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Publié il y a 1 an - Mise à jour le 07.11.2023 - Sabrina Ranvier - 4 min  - vu 784 fois

FAIT DU JOUR Ces ambulants qui font de la résistance

Le Tacot givré a été construit en Angleterre dans les années 1980. Mais c'est une reproduction d'un modèle des années 20.

- Sabrina Ranvier

Engloutis les commerçants ambulants ? Archivés au rayon souvenir par la hausse du prix du gasoil ? Non. Des Gardois résistent. Le 15 novembre, Stelly Arnault va fêter la première année de son hair-truck, un salon de coiffure de poche qu’elle gare dans des minuscules villages cévenols… Le mercredi après-midi, si on tend l’oreille du côté du mas Praden à Marguerittes, on entendra des comptines sucrées s’échapper d’un camion anglais. Cet engin qui semble tout droit sorti des années 1920, appartient à Bruno et Cathy Thérond. Depuis 2022, ces deux anciens restaurateurs vendent gaufres et crêpes en hiver et, aux beaux jours, ils assurent des tournées de glaces dans le sud gardois… Teddy Fernandez a lâché quant à lui son glacier au bord de mer pour devenir en 2020 réparateur ambulant de vélo.

Commerces ambulants : leurs recettes pour résister

Stéphanie et Yann misent sur les réseaux sociaux pour doper leurs tournées. Services en tout genre, dépannages impromptus… Daniel bichonne sa clientèle depuis 24 ans.

Quel est le point commun entre Fons-sur-Lussan et Saint-Hippolyte-de-Caton ? Ces villages d’environ 230 habitants, bénéficient désormais des services d’une coiffeuse. Stelly Arnault installe depuis novembre 2022 son hair truck, un jour par semaine dans cinq communes gardoises. Deux autres camions qui ressemblent à des jouets ont aussi été mis en circulation au printemps 2022. Le "Tacot givré" appartient à Bruno et Cathy Thérond et le "Petit glacier " à Catherine Dorge. Cette dernière a longtemps vendu des glaces artisanales sur une péniche face à Notre-Dame-de-Paris. « Cela a très bien marché », se souvient-elle. Dans son camion gardois, stationné dans des communes ou sur des festivals, elle vend les mêmes produits. La demande n’est pas la même : « J’ai fait moitié moins de chiffres d’affaires sur les festivals d’été par rapport à l’an dernier. » Suite à un accident, son camion est en restauration et ne sera utilisable qu'en décembre. Les commerçants ambulants ont-ils un avenir ?

Yann Fiévet pilote le camion pour les tournées et son épouse Stéphanie gère la livraison de colis.  • © Les délices d'Anduze

Trois ans avant d’en vivre

À Parignargues, Euzet-les-bains… les tournées de boulangers ont été remplacées par des distributeurs de pain. La famille Chabanne, basée aux Salles-du-Gardon, a eu jusqu’à trois tournées. La dernière a été stoppée il y a deux ans à cause de l’usure des camions et de la hausse du carburant. Ils l’ont remplacée un temps par un distributeur de pain. Les frères Coste à Ribaute-les-Tavernes qui perpétuent leur tournée font figure de résistants. Les nouveaux ambulants, Stelly Arnault ou Bruno Thérond, estiment qu’il faut au moins trois ans, avant de pouvoir en vivre. « Le démarrage est très long pour pouvoir sortir un salaire, confirme le gérant du foodtruck gardois le Barbecue. Nous avons eu la chance d’avoir l’aide de pôle emploi les deux premières années. » Il s’est lancé il y a cinq ans. Son concept : faire beaucoup d’événementiel et de prestation traiteurs en période estivale et se garer dans des villages hors saison. Il propose notamment ses burgers dans des communes de 200 habitants comme les Plans. « La demande est bien présente, promet-il. Il faut savoir constamment se renouveler pour faire face à tous les paramètres économiques auxquels nous sommes confrontés. »

Stelly Arnault fait aussi les mariages. Elle installe son camion et coiffe la mariée ainsi que tous ceux qui le souhaitent.  • Sabrina Ranvier

Des colis vendus sur Facebook

Yann Fiévet était employé sur une tournée de charcutier. Quand son patron est parti à la retraite en 2019, il a racheté camion et fonds de commerce. Son épouse Stéphanie l’a rejoint aux "Délices d’Anduze" et ils ont embauché un cuisinier. Yann tourne chaque jour dans une zone différente : l’Uzège, les environs de Vézénobres, le pourtour d’Alès… « Avant le panier moyen était de 60 €. Maintenant, il est inférieur à 50 € », observe Stéphanie. Ils paient le crédit, leur salarié, et, les bons mois, se versent « quelque chose ». « Il faut sans arrêt innover, aller chercher le client et à moindre coût », analyse-t-elle. Le 10 octobre, elle a lancé des colis à 60 €. Ils proposent sept produits, viande et plats cuisinés, pour quatre personnes. Elle les annonce sur sa page Facebook et livre gratuitement. « Cela a démarré sur des chapeaux de roue. Je suis sans arrêt sur Facebook pour faire de la pub, pour relancer », témoigne-t-elle.

« Il faut encourager les nouveaux ambulants. Je pense que les tournées ont de l’avenir car les gens ont besoin de cette proximité », martèle Daniel Fromac. Avec son épouse, ils ont largué Marseille en 1999 pour reprendre les marchés et les tournées d’un fromager cévenol. En 24 ans, il a vu des poissonniers, des boulangers, des bouchers rendre les clefs de leur camion. Lui a créé de nouvelles tournées quand elles étaient moribondes. Il est persuadé qu’elles sont idéales pour les clients en période de hausse du carburant car elles permettent aux clients de faire leurs courses sans bouger leur voiture.

Son emploi du temps est dense. Livraisons de fromages par les fournisseurs à 5h15, marché le matin pour le couple et tournée l’après-midi pour monsieur pendant que madame gère l’administratif. Fin de la journée à 19h au plus tôt. Repos dimanche et lundi. Le marché et les tournées lui permettent de vendre beaucoup de produits et de proposer ainsi un tarif attractif. « Pendant la période covid, on doublait presque les mois. Les marchés étaient interdits mais les tournées autorisées. La clientèle des marchés venait nous rejoindre et on a eu un afflux de clientèle nouvelle », se souvient-il. Son fils lui donne un coup de main. Le fromager achète un deuxième camion. Embauche son fils et sa belle-fille. La hausse des prix de l’énergie, des marges des intermédiaires grippe tout. « Il aurait fallu augmenter les prix beaucoup plus pour garder mon fils et ma belle-fille », confie-t-il, un voile dans la voix. Licenciés, tous deux travaillent aujourd’hui ailleurs.

Le timbre de Daniel se réchauffe quand il évoque ses clients. Il se remémore cette dame, qui avait du mal à sortir. « Je laissais le camion ouvert et j’allais lui ranger les produits dans son frigo. Je regardais ce qu’il manquait. » Il se souvient de cette habituée qui un jour ne s’était pas présentée : « J’ai tapé à la porte et j’ai entendu une petite voix dire : "je suis tombée". Alors je suis rentré par la fenêtre. » Il y a aussi cette mamie dont le portail était en panne et qui ne savait comment le réparer : « J’ai ramené ma visseuse et je l’ai fait. »

Sabrina Ranvier

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