FAIT DU JOUR Qui sont les gilets jaunes ?
Ils font la Une de l’actualité depuis samedi dernier. Mais qui se cache derrière les gilets jaunes ? Pour répondre à cette question, nous sommes allés à leur rencontre à Nîmes, Alès et à l’Ardoise, près de Bagnols. Et si les gilets sont tous les mêmes, ce n’est pas le cas de ceux qui les portent.
Au blocage de la plateforme FM Logistic à l’Ardoise, Jauffrey, 23 ans, arbore un gilet jaune et participe à la manifestation en ce mardi froid et gris. Il est chef d’entreprise et se présente comme « grossiste en produits d’entretien à Bagnols. » Il n’a pas hésité à mettre son activité entre parenthèses pour rejoindre les gilets jaunes, « parce qu’on paie trop de taxes, trop de tout. »
Quand on lui demande si l’augmentation des prix du carburant a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, il acquiesce : « oui, ç'a été la goutte d’eau. Là c’est trop. » Suffisant pour l’emmener à manifester alors qu’il l’affirme sans détour : « je n’ai jamais manifesté avant. » Jamais syndiqué, ni encarté dans un parti politique non plus, précise-t-il ensuite. L’organisation horizontale du mouvement des gilets jaunes lui plaît, car « chacun est responsable de ses actes. »
La goutte d'eau ? le carburant !
Jauffrey est déterminé à rester le temps qu’il faudra, « jour et nuit, ce n'est que le début », affirme-t-il. Et tant pis pour son entreprise, qu’il fait tourner tout seul. « Ma boîte ? Ce n’est pas grave. Je préfère me battre deux semaines et payer moins de taxes à l’arrivée plutôt que continuer à travailler et à en payer. » Quant aux mesures annoncées par le gouvernement la semaine dernière pour désamorcer le conflit, « c’est du pipeau », tranche-t-il.
À côté de lui, Nicolas, 40 ans, salarié dans une entreprise industrielle à l’Ardoise. Il participe lui aussi au blocage de la plateforme. Ce mardi, il joue à domicile, pourrait-on dire : « hier (lundi, ndlr), j’étais à Pont-Saint-Esprit, avant-hier (dimanche, ndlr) à Remoulins et samedi à Bagnols. Je les ai toutes faites ! », affirme-t-il avec fierté.
Contrairement à Jauffrey, il se présente comme « un pro de la manif ». Et pour cause : Nicolas est syndiqué à la CGT depuis plus de dix ans. Que pense-t-il de ce mouvement, né sans syndicat et à l’architecture horizontale ? « C’est le mieux. Comme ça on n’a pas de politique. Là ce sont les citoyens. On ne mélange pas. » Lui dit qu’il manifeste « surtout pour l’essence. Quand on va dans d’autres pays, comme l’Espagne, ils n’ont pas de taxes comme ça. » Et il compte rester un moment : « j’ai posé des congés exprès, jusqu’à vendredi. Et je resterai tant qu’en j’en aurai ! »
Depuis samedi matin, le rond-point du Kilomètre Delta, à Nîmes, est occupé par les gilets jaunes. Parmi eux, il y a Anthony. Il a 17 ans, est déscolarisé et en attente d’un service civique. Depuis le début de la mobilisation, il vient tous les jours. « Au lieu de rien faire chez moi, je préfère donner du temps pour des choses qui me tiennent à cœur. J’espère faire bouger les choses. » Les revendications du jeune homme ne se limitent pas au prix du carburant : « Je vois la retraite de ma mère qui baisse et les taxes qui augmentent. Avec un Smic, on ne s’en sort plus. »
« C'est notre avenir qui est en jeu »
Le Nîmois se dit aussi impacté par la baisse du pouvoir d’achat : « Je me débrouille avec de l’argent de poche où en vendant des vêtements d’occasions. Rien que pour manger en ville avec des amis, ça revient relativement cher. Pareil pour les soins de santé. » Anthony avoue ressentir le ras-le-bol général, mais il regrette le manque d’implication des étudiants. « Cela me désole, car c’est notre avenir qui est en jeu. » Il n’avait jamais imaginé manifester, mais il est bien décidé à venir, le temps qu’il faudra, avec son gilet jaune.
Non loin d’Anthony, se trouve Gérard, à la retraite. Hormis lundi, il est venu tous les jours de Souvignargues pour exprimer son mécontentement. Il a fait du chef de l’État sa cible privilégiée : « Il faut que Macron comprenne qu'on n’est pas contre les efforts, mais contre l’inégalité. Quand on voit que son ami, Carlos Ghosn, détourne de l’argent au Japon, et que l’on vient nous dire qu’il est clair en France, on ne peut pas le croire ».
L’ancien chauffagiste n’est pas à sa première manifestation : « J’ai fait mai 68. » Même s’il ne s’attend pas à une nouvelle révolution, Gérard prévoit une relance du mouvement : « Samedi, ça va être pire que le week-end dernier et je resterai le temps nécessaire. »
« La vie devient vraiment trop chère »
Au rond-point de la sortie de la double voie, Michaël, un Alésien de 37 ans, est sur le pont depuis samedi. Responsable d’un magasin d’informatique,de téléphonie et reprogrammation des véhicules dans le centre-ville d’Alès, il manifeste « car la vie devient vraiment trop chère. En 2022, le carburant coûtera deux euros le litre ! Les gens en ont ras-le-bol de payer tout ça et de manquer de pouvoir d’achat. »
Alors, depuis le début du mouvement, le manifestant et ses camarades font acte de présence. Ce mardi, les poids-lourds qui arrivent par la double voie sont complètement bloqués. Tout comme les stations-service ! « On va tout faire pour qu’elles soient à sec. » Avec les autres gilets jaunes, Michaël entend bien poursuivre la mobilisation cette semaine. « On compte fermer (sic) Cora », annonce-t-il avant d’insister sur un point : « Il n’y a pas eu d’incidents particuliers et on fait en sorte d’assurer la sécurité des gens. »
Même s’il n’a pas enfilé le gilet jaune, Gimmy, un maçon alésien de 45 ans, fait le même constat que les autres protestataires. C’est même lui qui a initié la manifestation alésienne avec un certain Yann. « Y’en a marre de tout : des taxes, des 80 kms, du prix du carburant… Moi, je ne m’en sors plus financièrement. Les impôts m’assassinent. Je fais partie de cette classe moyenne qui n’a droit à aucune aide. »
Ce père de famille a été contraint de faire une croix sur des projets de vacances : « Avant, je partais au ski et je prenais des vacances. Maintenant, je ne peux plus. » Il espère que le gouvernement « lâchera un peu de lest » face à cette colère générale. En attendant, c’est lui qui va coordonner l’action des motards prévue samedi 24 novembre. « Nous partirons à 14h30 des halles de Bruèges pour aller jusqu’à la sous-préfecture. » Samedi dernier, 130 motards avaient participé à une opération similaire de ralentissement.
Thierry Allard (à Laudun l'Ardoise), Norman Jardin (à Nîmes) et Tony Duret (à Alès)