Publié il y a 2 h - Mise à jour le 13.01.2025 - Propos recueillis par Louis Valat - 7 min  - vu 94 fois

L'INTERVIEW Philippe Ribot, président de l'AMF30 : « Réduire les dépenses sans compromettre la qualité des services publics »

Philippe Ribot.

- Yannick Pons

Président de l'AMF30, Philippe Ribot revient sur une année marquée par des tensions financières et des défis de gestion pour les communes gardoises. Entre inflation, baisse des recettes et incertitudes, les collectivités locales sont sous pression. Face à ces enjeux, il détaille les stratégies déployées pour préserver les services publics tout en alertant sur les conséquences possibles pour l’investissement local.

Objectif Gard : Quel bilan tirez-vous de l'année 2024 pour les communes du Gard, tant sur le plan financier que dans la gestion des services publics ?

Philippe Ribot : Nous faisons face à une situation complexe, à double enjeu. D'une part, depuis 2023, nous subissons une augmentation constante des charges générales. Cela s'explique par l'inflation, la hausse des coûts, et également les ressources humaines, avec des mesures positives mais coûteuses, comme l'augmentation du point d'indice ou le renforcement du régime indemnitaire. À cela s'ajoutent de nouvelles obligations, comme la participation des employeurs à la prévoyance des salariés et, bientôt, à leur mutuelle, ce qui aligne davantage les collectivités sur les pratiques du secteur privé. D'autre part, nous constatons une stagnation, voire une baisse des recettes. Par exemple, même si une légère hausse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) a été enregistrée l'année dernière, d'autres sources de revenus diminuent. C’est le cas des droits liés aux transactions immobilières, qui, à Saint-Privat-des-Vieux par exemple (la commune dont il est maire, NDLR) ont chuté de 20 à 30 %, ce qui n’est pas négligeable.

Le président de l'association des maires du Gard, Philippe Ribot. • Coralie Mollaret

Dans le même temps, les dépenses augmentent en raison des changements de comportement de nos concitoyens. Depuis la fin de la pandémie, la fréquentation des cantines et des garderies a fortement augmenté, générant des coûts supplémentaires. Plus d’enfants impliquent davantage de moyens, notamment pour garantir la sécurité et la qualité des services. Cette dynamique est en place depuis deux ou trois ans et ne montre aucun signe de ralentissement.

« Les collectivités locales ne sont en aucun cas coresponsables de ce déficit. Nous acceptons de participer aux efforts collectifs, mais pas dans les proportions qui nous sont imposées. Nos gestions sont déjà très rigoureuses, au plus près des dépenses. »

Philippe Ribot, président de l'AMF30

Enfin, s’ajoute l’incertitude liée à la prochaine loi de finances. Nous avons encore en mémoire le projet de loi de finances porté par Michel Barnier, qui visait à économiser entre 5 et 10 milliards d’euros sur les collectivités, sous prétexte qu’elles seraient responsables du déficit de l’État. Cette accusation, nous la réfutons fermement au sein de l’Association des maires de France. Les collectivités locales ne sont en aucun cas coresponsables de ce déficit. Nous acceptons de participer aux efforts collectifs, mais pas dans les proportions qui nous sont imposées. Nos gestions sont déjà très rigoureuses, au plus près des dépenses. Il est profondément injuste et désobligeant de faire des collectivités des boucs émissaires dans ce contexte.

Quelles stratégies les communes gardoises mettent-elles en place pour faire face à ces contraintes budgétaires ?

Effectivement, nous finançons du service public au quotidien : les écoles primaires, l’entretien des communes, la vie associative, et bien d’autres domaines. À titre d’exemple, ce qui se passe à Saint-Privat-des-Vieux reflète une réalité partagée par de nombreuses collectivités. Actuellement, nous travaillons sur le budget 2025. C’était également le cas vendredi au Département, où le budget a été voté (relire ici). Dans ces exercices, chaque poste budgétaire est passé au crible. J’ai fixé un objectif clair : réaliser entre 10 et 15 % d’économies sur chaque ligne. Je constate qu’à l’Agglomération d'Alès, c'est la même chose. L’idée est de réduire les dépenses sans pour autant compromettre la qualité des services publics que nous devons à nos concitoyens.

