reconnus dans les clivages et sont partis se réfugier dans le discours creux et vide du RN. Parce que le RN, aujourd'hui, matérialise la colère et la frustration. Mais quand on voit le député qu'on se tape, parachuté de Savoie, qui vient faire la leçon sur le territoire en insultant les élus locaux... C'est sans doute que les gens n'ont pas compris pour qui ils allaient voter, que c'était un vote de colère. Il faut récupérer les déçus. J'entends aussi que François Ruffin aurait fait une campagne au faciès. Mais sur la circonscription, avec les camarades, on a eu des questions du même type : "Si on va dans ce quartier-là, l'affiche avec Michel Sala, ce serait bien qu'il n'y ait pas Mélenchon". Bien sûr qu'on a eu cette réflexion ! Oui, il y a eu un bashing médiatique. Mais il y a quand même une remise en cause ! Surtout qu'à la tête de LFI, il y a un potentiel de députés génial !

"Si on n'amène personne avec nous, Jean-Luc Mélenchon va se retrouver tout seul avec ses copains, là-bas, au fond du désert"

Et parmi les élus ou les candidats de gauche LFI, certains sont prêts à vous rejoindre ?

Pour l'instant, c'est délicat. Il y a une tension en interne qui fait que tout le monde se regarde un peu. On connaît les figures nationales qui sont parties. Dans le Gard, on lance le mouvement donc j'attends de voir qui veut nous rejoindre. 

Mais les Garrido, Corbière, Autain, sont-ils en voie de rejoindre Ruffin ?

Les discussions sont en cours. Ils étaient à la rentrée politique de François, des choses vont se décanter d'ici la fin de l'hiver, et on verra ce que ça donne. Ce n'était pas facile de mener la vision de rupture qu'a menée LFI, c'était très bien. Mais maintenant si on n'amène personne avec nous, Jean-Luc Mélenchon va se retrouver tout seul avec ses copains, là-bas, au fond du désert. C'est dommage ! Donc, l'idée est de rassembler. Et d'implanter localement cette façon de faire, celle de faire avec le gens, et ça commence par une démarche d'écoute. Ici, en Cévennes, c'est presque déjà fait : depuis la réforme des retraites, on a une intersyndicale collective qui marche très bien. 

Propos recueillis par François Desmeures

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