FAIT DU JOUR Épisode cévenol : "Ce n'est que du matériel, ça se rachète, pas une vie"
De mémoire d'habitants, personne n'a jamais vu ça. À Valleraugue, c'est la stupéfaction ce dimanche au lendemain de la crue exceptionnelle qui a lourdement touché le village. Regards hagards se mêlent à l'agitation ambiante.
Au milieu des camions de pompiers, des gendarmes et des pelleteuses, les habitants tentent de mettre un peu d'ordre dans ce qui reste de leurs affaires. La plupart chaussés de bottes, pataugeant dans la boue. Certains ont tout perdu ou presque.
Il faut dire que l'épisode cévenol de ce samedi 19 septembre a été particulièrement violent. À 10h55, le niveau de l'Hérault atteignait 5,45m de haut selon la station Vigicrues (560 mm de pluie sont tombés à Valleraugue en quatre heures). C'est plus que la crue historique survenue le 5 novembre 2011 qui était montée jusqu'à 4,30 mètres au plus fort.
Rien que sur la route reliant la commune de Pont-d'Hérault et Valleraugue, longeant le fleuve, se dresse un paysage de désolation. Les embâcles bordent la voie, couverte par endroits de boue glissante, de pierres et d'objets en tout genre. Vestiges de traces de vies humaines arrachées de force par la puissance de l'eau. Des pans de route se sont décrochés, des arbres entiers déracinés demeurent encore sur la chaussée. Le pont reliant le camping La Corconne s'est en partie effondré. D'autres édifices ont été fragilisés et sont impraticables. Les techniciens Enedis sont mobilisés pour tenter de rétablir le courant.
Et la vision apocalyptique se poursuit au village de Valleraugue. Le bitume est couvert de boue. L'humidité semble transpirer des murs des maisons du centre. À peine s'engage-t-on sur l'allée principale qu'on aperçoit des voitures embourbées dans la terre détrempée. Un peu plus loin, on distingue les premiers riverains essayant de nettoyer leurs habitations méconnaissables. Les coups de balai vont bon train mais paraissent dérisoires face à l'ampleur de la tâche.
Francis, 61 ans, habite le village depuis quatre ans. "Je ne vais sûrement pas y rester longtemps après ça", lâche-t-il en regardant sa terrasse transformée en marécage. Toute la matinée, il a lavé le sol où 25 cm d'eau se sont engouffrés. Il s'estime heureux par rapport à d'autres sinistrés mais le traumatisme est là.
C'est les larmes aux yeux que Guillaume Parsy nous raconte la journée de samedi. Son garage automobile a été particulièrement touché ainsi que son appartement situé au rez-de-chaussée de l'ancienne gendarmerie nationale qui a été submergé d'eau et de boue. Pratiquement un mètre de hauteur. Face à l'ampleur de la catastrophe, les amis et la famille du Valleraubois sont venus lui prêter main forte. "Ce sont des moments assez difficiles et on se rend compte qu'on a un bon entourage. On pense que ça n'arrive qu'aux autres et non..." Il ajoute : "Je n'ai plus rien, tout est parti, les meubles... Et dans le garage, c'est pareil. Une partie de mon matériel a fini à la rivière."
Deux vagues successives vers 9h30 et 11h ont entraîné une montée des eaux extrêmement rapide. Au point que les habitants ont juste eu le temps de se mettre à l'abri, en hauteur, sans rien prendre avec eux. Devant sa maison, Tyrone, 9 ans, écope. Le visage fermé, il lance "1,60 m d'eau chez moi". Dans l'escalier, seules les couleurs de sa planche de surf semblent avoir été épargnées par la couverture brune de la bourbe. "On n'a réussi à sauver que ça", déplore sa mère. Les photos, les souvenirs, les affaires d'école ont été emportés. Et le père de famille, Frédéric Da Graca, de relativiser : "Ce n'est que du matériel, ça se rachète, pas la vie." Au-delà des meubles, leurs habits ont été souillés. Sans eau courante, la famille replonge dans les temps anciens et lave ses vêtements dans la rivière.