Cela passe par plusieurs mesures : une vigilance accrue sur les dépenses énergétiques, une optimisation des achats, et parfois un report de certains projets. Concernant l’investissement, si notre capacité diminue, nous ne pourrons pas tout financer par l’emprunt, car cela risquerait d’alourdir considérablement notre budget dans un an, deux ans, ou trois ans. Cette situation nous pousse malheureusement à envisager, dans certains cas, soit l’annulation, soit le report de projets. Ces décisions auront des conséquences très concrètes au niveau local, notamment pour les PME, le bâtiment et l’artisanat, qui dépendent souvent de ces investissements.

Philippe Ribot
Philippe Ribot. • Archives OG

Si les subventions de l’État venaient à diminuer en 2025, quelles solutions envisager pour préserver les investissements locaux ?

Il n'y en aura pas. Les subventions, notamment de l'État, ont un effet de levier important. Quand vous avez un projet financé à 60 % grâce à des subventions, il peut être réalisé. Mais si ce taux tombe à 30 %, le projet sera décalé ou annulé. C'est un effet récessif immédiat, qui aura un impact sur l'emploi et l'activité des entreprises sur nos territoires. C'est une véritable inquiétude à ce niveau-là. Le budget 2025 est très compliqué à monter.

En tant que président de la commission départementale de présence postale, comment jugez-vous l’évolution du réseau postal dans le Gard ?

La Poste, bien que groupe désormais privé, a des obligations de service public, comme maintenir 17 000 points de contact sur tout le territoire ou respecter des critères de distance (20 minutes ou 15 kilomètres maximum). Dans le Gard, je préside la commission départementale de présence postale. Nous gérons une enveloppe annuelle de plusieurs centaines de milliers d’euros pour financer des transformations de bureaux de poste en agences postales communales ou en relais commerçants. Quand Barnier a proposé de réduire cette enveloppe nationale de 50 millions d’euros, cela a provoqué une levée de boucliers, et cette idée a été abandonnée. Mais l’enjeu à venir, c’est la négociation du contrat de présence postale pour la période 2026-2028. Ce contrat, renouvelé tous les trois ans, est négocié entre l’État, La Poste et l’Association des maires de France.

« (...) le bureau de poste de Tamaris est en discussion : La Poste envisage sa fermeture, car le bureau n’est pas classé prioritaire. Personnellement, je ne suis pas d’accord avec cette décision, et je l’ai fait savoir. »

Philippe Ribot, président de l'AMF30

Actuellement, La Poste ne peut pas fermer des bureaux comme elle le souhaite. Dans les communes de moins de 10 000 habitants, des garanties existent. Mais dans les communes de plus de 10 000 habitants, comme Alès, les règles sont différentes. Par exemple, le bureau de poste de Tamaris est en discussion : La Poste envisage sa fermeture, car le bureau n’est pas classé prioritaire. Personnellement, je ne suis pas d’accord avec cette décision, et je l’ai fait savoir. Des négociations sont en cours pour trouver une solution et maintenir une forme de service public dans ce secteur. L’AMF est particulièrement vigilante sur ces sujets et veillera à défendre les intérêts des communes lors des négociations du prochain contrat. L’idée est de continuer à garantir une présence postale dans les territoires, notamment ruraux. Cela reste compliqué, car certains bureaux ont une fréquentation quasi nulle, ce qui pose la question de l’efficacité de ces dépenses. Il faut comprendre que le modèle économique de La Poste évolue. Il y a 10-15 ans, 90 % de son chiffre d’affaires provenait du courrier. Dans quelques années, ce ne sera plus que 15 %. Cela bouleverse sa capacité à assurer ses missions de service public tout en restant viable économiquement.

La situation médicale dans les petites communes s’améliore-t-elle ?

