Publié il y a 1 an - Mise à jour le 31.01.2023 - François Desmeures - 5 min  - vu 900 fois

FAIT DU JOUR Dans les Cévennes, les pompiers enseignent le brûlage dirigé et l'usage du feu tactique

Le brûlage dirigé est allumé à partir d'une zone d'appui, comme une route, et à contre-pente

- (photo Yannick Pons)

Terre de formation des feux tactiques, le Gard reçoit actuellement des stagiaires qui apprennent à manier les techniques du brûlage dirigé. Un entretien des espaces naturels ouverts ou des sous-bois, qui s'apparente à l'écobuage que pratiquaient les bergers, avec l'intention supplémentaire de s'entraîner et de préparer la forêt pour l'été. 

(photo Yannick Pons)

Une cinquantaine de sapeurs-pompiers et agents de l'ONF qui débarquent dans un village d'un peu plus de 200 âmes, voilà qui passe rarement inaperçu. À la sortie d'Arrigas, direction Aumessas, c'est toute la colline qu'ils investissent ce jeudi matin, alors que le vent hivernal s'est calmé. Après les sous-bois de Portes le lundi, puis Lussan le mardi, c'est au-dessus d'Arrigas qu'ils vont se livrer à une formation qui couvre différents buts. 

"Le brûlage dirigé est préventif, détaille le commandant Jérôme Jallet, du groupement territorial Cévennes-Aigoual du Service départemental d'incendie et de secours (Sdis). Il est mené entre le 2 septembre et le 30 avril." Parfois, aussi, dans des périodes moins longues, chez nous, du fait de la sécheresse. "Les brûlages sont à but pastoral ou de DFCI" (défense de la forêt contre l'incendie).

Débroussailleuses, tronçonneuse, poudets sont nécessaires pour créer une "lisière", une bande nettoyée qui évitera que le feu saute la zone délimitée et permettra le passage de la lance à incendie • (photo Yannick Pons)

Ce jeudi matin, le brûlage en préparation répond aux deux injonctions. Il sécurise le village en calcinant, au sol, ce qui pourrait permettre l'avancée de l'incendie. Squelettes noirs de genêts et de châtaigniers témoignent, sur place, du feu qui a ravagé cette colline, à l'été 2019, arrêté par des largages de Dash. "En entretenant la parcelle, on enlève du combustible et on met en place une zone de coupe-feu", explique le commandant Jallet.

L'opération est donc demandée par la commune, qui souhaite ainsi sécuriser le village contre l'incendie, mais aussi par le berger, qui attend de l'herbe verte printanière issue de l'écobuage. Parce que, comme le dit le commandant, "une fois que c'est brûlé, à la première pluie repousse de l'herbe verte et tendre".  Du coup, désormais, ce sont les bergers qui appellent les pompiers pour réaliser un écobuage à tel ou tel endroit. Ce qui pouvait dégénérer avec peu d'encadrement est bien mieux surveillé dorénavant, alors que la nature s'embrase plus facilement qu'avant. 

Les agents nettoient les abords des zones sensibles, ici pour ne pas que le feu vienne lécher ce qu'il reste d'un mazet • (photo Yannick Pons)

Encadrés par une trentaine d'agents des pompiers, mais aussi de l'Office national des forêts, du Département, ou de l'Office français de la biodiversité, une douzaine de stagiaires vont passer chef de chantier de brûlage dirigé, sous la responsabilité de Jérôme Jallet, lui-même cadre de feu tactique (plus connu sous le nom de contre-feu face à un incendie). "Le brûlage dirigé est l'antichambre du feu tactique, poursuit Jérôme Jallet. Trois modules existent en la matière : celui d'équipier, de chef de chantier et de cadre de feu tactique." La douzaine de stagiaires provient du Gard, du Var, d'Eure-et-Loir, des Pyrénées-Orientales, d'Ariège ou encore des Hautes-Alpes. 

Dans les bonbonnes qui mettront le feu aux herbes poussées l'été dernier, un mélange d'essence, pour deux tiers, et de gazole pour un tiers • (photo Yannick Pons)

Sur place, le lieutenant Christophe Bollon, du groupement fonctionnel prévision, dirige la préparation des opérations. "Le brûlage doit être fait sans atteindre les pins remarquables, à gauche, et la parcelle de chênes truffiers, à droite." Et, au milieu, la parcelle qui se referme faite d'herbes folles, de végétaux calcinés il y a trois ans et de genêts récents, ainsi que de deux masets dont les abords sont expurgés de ce qui pourrait être inflammable.

