CÔTES DU RHÔNE Scandale au Carré du Palais : escroquée, Inter Rhône réagit
C’est un beau bâtiment, de 2 000 mètres carrés, situé entre le Palais des Papes et la mairie d’Avignon.
Le Carré du Palais, ancien bâtiment de la Banque de France, doit accueillir la nouvelle vitrine des vignobles de la vallée du Rhône, impulsée par l’interprofession Inter Rhône. Un projet de 7 millions d’euros qui aurait dû ouvrir dans dix jours. Au lieu de ça, il est au coeur d’un imbroglio juridique.
« Escroquerie », « tentative d’escroquerie », « travail dissimulé » et « blanchiment »
Et pour cause : le maître d’oeuvre et maître d’ouvrage du projet, Jean-Marie Renaud, et son épouse ont été mis en examen la semaine dernière pour « escroquerie », « tentative d’escroquerie », « travail dissimulé » et « blanchiment ». L’homme ne serait pas en réalité un architecte diplômé, aurait surfacturé ses prestations et se serait rendu coupable de nombreuses anomalies graves sur le chantier.
Muette depuis le dépôt de la plainte et la rupture du contrat avec Jean-Marie Renaud intervenus à l’été dernier, l’interprofession a donné jeudi matin à la maison des vins d’Avignon une conférence de presse très attendue. Le président Michel Chapoutier est venu accompagné de l’avocat Matthieu Chirez, du cabinet Karsenty et associés. Pour l’heure, Inter Rhône et son avocat n’ont pas eu accès au dossier, puisqu’ils ne se constitueront partie-civile que d’ici quelques jours. « Alors on fera un peu de langue de bois », lancera sans langue de bois justement Michel Chapoutier en guise de préambule. Il s’agissait pour Inter Rhône de donner sa version des faits d’une affaire potentiellement explosive.
Tout d’abord, sur le choix de Jean-Marie Renaud comme maître d’oeuvre et maître d’ouvrage : « le dossier a été proposé avec Jean-Marie Renaud, affirme Michel Chapoutier. Il avait déjà travaillé pendant plusieurs années sur le bâtiment (détenu alors par la société économie mixte Citadis, ndlr), il avait fait un état des lieux, des mesures, des investissements coûteux en temps et en argent étaient déjà réalisés, c’était dans le bouquet de la mariée. » Pour Inter Rhône et son président de l’époque Christian Paly, l’occasion de gagner du temps sur son projet était trop belle. Nous sommes en 2012, et bientôt l’interprofession va déchanter.
L’accès handicapés et le système d’extraction oubliés
Michel Chapoutier prend la succession de Christian Paly en novembre 2014, « et dès le mois de décembre, j’envoie à Jean-Marie Renaud des lettres recommandées avec des questions, notamment sur la sous-traitance, pour qu’il se sente suivi de près », affirme le président. Sauf que les réponses ne parviendront jamais, ou alors très partiellement à la direction d’Inter Rhône. Alors « en juillet 2015, je le convoque et je lui pose des questions sur la facturation, la sous-traitance et mes craintes de retard », rembobine Michel Chapoutier. C’est sa première rencontre avec le maître d’œuvre et d’ouvrage : « tout de suite, je suis assez surpris par l’aplomb de ce monsieur. Je ne suis pas un perdreau de l’année, mais j’ai vu un type très rassurant. » Le nouveau président en conclut que l’homme « est plus désorganisé qu’autre chose. » Il en profite tout de même pour faire baisser de trois pour-cents ses honoraires.
