Publié il y a 1 an - Mise à jour le 19.10.2023 - Thierry Allard - 4 min  - vu 653 fois

FAIT DU JOUR À Tricastin, Orano se diversifie dans la santé et la recherche de pointe

Le Laboratoire d'isotopes stables d'Orano a été inauguré ce mercredi sur le site de Tricastin (Drôme)

- Photo : Thierry Allard

Ce sont des atomes, non radioactifs, dont les propriétés particulières sont utilisées dans des domaines variés, notamment la santé et la recherche de pointe : les isotopes stables, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, sont au coeur d’un marché mondial jusqu’ici réparti entre la Russie et les Pays-Bas. Désormais, avec le Laboratoire d’isotopes stables inauguré par Orano sur son site de Tricastin (Drôme) ce mercredi, la France veut s’y faire une place.

Si vous avez déjà eu à faire une scintigraphie de la thyroïde, alors vous avez déjà eu affaire aux isotopes stables, et plus précisément à l’isotope xénon 124. Si vous avez déjà subi une IRM, alors vous avez rencontré l’isotope xénon 129. Et si vous avez eu à vous soigner d’un cancer, alors vous en avez encore croisé d’autres, des isotopes stables, en attendant de nouvelles applications chaque année. L’industrie pharmaceutique fait partie des principales applications de ces isotopes stables, que désormais la France est capable de produire, et ça se passe sur le site Orano Tricastin.

Santé, recherche et quantique

Quatre ans de développement et 15 millions d’euros ont été nécessaires pour monter ce laboratoire. « Quatre ans seulement », estime le président du conseil d’administration et directeur général par intérim d’Orano, Claude Imauven, au moment de couper le ruban. Pas si long donc, mais il faut dire que les équipes d’Orano ne partaient pas de zéro. Car produire des isotopes stables, c’est un peu comme produire de l’uranium enrichi, comme on le fait déjà dans l’usine Georges-Besse II sur ce même site Orano Tricastin et ses 650 hectares.

Ainsi, la matière passe « dans une cascade de centrifugeuses, plusieurs dizaines, qui ont chacune un bol qui tourne très vite à l’intérieur d’un tube, les mêmes machines qui nous servent à enrichir l’uranium », explique Laurent Bigot, en charge du Laboratoire d’isotopes stables. L’idée est de pouvoir séparer les isotopes d’un élément donné en changeant cet élément en gaz, avant, une fois le processus achevé, de le retransformer, soit en gaz, soit en métal, par exemple. Le tout avec une pureté de 99 %, « des niveaux de pureté dix fois supérieurs aux standards dans le nucléaire », précise Jean-Luc Vincent, directeur du développement des activités nouvelles chez Orano Tricastin.

Le Laboratoire d'isotopes stables d'Orano Tricastin • Photo : Orano/Crespeau

Reste que le processus n’a rien de si étranger que ça pour des équipes rompues l’enrichissement d’uranium. Ce laboratoire, qui fonctionne avec une technologie 100 % française, « est même un condensé des activités du site », rajoute Jean-Luc Vincent, de la transformation de la matière en gaz à l’enrichissement, en passant par la séparation. À l’arrivée, le laboratoire ne va pas produire des quantités astronomiques d’isotopes stables : « Quand on enrichit de l’uranium, on parle en tonnes, là c’est de l’épicerie », glisse Claude Imauven. « Une quantité importante, ce sera un kilo », précise Jean-Luc Vincent.

Car outre la santé, les isotopes stables sont aussi utilisés dans des domaines de pointe, où la demande s’exprime dans des unités bien plus petites que la tonne. On y retrouve « l’industrie de pointe, avec un certain nombre de lasers qui nécessitent des isotopes de cadmium, et l’isotope silicium 38 pour les ordinateurs quantiques », précise Jean-Luc Vincent. En ce qui concerne ce dernier exemple, ces ordinateurs avec des puissances de calcul sans égal, « l’État a lancé une stratégie nationale sur l’industrie quantique », rappellera plus tard le préfet de la Drôme, Thierry Devimeux, les technologies quantiques étant un « des domaines techniques qui façonnera l’avenir », avance-t-il.

