PORTRAIT Michèle Lucibello : « On ne peut pas enseigner, si on n’a pas soi-même dansé »
Michèle Lucibello, pratique la danse classique, depuis déjà 75 ans. Très fière d’être encore en activité à 81 ans, elle donne sept cours par semaine, dans son école Nemausa Danse, situé rue du Mail. À l’occasion de ses 60 ans de carrière, l'émule de Terpsichore revient sur sa vie de danseuse et de professeure.
Installée derrière le bureau du secrétariat de l’école, lunettes sur le nez et un sourire avenant sur le visage, Michèle Lucibello lance « je danse depuis l’âge de 6 ans », avant de poursuivre, « j’étais une petite fille très maigrichonne et le médecin a dit à ma mère que je devais faire un peu d’exercice. » De la gymnastique ? De la natation ? La mère de Michèle, Italienne d'origine et passionnée d'Opéra avait une tout autre idée pour sa fille… « J’ai donc commencé mes premiers cours de danse classique au théâtre de Nîmes… Et il s’est avéré que j’étais très douée », confesse-t-elle sans fausse modestie.
Sous la houlette de la professeure Nina Sereni, Michèle fait toutes ses classes au théâtre de Nîmes. Une petite fille travailleuse, qui parallèlement à la danse, entre au conservatoire et remporte une 2e médaille de piano. Jusqu’en classe de 3e, Michèle poursuit ses études au collège moderne de jeunes filles. En 1952, un tragique incendie détruit le théâtre de Nîmes. Après sa reconstruction, soutenue par ses parents, l'adolescente entre au corps de ballet. « À 16 ans, je suis devenue première danseuse », confie fièrement l’enseignante.
« J’ai débuté dans un opéra que j’adore… Lakmé »
Pendant 8 ans, la jeune danseuse parcourt les scènes du Languedoc : Nîmes, Montpellier, Béziers, Toulon… « J’ai débuté en tant que première danseuse sur un opéra que j’adore… Lakmé. Il est vraiment magnifique. » Une oeuvre qui lui a certainement porté chance puisqu’en 1963, Ferdinand Aymé, un ancien directeur du théâtre de Nîmes, l’appelle pour diriger le corps de ballet. Et c’est également sur cet opéra, qu’elle réglera plus tard son tout premier ballet. « Pendant plus de 20 ans, j’ai réglé tous les grands ballets du répertoire lyrique », précise la coquette octogénaire en rajustant son écharpe colorée autour de son cou.
Jeune mariée, en 1959 Michèle ouvre son école avec la volonté de transmettre son don pour la danse : « J’avais envie de donner ce que je savais. Pour moi c’était devenue une chose normale. Tous les grands danseurs que je connais finissent par enseigner. » À cette époque, peu d’école de danse existaient à Nîmes. Dans ce contexte, l’école de Michèle fit florès et, chaque fois à l'étroit, elle dut changer plusieurs fois de local pour trouver plus d’espace. En parallèle de ses activités, elle créa le Concours international méditerranéen et un stage international renommé où accouraient les professionnels du monde entier.
Six ans après l’ouverture de son école, Michèle donne naissance à son premier enfant. Aujourd’hui âgé de 53 ans, celui-ci a suivi les pas (de danse) de sa mère : « Mon aîné a dansé comme "premier danseur" pendant plusieurs années au théâtre de Nîmes avant de rejoindre l’Opéra de Paris. » Appréciant surtout le chant, grâce notamment à la découverte de... l'opéra Lakmé (!), il est aujourd’hui baryton tandis que son frère puîné, âgé de 50 ans, s’est tourné vers le cinéma : « Il vient de produire le film sur Jacqueline Sauvage (*) », annonce-t-elle, fière de la réussite artistique de ses enfants.
" Comme un papillon qui sort de sa chrysalide "
Aujourd’hui, l’octogénaire s’occupe des enfants de la classe dite "élémentaire". Elle donne sept cours par semaine, sans compter les répétitions et les cours de perfectionnements. Au sortir de la classe préparatoire à 8 ans, les jeunes apprenti(e)s rejoignent le cours de Michèle. « C’est à ce moment-là, que je les mets sur pointe. Il y a beaucoup de détracteurs qui estiment que c’est trop tôt », admet-elle. Mais d’après l’enseignante, il faut savoir ce que l’on fait : « Il ne faut pas demander des choses trop difficiles. Puis il faut avoir des chaussons souples ! Je me casse les mains à les assouplir pour qu’elles ne souffrent pas trop. »
En tant qu'enseignante, ce que préfère Michèle c’est de voir l’évolution de ses élèves : « Parfois on se dit : « Oh,la la ! elle est toute petite, qu’est-ce qu’elle va bien pouvoir faire ? » Et puis d’un coup, on la voit grandir, évoluer comme un papillon qui sort de sa chrysalide » raconte-t-elle, les yeux brillants. Les plus doués de ces virevoltants papillons sont bien armés pour voler de leurs propres ailes. D'aucuns ont su réussir une belle carrière dans cet art grâce à l’enseignement dispensé par l’ancienne première danseuse : « J’ai d’anciens élèves qui dansent au Canada, en Espagne, en Italie… Certains sont même danseurs à l’Opéra de Paris. »
Pour Michèle, il n'y a pas de secret pour être un bon professeur. Ou plutôt il y a un passage initiatique obligé : « L’enseignement de la danse classique passe d’abord par la pratique. On ne peut pas enseigner, si on n’a pas soi-même dansé. »
Kelly Peyron
* L'affaire Jacqueline Sauvage est une affaire judiciaire française survenue en 2012, à la suite du meurtre de Norbert Marot, abattu de trois coups de fusil dans le dos par son épouse Jacqueline Sauvage le 10 septembre 2012.