En plus de la douzaine de stagiaires et de ceux qui répondront à leurs ordres de chef de chantier novices, une équipe surveille l'ensemble du chantier à l'aide d'un drone et deux infirmiers sont sur place en cas de pépin. "Le stagiaire doit gérer les équipes de brûlage, ainsi que les annexes complémentaires, qui peuvent aider ou alourdir sa gestion." Le drone vient en appui, pour voir si le feu a sauté les limites identifiées. Un drone thermique sert aussi, en fin d'opération, pour vérifier si des foyers ne sont pas restés actifs. 

Avant de mettre le feu, les formateurs vérifient deux données essentielles : l'hygrométrie (quantité d'humidité dans l'atmosphère) et la vitesse du vent • (photo Yannick Pons)

"On s'adapte à la pente et au style de végétation", poursuit Christophe Bollon, alors que ses équipes commencent à créer une lisière, à coups de débroussailleuses, tronçonneuses et râteaux. Une sorte de corridor nettoyé de sa végétation, dans les herbes et la forêt, qui délimitera la zone à brûler et où prendra place la lance à incendie. Une "règle de trente" interdit les opérations, règle que détaille le lieutenant Ludovic Ginieis : "Il faut au moins 30% d'humidité dans l'air, des pentes de pas plus de 30% et un vent qui ne dépasse pas les 30 km/h."

"On s'adapte à la pente, au vent et style de végétation, précise Christophe Bollon. On travaille selon la technique du croissant. On part d'un point d'allumage et on va tirer les lignes de feu de façon à ce que ça couvre la parcelle." Les deux extrémités ayant tendance à se resserrer vers le centre. Le feu est allumé à partir d'une "zone d'appui", bien souvent une route ou un chemin, coupe-feu installé qui évitera la propagation. Et, surtout, à contre-pente. 

Une seule formation nationale aux feux tactiques, ici, autour du Vigan

Après 15 jours de stage et des brûlages "dans différentes régions", l'équipier devient chef de chantier et supervise tout brûlage dirigé. Mais devenir cadre de feu tactique, et être habilité à allumer des feux face à un incendie virulent, c'est une autre affaire. "Il faut sept ou huit ans comme chef de chantier, précise Jérôme Jallet, et on doit être pompier, alors qu'un agent ONF peut être chef de chantier." En France, il n'existe qu'une grosse centaine de cadres de feux tactiques qui sont tous passés par le Gard, puisque la formation n'existe, pour tout le pays, qu'ici, autour du Vigan.

Avant l'embrasement, les pompiers réalisent une "éprouvette", soit un test sur une toute petite zone. Si la fume est blanche, les végétaux contiennent encore de l'humidité. En été, elles sont plutôt noires.  • (photo Yannick Pons)

Début juillet, c'est un feu tactique qui a empêché que le village de Bordezac ne soit traversé par les flammes lors de l'incendie qui a ravagé plus de 600 hectares. C'est aussi un feu tactique qui a empêché les flammes de sauter la Cèze en direction de la forêt de Portes. "Le feu appelle le feu", poursuit Jérôme Jallet. Et la combustion du contre-feu prive de carburant le feu principal, qui s'atténue et que les pompiers ont moins de difficulté à attaquer. 

Présente en lisière de la parcelle, la lance à incendie reste disponible afin de calmer la virulence des flammes, s'il y a lieu • (photo Yannick Pons)

Quant à ses effets annexes, le brûlage dirigé obtient des résultats surprenants.  Car dans une zone naturelle réglementée comme les pourtours du massif de l'Aigoual, le dialogue entre pompiers et Parc national des Cévennes est permanent pour vérifier si le brûlage prévu n'interfère pas avec les protections du territoire.

"Le Parc national des Cévennes est conscient qu'on protège le parc contre l'incendie", plaide Jérôme Jallet. Et mieux encore. Face à Arrigas, une zone de végétation refermée a été soumise plusieurs fois à cet écobuage. "Le fait de rouvrir le milieu a fait réapparaître une plante, la Gagée de Bohème." Une redécouverte qui n'a pas été sans conséquence. "Du coup, on ne peut plus trop aller brûler là-bas", sourit Ludovic Genieis. Alors que, paradoxalement, laisser le milieu se refermer pourrait bien la faire disparaître à nos yeux... 

(photo Yannick Pons)

François Desmeures

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