Les isotopes de zinc peuvent servir à prévenir la corrosion dans les circuits des réacteurs, utile quand on se rappelle des récents et fâcheux problèmes de corrosion identifiés sur certains réacteurs. Ils sont aussi utilisés dans la recherche fondamentale, rappelle Jean-Luc Vincent, « comme traceurs biomédicaux, ou dans la recherche sur les neutrinos », ces particules élémentaires dont la science cherche toujours à comprendre les propriétés. Là, il s’agit des isotopes stables xénon 136, molybdène 100 et germanium 76, sachez-le.

Une alternative à la Russie

Bref, des secteurs de pointe, en devenir, et stratégiques, d’autant plus compte tenu du contexte géopolitique actuel. Car sur le marché des isotopes stables, la Russie règne en maître, et « fournit actuellement 70 % des isotopes stables dans le monde, rappelle Claude Imauven. Notre ambition est de proposer une alternative française. » Une question de souveraineté, aussi, les applications des ces isotopes stables étant, on l’a vu, larges. Le Laboratoire d’isotopes stables vient de débuter sa production il y a quelques jours, et « nous réaliserons les premières livraisons commerciales en 2024 », avance Claude Imauven. Ce seront des isotopes de xénon pour commencer.

Claude Imauven, président du conseil d'adminsitration d'Orano et directeur par intérim du groupe • Photo : Thierry Allard

« Nous avons déjà des clients et nous avons des ambitions, on vise un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros par an d’ici quelques années », affirme Jean-Luc Vincent, sur un marché global qui tutoie les 100 millions d’euros. Au delà du contexte vis-à-vis de la Russie, il faudra tout de même pour Orano démontrer qu’elle a sa place sur le marché. « On est troisièmes, les Russes ont des années d’avance, donc nous y allons avec humilité, mais nous voulons montrer que la France est performante », reprend-il. Y compris commercialement, puisque la production qui sortira de Tricastin est annoncée au même prix que celle venue de Russie ou des Pays-Bas.

L’enjeu est aussi de démontrer que les savoir-faire acquis dans le nucléaire peuvent être utilisés hors de l’atome. « Il y a un peu plus de cinq ans, la direction générale d’Orano a engagé une réflexion stratégique pour développer le groupe, identifier de nouveaux relais de croissance, rappelle François Lurin, ancien directeur du site de Tricastin, désormais directeur des activités chimie et enrichissement chez Orano. Nous avons imaginé de nouvelles activités pour utiliser nos savoir-faire les plus pointus afin de répondre à des besoins stratégiques, y compris hors-nucléaire. »

De quoi entamer une diversification du groupe, certes minime en termes de chiffre d’affaires, mais qui contribue à « dresser des perspectives », se félicite le maire de Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), Jean-Michel Catelinois, qui « permettent à notre territoire de se projeter vers l’avenir », pour son homologue de Bollène (Vaucluse) Anthony Zilio, et ce « pour un grand bassin de quatre départements et trois régions », souligne la présidente du département de la Drôme, Marie-Pierre Mouton. L’annonce attendue très prochainement sur l’extension de l’usine d’enrichissement d’uranium Geroges-Besse II, une question là aussi de souveraineté puisqu’un tiers de l’uranium enrichi servant à faire tourner nos centrales est russe, ne devrait pas, laissait-on entendre, obérer ces perspectives.

L'hommage

Le Laboratoire d’isotopes stables a été baptisé du nom de Jean Fourniols, du nom d’un des collaborateurs d’Orano Tricastin présenté comme un acteur clé du projet, disparu brutalement en mars 2020.

Thierry Allard

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