FAIT DU JOUR Jeunes, seniors, cadres, smicards, urbains, ruraux… Tous tatoués
Quel est le point commun entre Saint-Florent-sur-Auzonnet, Estézargues, Saint-Maurice-de-Cazevielle et Connaux ? Tous ces villages gardois ont moins de 2 000 habitants. Tous possèdent peu, voire aucun commerce. Mais, cette année, tous ont vu s’installer un tatoueur sur leur commune.
Les tatouages à l’assaut des villages
Elles ont entre 650 et 1 700 habitants. Quatre petites communes gardoises ont vu s’installer cette année un tatoueur.
Des vagues de châtaigniers enserrent la route de Saint-Florent-sur-Auzonnet. Un panneau à vendre est scotché sur l’ancien salon de coiffure, sur le bar. La boulangerie et le tabac tiennent encore. Mais les odeurs anisées de la distillerie Germain ont disparu. C’est l’Ordi solidaire qui occupe l’édifice. À deux pas de là, les lourds bâtiments blancs de l’usine Alsthom sont clos depuis 25 ans. Mais, un peu plus haut, dans le cœur du village, deux jeunes femmes discutent devant l’ancienne épicerie. Le 9 décembre, les "louves" organisent une fête pour les un an de leur "tattoo shop".
Réseaux sociaux et recouvrement
« J’ai fait 300 kilomètres pour venir là », s’enthousiasme Christelle Chilloti. Cette Lyonnaise s'est fait faire de nombreux tatouages à côté de chez elle. Mais elle voulait se débarrasser du scorpion noir encré sur son omoplate à 27 ans. Sur Facebook elle repère Les louves tattoo shop de Saint-Florent-sur-Auzonnet. Leur spécialité ? Le cover ou recouvrement de tatouage. Christelle explique ses ressentis, l’effet qu’elle souhaite obtenir et laisse Elsa Lucio dessiner. Elle ne veut pas voir le dessin avant. Le choix est risqué. Mais sur la vidéo où elle découvre le fameux tatouage, elle bondit, rit et pleure à la fois. « Il y a de l’art, on se sent comme à la maison, énumère-t-elle. Et puis j’ai trouvé cela atypique, un salon de tatouage dans ce village où il n’y a pas grand-chose. »
Pourquoi avoir choisi Saint-Florent ? Elsa Lucio est devenue tatoueuse par hasard. Fan de dessin, elle imagine un jour un motif pour couvrir le tatouage Harley de son père. « Quand le tatoueur l’a vu, il m’a demandé ce que je comptais faire de mes doigts », sourit-elle. La jeune femme se forme durant cinq ans avec lui. Elle exerce à Vestric-et-Candiac, Congénies... « Quasiment toute ma clientèle venait d’Alès », observe-t-elle. Cette jeune trentenaire et son épouse Jess rêvent de montagnes pour élever leur fils. Elles trouvent une location à Saint-Florent, village de 1 169 habitants.
Pauline Tuech tatoue quant à elle depuis 13 ans. Cette trentenaire, spécialisée dans le réalisme, a créé en avril dernier le Chalet tatouage et jolies choses à Saint-Maurice-de-Cazevieille, dans la Gardonnenque. Ce shop privé, ouvert sur rendez-vous, est installé dans un chalet dans le jardin de son associée Céline. Il fonctionne beaucoup grâce aux réseaux sociaux, Pauline travaillait auparavant dans un salon de tatouage à Alès. « Elle voulait quelque chose de plus serein, explique Céline. Elle a gagné des conventions. Elle a une clientèle bien établie et des gens qui viennent des villages environnants. »
Multiplication dans les petits villages
Saint-Maurice-de-Cazevieille, compte 756 habitants. Cette année, des salons de tatouage privés ont aussi ouvert à Estézargues, 650 habitants, ou à Connaux, 1 700 âmes. Le tatouage n’est plus underground.
150 tatoueurs ont d’ailleurs participé à la convention du tatouage de Nîmes du 20 au 22 octobre. Une autre convention, Cevenn ink, est programmée en octobre 2024 au Parc des expos d’Alès. « J’ai commencé à me tatouer en 1993. C’était une marque de rebellion, confie Stef Bones, gèrante de Talons aiguilles, organisatrice de Cevenn ink. Avant, le tatouage était un peu perçu comme un suicide social qui empêcherait de trouver du travail. Ce n’est plus du tout le cas. » Elle met en avant ces émissions de télé-réalité où les tatouages s’exhibent. « Il y a même des émissions spécialisées "tattoo cover" sur la TNT, complète-t-elle. Le tatouage s’est complètement démocratisé. Les gens se font tatouer comme ils achètent une fringue et ils commencent de plus en plus tôt. »
La technique a évolué. Les bobines pesantes ont été remplacées par des "stylos" plus maniables qui permettent aux tatoueurs de réaliser des œuvres plus fines. Terminés les dauphins, motifs tribaux en bas du dos, les clients réclament aujourd’hui des œuvres personnalisées.