Publié il y a 27 jours - Mise à jour le 05.03.2025 - Propos recueillis par Abdel Samari - 5 min  - vu 877 fois

L'INTERVIEW Franck Proust : "Poutine est un prédateur"

Franck Proust, président de Nîmes métropole, membre du Comité Européen des Régions (CdR) s'exprime sur la situation internationale.

- Photo AS/Objectif Gard

"Construire une paix durable en Ukraine, c'est protéger l'Europe d'une autre invasion."

Reconduit en début d'année au sein du Comité européen des régions (CdR), l’organe européen chargé de représenter les collectivités locales et régionales auprès des institutions de l’Union européenne, Franck Proust, président de Nîmes métropole, était à Bruxelles il y a quelques jours. Alors que la situation internationale est de plus en plus compliquée, le Nîmois nous éclaire sur les enjeux actuels du monde.

Objectif Gard : Le contexte international est de plus en plus inquiétant avec les dernières décisions prises par Donald Trump, le président des États-Unis. Quel est votre point de vue sur ce monde politique en pleine mutation ?

Franck Proust : Ce que l’on observe vis-à-vis de Trump peut, en effet, conduire à une catastrophe. Mais cela peut avoir aussi un effet positif, parce que ça permet une prise de conscience des Européens. S'il n'avait pas mis les deux pieds dans la fourmilière, personne n'aurait bougé. Les problèmes de défense et de sécurité ne concernaient pas tous les pays. Pour faire simple, il s’agissait surtout des pays qui avaient une armée. D'ailleurs, c'est pour cela qu'on avait demandé à ce que les dépenses militaires ne soient pas intégrées dans le déficit des pays au sein de l’Europe, pour éviter de faire peser cette dépense dans la limite des 3 % de déficit budgétaire imposés encore à ce jour…

L’Europe s’est réunie dimanche. Est-ce qu’elle peut parler enfin d’une seule voix ?

Je l'ai encore vu dernièrement lors de mon déplacement à Bruxelles au Comité européen des régions, personne ne se rangeait derrière une seule et même voix, parce que tout le monde a des intérêts divergents. La Pologne contre la Russie. L’Italie, de son côté, alliée de Trump. Enfin, tous les pays en bordure de Russie, complètement antirusses. Enfin, le problème, c’est que nous n’avons plus de leaders charismatiques. On les aimait ou pas, mais le seul couple qui a existé sur la scène européenne, lors de la crise en Géorgie ou la crise économique des subprimes, c'était le couple Sarkozy-Merkel.

Les leaders européens souffrent aussi peut-être de leur politique intérieure…

Emmanuel Macron, le président de la République le premier, en panne de crédibilité sur la scène européenne par la situation catastrophique sur le plan politique en France. L’ex-chancelier Scholz battu dernièrement lors des élections. Pareil en Espagne ou ailleurs. Donc face à Poutine, face à Trump, face même aux Chinois qui parlent d'une seule et même voix, c'est très compliqué. Après, l'Europe a quand même des atouts et des arguments à faire valoir. Et les dernières initiatives pour l’Ukraine en témoignent. Aujourd'hui, le problème, c'est qu'il est impensable qu'il y ait un accord de paix sur notre dos, d'autant plus que ce que personne n'a vu, c’est que Donald Trump a quand même dans la tête une véritable stratégie.

Laquelle ?

Pourquoi il soutient les Russes ? Par rapport à l'Iran. Ce qui est en jeu aussi, aujourd'hui, c'est le nucléaire en Iran, l'arme nucléaire, et donc, comme les Russes sont proches des Iraniens, il veut se servir de l'Ukraine pour résoudre le problème iranien.

Est-ce que la paix passe par l'acceptation de la défaite de l'Ukraine ?

