L'ENQUÊTE (1/3) Il était une fois les Cévennes rouges...
L'histoire des Cévennes, cette zone montagneuse située aux confins du Gard, de la Lozère et de l'Ardèche, est profondément marquée par le communisme. Mais la vague rouge qui s'est emparée de ce territoire depuis plus d'un siècle est aujourd'hui moins puissante et plus fragile. Objectif Gard a mené l'enquête pour tenter de comprendre l'évolution de l'un des derniers bastions de France. Décryptage en trois volets.
Après-guerre. Le Parti communiste français est à son apogée dans l'Hexagone. Il soutient avec force la production charbonnière et les mineurs. En 1958, dans le bassin d'Alès, les Houillères – lieux d'extraction – sont un pilier de l'emploi local avec pas moins de 20 000 ouvriers. Ils ont pour consigne d'extraire 3,3 millions de tonnes de charbon des sous-sols. Une tâche difficile pour ces travailleurs qui, pour la plupart, ne voient jamais la lumière du jour pour une paye de misère.
André Bonnefoi, ancien mineur aujourd'hui âgé de 80 ans, habite toujours dans la vieille cité ouvrière du Martinet. Un lieu hors du temps, où les maisons grises sont encore numérotées. Il raconte : « Notre quotidien, c'était le salaire : le patron avait tendance à payer le moins possible. C'était une bataille de tous les jours ». C'est ainsi que l'ex-leader syndicaliste est entré au PC à seulement 17 ans. « Le parti disait qu'il fallait se battre contre le patron. Je suis devenu adepte naturellement de la lutte des classes », évoque t-il, assis dans son salon truffé d'objets souvenirs des mines.
A l'époque, Alès compte trois sections communistes pour environ 1 500 adhérents. Parmi eux, une centaine est salariée à la fonderie de Tamaris, qui compte 900 personnes. L'usine métallurgique Richard-Ducros a, elle aussi, sa cellule PC. « Le dimanche, on se rassemblait tous avec des paquets du journal La Marseillaise et on faisait de la vente de masse. Un jour, on a battu un record de 500 journaux vendus aux Prés-Saint-Jean ! Et on faisait aussi des campagnes d'affichage. On était nombreux et ça créait une dynamique », sourit Jean Molinier, dit Jeannot, secrétaire de section à Alès dans les années 1970.
Le communisme cévenol ne s'arrête pas aux ouvriers. Il prend ses racines dès le XIXe siècle, chez les paysans attachés à leur terre. « Avant que le communisme n'existe, les Cévennes étaient tournées vers le socialisme et les mouvements de résistance. Chez les protestants en particulier, il y a cet ancrage révolutionnaire : il faut être à gauche toute », explique l'historien Patrick Cabanel. Philippe Joutard, historien spécialisé dans la guerre des Camisards, va plus loin : « L'attachement des Cévenols à la liberté s'alimente au souvenir du passé camisard : le goût de la « dissidence » et une certaine méfiance vis-à-vis des institutions officielles des Églises ne sont pas sans rapport avec l'habitude de s'organiser en petites communautés ».
L'arrivée des néos dans les années 1970 ajoute de l'éclat au rouge des Cévennes. Venus des quatre coins de la France, des centaines de soixante-huitards utopistes s'installent dans les contrées les plus reculées. « Ils voulaient quitter le monde de la consommation. Dans les Cévennes, il y avait à la fois le soleil et les maisons à l'abandon », souligne Antoine Page, réalisateur d'un documentaire sur les néos*.
Un communisme à plusieurs visages
Si le communisme émane de différentes époques, il prend une dimension différente selon ses soutiens. Pour Jean-Claude Paris, maire des Mages depuis 1983, bien plus qu'un parti, c'est un ADN : « Pour moi ce n'est pas dans la tête, c'est dans les tripes ! Même si j'ai souvent été en désaccord avec mon parti, je mourrai communiste ! ». Fils de mineur, l'édile adhère au PC à 17 ans, « un peu par mimétisme au départ », reconnaît-il. Rapidement, son mode de vie s’imprègne de cet engagement : « Nous étions tous des camarades. S'il y en avait un qui avait besoin, on l'aidait. Je pense que le communisme est la moins pire des choses dans le monde politique dans lequel nous vivons. Par exemple, pendant la libération, la soupe populaire du parti était servie aux Mages, ça créait des liens ».
Sylvain André, jeune trentenaire de la section PCF d'Alès et élu à Cendras, pense différemment. Ce qui n'enlève rien à son engagement. « Pour moi, ce n'est qu'un outil de travail au service des gens. Nous devons inventer des choses et construire une nouvelle société. Ça aurait pu être avec un autre parti. Mais pour certains camarades, c'est bien plus. Ils y ont trouvé une famille et des amis ». Les plus anciens se considèrent souvent comme des frères. Alain Laurens, journaliste à La Marseillaise, témoigne : « Roger Roucaute (ancien maire d'Alès, Ndlr) me tutoyait, même s'il ne me connaissait pas. Simplement parce que j'étais communiste comme lui ».
Quatre députés communistes en 1978
C'est sûr, le communisme a connu de grandes heures dans le département. A l'époque du Front Populaire déjà où le Gard faisait partie des départements à envoyer le plus de députés communistes à l'Assemblée nationale. En 1978, quatre députés rouges sont élus. On se souvient aussi des 20 ans de règne de Roger Roucaute à la mairie d'Alès.
Mais, d'élections en élections, le parti communiste commence à perdre de la vitesse sur ses propres terres comme au national. Aux législatives, chaque nouveau scrutin emporte un ou deux députés, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus aucun en 1993, même si deux élus reviennent sur le devant de la scène le temps d'un mandat. En parallèle, lors des élections municipales de 1995, la droite s'empare du bastion alésien à la faveur d'une manœuvre politique. Le déclin est amorcé.
A suivre à 12h : L'ENQUÊTE (2/3) Du rouge au bleu marine
*Documentaire "Chalap, une utopie cévenole", 2013
Éloïse Levesque et Élodie Boschet