Malheureusement non, on ne peut pas dire que la situation médicale dans les petites communes s’améliore. Il peut y avoir des cas isolés d’amélioration. Par exemple, sur mon canton, un jeune médecin, originaire du secteur, a décidé de s’installer et de continuer à y vivre. C’est une excellente nouvelle, d’autant qu’il commence ce lundi. Mais ce genre de situation reste ponctuel et ne reflète pas une tendance générale. La réalité est bien plus complexe. Sur ma commune, il y a encore 4 ou 5 ans, nous avions quatre médecins. Au 1er janvier 2026, nous n’en aurons plus aucun. C’est une situation très préoccupante. Les projections parlent d’une possible amélioration dans 7 à 10 ans, mais d’ici là, les difficultés risquent de s’aggraver.

Les hôpitaux, eux aussi, sont sous pression. Par exemple, à Alès, les urgences se régulent presque tous les week-ends, une situation qui se répète dans d’autres établissements du département. Cela rend l’avenir particulièrement inquiétant, notamment dans une société où la population vieillit. Les seniors, au-delà de 60 ans, sont les premiers touchés par ce manque de soins de proximité. Quant aux jeunes, ils consultent moins souvent les médecins et se rendent généralement à l’hôpital uniquement en cas d’urgence.

Philippe Ribot est maire de Saint-Privat-des-Vieux • Tony Duret

Un autre problème est la concurrence entre collectivités pour attirer les médecins, ce qui entraîne une surenchère de moyens. C’est une démarche malsaine, d’autant qu’il n’y a aucune garantie que ces professionnels s’installent durablement. Beaucoup restent seulement deux ou trois ans avant de partir, parfois pour des raisons personnelles comme le travail du conjoint ou l’envie de s’installer dans une région plus attractive. Pour l’instant, la situation reste donc très compliquée et anxiogène, tant pour les élus que pour la population.

Quelles sont les priorités de l’AMF30 pour 2025 ?

Les priorités de l’AMF30 pour 2025 s’articulent autour de plusieurs axes. Nous mettons un point d’honneur à développer des partenariats variés pour enrichir l’offre de formations destinées aux élus. Par exemple, nous organiserons prochainement une formation dans le Gard rhodanien en collaboration avec The Shift Project, un mouvement fondé par Jean-Marc Jancovici, spécialiste reconnu de la décarbonation des activités économiques. On va travailler sur la sensibilisation des élus à la décarbonation des activités des collectivités.

Récemment, nous avons également tenu une réunion au Vigan sur les ouvrages d’art, pour sensibiliser les élus à l'entretien des ponts notamment, c'était passionnant, en partenariat avec l’agence technique départementale et le Syndicat national des réparateurs d’ouvrages d’art. Une nouvelle session sur ce thème est envisagée dans l’année. Nous poursuivons également nos efforts pour organiser des formations tout au long de l’année, même si en fin de mandat c'est moins prégnant. Le salon de l’AMF30 se tiendra cette année à Alès, le 22 mai. À cette occasion, nous mettons en lumière des acteurs locaux essentiels. Après avoir honoré la Banque Alimentaire l’année dernière, nous valoriserons cette année l’Union départementale des CCAS ainsi que la Banque Alimentaire à nouveau.

« J’ai également intégré le conseil d’administration de l’ARS Occitanie aux côtés de trois autres maires de la région. »

Philippe Ribot, président de l'AMF30

On a sollicité les deux procureurs pour parler de la responsabilité juridique des élus et de leurs qualités en tant qu'officiers de police judiciaire. Le salon est un moyen de faire parler des gens, de mettre à l'honneur des personnes qui ne sont pas habituellement très visibles. C'est assez intéressant de ce point de vue-là. Cela se présente très bien. Par ailleurs, j’organise une réunion de l’AMF Occitanie au Pont du Gard le 20 février prochain. J’ai également intégré le conseil d’administration de l’ARS Occitanie aux côtés de trois autres maires de la région. Enfin, nous élargissons notre cercle de partenaires pour le salon : l’IMT Mines Alès y participera pour la première fois, et la Garde nationale sera également présente.

Propos recueillis par Louis Valat

A la une

Voir Plus

En direct

Voir Plus

Studio