Las, rien ne change : « en janvier 2016, je vois que les désordres continuent, je provoque un audit et dans la foulée on embauche un assistant à maîtrise d’ouvrage et un organisation planning chantier. » Il en ressort un catalogue d’anomalies toutes plus grossières les unes que les autres : les dimensions de la porte d’entrée ne correspondant pas aux normes, l’accès pour les personnes à mobilité réduite a été oublié, aucune extraction n’est prévue sur le toit alors que le projet comporte un restaurant. Autre bévue à peine croyable : « il a sauté l’étape de l’architecte des Bâtiments de France, s’étrangle Michel Chapoutier. On est à côté d’un monument classé à l’Unesco ! »
C’est à cette époque que Michel Chapoutier « commence à avoir de réels soupçons, notamment sur des risques de surfacturation et de malversations. » Logiquement, Inter Rhône casse le contrat qui la lie à Jean-Marie Renaud le 29 juillet 2016 et dépose plainte. Les policiers avignonnais se mettent sur l’enquête, et demandent à Inter Rhône la plus grande discrétion pour ne pas mettre la puce à l’oreille du mis en cause. Pendant ce temps, l’architecte des Bâtiments de France rattrape le dossier, l’assistant à maîtrise d’ouvrage et l’organisation planning chantier remettent le chantier sur les rails et les artisans, « qui sont eux aussi victimes, jouent le jeu et le chantier avance », salue Michel Chapoutier.
« Architecte » et associé
L’enquête de police durera huit mois, pour s’achever ce mois-ci par la quadruple mise en examen du couple. « L’enquête a été plus longue que ce que les policiers pensaient, c’est peut-être car ils ont trouvé plus de choses que ce qu’ils pensaient », avance le président. Quant au préjudice, il est encore loin d’être chiffré : « on reproche à ce monsieur une escroquerie, rappelle l’avocat Me Chirez. Inter Rhône a versé des honoraires, il convient de s’interroger sur leur caractère indu, et d’un point de vue technique, les anomalies détectées seront chiffrées. » Le chiffre avancé par le Parquet, à savoir 770 000 euros, n’est pas confirmé par l’avocat, mais celui-ci confirme que le préjudice « ne se comptera pas en millions et aurait pu être bien pire sans la vigilance de Michel Chapoutier. »
Reste que la Carré du Palais n’en a pas tout à fait fini avec Jean-Marie Renaud, puisque celui-ci est également… associé dans la SCIA qui porte le projet, dont il détient toujours 22 % des parts (Inter Rhône et les professionnels de la filière détiennent 34 % chacune et le chocolatier Bernard Castelain 7,5 %). « Il ne peut pas rester comme associé », tonne Michel Chapoutier. A terme, l’éventualité de voir la justice saisir ses parts pour indemniser le préjudice n’est pas à exclure.
Et maintenant ? Jean-Marie Renaud est assigné à résidence avec un bracelet électronique, son épouse sous contrôle judiciaire, et Inter Rhône ne compte pas lâcher le morceau : le Carré du Palais ouvrira, coûte que coûte. Le projet comptera un bar à vins avec restaurant bistronomique, un restaurant gastronomique, une partie snacking, un espace de dégustation et quatre boutiques dans les domaines du chocolat, du café, du thé, des pains et brioches et pourquoi pas de l’olive et de la charcuterie. L’objectif est d’ouvrir le bar à vins et la terrasse « avant le festival », affirme le président, et le reste « à l’automne. » Le feuilleton judiciaire devrait quant à lui se poursuivre bien après.
Et aussi :
A Villeneuve aussi ? : la révélation de la mise en examen du couple Renaud a fait réagir de l’autre côté du Rhône, où des riverains de la rue Crillon et de la Monnaie de Villeneuve ont adressé une lettre ouverte à leur maire Jean-Marc Roubaud. Ils y dénoncent « les transformations en cours au domaine de la Tour », acquis en 2007 par les époux Renaud. « Le mur historique de l'Hôtel du cardinal de Barroso se détériore faute d'entretien. Des évidements grossiers fragilisent cet ouvrage qui ne tient que par des étaiements précaires, des câbles électriques non protégés sortent du mur à hauteur d’homme. La sécurité publique est menacée. Ce mur de pierres est surmonté d'un placard en briques rouges du pire effet. Un portail à moitié démoli laisse apparaître ferrailles et tôles rouillées », énumèrent les riverains. Des riverains qui dénoncent également « Outre le saccage et l'abandon actuel du domaine, nous nous trouvons confrontés à des nuisances sanitaires », la piscine du domaine, où avait été tourné le film Gazon Maudit, devenant un nid de moustiques. « Nous attendons de vos services et de ceux de l'Etat qu'ils s'attellent dès maintenant à la sauvegarde du patrimoine » lancent les signataires en s’adressant au maire.
Thierry ALLARD