Ce dimanche matin, une poignée de touristes séjournant dans l'hôtel-restaurant Les Bruyères a quitté les lieux. 1,50m d'eau s'est infiltré dans l'établissement. Pour eux, les vacances sont terminées. Pour Adrien Bastide, le propriétaire, c'est un coup dur : "Tout ça, c'est ma vie, tout ça est parti en l'espace de 20 minutes." Le clou s'enfonce un peu plus pour ce professionnel du tourisme, qui a repris l'affaire familiale il y a 17 ans. Déjà fragilisé par la crise sanitaire et l'absence des visiteurs étrangers, il a peur de devoir fermer son hôtel-restaurant. Sa terrasse suspendue au-dessus de l'eau, véritable vitrine des Bruyères, a été emportée par la puissance du courant. Comme tous les sinistrés, il attend de voir ce que va lui dire son assurance.
Il y a ceux qui constatent les dégâts et ceux qui à leurs côtés les épaulent dans cette épreuve. Une solidarité instinctive s'est mise en place rapidement à l'échelle du village. "C'est très joli à voir, c'est ce qui aide à aller mieux dans ces drames", témoignent Julie NGoudou, touchée par la tristesse des gens. Elle est venue mettre la main à la pâte "pour aider les voisins plus sinistrés que nous."
Les commerçants du village n'ont pas été laissés de côté non plus. Marie, gérante du Jardin de Gaïa, a perdu quasiment tout son stock de légumes, jus de fruits, bocaux... Parmi la vingtaine de bonnes âmes mobilisées autour d'elle, Valentin, un enfant du village : "On essaye de faire au mieux, de donner de notre temps. Je pense qu'ici ça coule de source de venir aider les gens qu'on connaît."
En début d'après-midi, ce dimanche, la sous-préfète du Vigan, Joëlle Gras, est venue constater l'ampleur des dégâts et identifier les besoins des habitants.
"Il faut distribuer de l'eau potable car la commune est privée d'eau courante actuellement. (...) Il est important que les particuliers puissent joindre leurs proches, la Croix-Rouge prend le relais pour leur dire que tout va bien et les rassurer", détaille Joëlle Gras.
Le maire, Joël Gauthier, accompagnait la sous-préfète du Vigan. Il reste optimiste malgré l'immense travail qui se dessine pour que Valleraugue retrouve son charme d'avant le 19 septembre : "J'avais mes agents sur place qui faisaient le nécessaire mais on s'est sentis vraiment impuissants face à cette vague d'eau. C'est comme un cheval au galop, on ne peut rien faire. On va se retrousser les manches et on va essayer de tout reconstruire. Il ne faut pas perdre espoir. On va y arriver comme on a toujours su faire dans nos Cévennes."
En partant du village sinistré à 16h, le calme n'était toujours pas revenu. Il faudra du temps pour que les meurtrissures causées par les eaux torrentielles se résorbent. On voyait encore les têtes dépasser des fenêtres immortalisant avec leur téléphone portable le chaos s'offrant à perte de vue. Les miaulements aigus d'un chat prostré au fond de sa cage de transport prouve que cette tragédie est humaine mais aussi bien au-delà.
À l'heure où nous écrivons ces lignes, deux personnes sont toujours portées disparues suite à la crue. Le véhicule de l'une d'elle a été localisé à Pont-d'Hérault mais la personne n'a toujours pas été retrouvée. La seconde, dont on n'a pas de nouvelles depuis hier, n’a toujours pas été retrouvée. Des équipes cynophiles et des sauveteurs en eaux vives poursuivent les recherches.
100 sapeurs-pompiers gardois seront encore mobilisés sur le terrain lundi et 250 autres dans les centres de secours pour assurer la réponse opérationnelle courante. 250 sapeurs-pompiers des départements limitrophes et de la Sécurité civile continueront à leur porter main forte.
Marie Meunier et Stéphanie Marin