Poutine est un prédateur. C'est-à-dire que les gens vont dire, on peut envahir n'importe quel pays, et ça va marcher. Emmanuel Macron a compris le danger, on peut quand même lui reconnaître. Après, comment tu construis une paix durable en Ukraine ? Parce que construire une paix durable en Ukraine, c'est protéger l'Europe d'une autre invasion. Et donc, on doit non pas envoyer des troupes en Ukraine, mais on doit préparer la paix. Une paix durable.

En intégrant l'Ukraine au sein de l’Europe ?

Je vais peut-être à l'envers de beaucoup. Mais je pense que c'est une erreur que l'Ukraine rentre dans l'Union européenne. Il faut arrêter de se mentir. Il y a des pays qui frappent à la porte depuis 10 ans, depuis 15 ans. La procédure est longue. Je comprends que les Ukrainiens veulent rentrer, mais est-ce que ce n'est pas rajouter de l'huile sur le feu ? Et quelle est la finalité ? Est-ce qu'on a une affinité, une identité, une culture, un ADN commun avec l'Ukraine ? Je ne crois pas. Ce n'est pas ça qu'il faut faire. Ça n'empêche pas d'avoir des partenariats économiques, comme avec la Turquie, comme avec un certain nombre de pays.

Êtes-vous favorable à la création d’une armée européenne ?

Je n'y crois pas. On n'est pas un État fédéral. Et les officiers français n'accepteront jamais d'être commandés par un Espagnol. Cependant, on doit mutualiser, on doit travailler ensemble beaucoup plus : de l'industrie à la recherche, à l'innovation. Ce qu'on fait pour les pompiers à Nîmes, où, par exemple, sept pays travaillent conjointement. On le fait aussi avec la Sécurité civile.

L’enjeu est aussi économique ? 

Il y a deux pôles : la défense et sécurité d'un côté, et le commerce de l'autre. Le président US en a marre de voir la balance commerciale, notamment sur le secteur automobile, aujourd'hui s'effondrer, comme s'effondrent les marques automobiles européennes…

Pourquoi selon vous ?

Parce qu'avec l'électricité, les fabricants chinois ont réussi, comme ils ont le monopole des terres rares aujourd'hui, à fabriquer des batteries et autres. Il suffit de voir comment certaines marques de véhicules chinois sont en train d'exploser. J’ai reçu la carte des emplois perdus dans le domaine industriel automobile européen, c'est catastrophique ! On est en train de tuer l’une des plus grosses filières industrielles européennes, et c'était prévisible. On n'a pas de lithium, on n'a pas de terres rares, on n'a rien, donc à un moment donné, on va devenir, à 10 ans, complètement dépendant des Chinois. Et Trump l'a compris !

Comment l’Europe peut s'en sortir alors ?

Il faut qu'on s'organise commercialement. Il faut arrêter cette espèce d'utopie, d'ouvrir nos marchés, comme on le fait sur des appels d'offres dans l'armement, dans les avions, pour lancer des satellites. Il faut un « buy European Act ». Ce n'est pas du protectionnisme, c'est simplement jouer avec les mêmes règles que les autres. Les Chinois se protègent, les Américains se protègent, et nous, on ouvre au monde entier. À un moment donné, ça ne peut plus fonctionner. Donc, il faut qu'on renforce nos outils de défense commerciale et qu'on fabrique des champions européens dans différents secteurs. Changeons de logiciel. On est trop utopistes.

Pour finir, quel est votre message aux Nîmois qui s’inquiètent de cette situation internationale tendue ?

Je comprends leur inquiétude, mais on est à la croisée des chemins. L’Europe est obligée de réagir et c’est tant mieux. Il faut à présent augmenter les investissements sur la cybersécurité, la désinformation. Il faut être des pionniers. Sur l'intelligence artificielle, on a pris beaucoup de retard. Sur le plan défense-sécurité, comme sur le plan commercial, ça nous fait réagir, et ça va peut-être enfin, je dis bien enfin, faire travailler l'ensemble des pays européens ensemble. Ce qui n'était pas le cas aujourd'hui...

Propos recueillis par Abdel Samari

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