FAIT DU JOUR Abattoir d'Alès : le scandale qui divise
Mercredi, l'association de protection animale L214 a rendu publique une vidéo filmée dans l'abattoir d'Alès. Les images, insoutenables, ont poussé le maire d'Alès à fermer provisoirement l'établissement. Alors que la plupart des citoyens sont choqués, certains bouchers restent impassibles et d'autres sont écœurés.
Le scandale qui éclabousse l'abattoir d'Alès divise la profession. Certains bouchers trouvent ces images « normales » et ne s'en émeuvent absolument pas. D'autres sont « dégoûtés » devant les maltraitances que subissent les animaux sur la vidéo. Quant aux clients, ils rechignent un peu plus à acheter leur morceau de viande chez le boucher du coin. « De quel abattoir vient votre viande ? » interrogent-ils, suspicieux.
Faire réfléchir le consommateur, c'est justement le but recherché par l'association L124. En diffusant ces images filmées clandestinement entre avril et mai 2015, elle souhaite frapper les esprits. Et dénoncer des pratiques fort discutables, commentées dans un rapport rendu par le professeur Gilbert Mouthon, docteur vétérinaire à Versailles. « L'abattoir, c'est une boîte noire. On ne sait pas ce qui se passe derrière les murs », indique Sébastien Arsac, porte-parole de l'association. Avec ce film, on sait désormais ce qu'il s'est passé à Alès.
Des étourdissements « ratés »
Aujourd'hui, la législation impose que la bête soit insensibilisée avant d'être abattue, à trois exceptions près : l'abattage rituel, la mise à mort d'urgence ou lorsque le procédé utilisé est préalablement autorisé et entraîne la mort immédiate. Dans les autres cas, l'animal est étourdi à l'aide d'un pistolet à tige perforante. Cet outil agit directement sur sa boîte crânienne et lui fait perdre conscience. Selon la loi, la saignée doit être effectuée juste après l'étourdissement, avant que la bête « ne reprenne ses esprits ».
Dans la vidéo de l'abattoir d'Alès, la scène ne semble pas respecter la loi. Accrochés par une patte sur la chaîne d'abattage, des chevaux montrent des signes de reprise de conscience avec des tentatives de relever la tête et des mouvements des oreilles. « Le cas le plus emblématique est celui d’un taurillon suspendu présentant des signes de conscience pendant environ quatre minutes et les employés indifférents le prennent en photo », déclare le professeur Mouthon dans son rapport.
Pour Christophe Vidal et Samuel Chamoin, bouchers à Alès, « ce sont les nerfs qui font bouger la bête ». Un avis non partagé par leur confrère Charles Acaraz : « Dans certains cas, ça peut être les nerfs mais là quand même ça bouge beaucoup ! » En cas d'étourdissement raté, la réglementation impose d'étourdir une seconde fois, ce qui n'est pas le cas dans les scènes filmées.
Des animaux suspendus encore conscients
Avant d'être suspendus, les employés doivent s'assurer que l'animal est bien mort en effectuant des tests de contrôle de l'état de conscience. Lorsqu'il n'y a pas d'étourdissement, la bête doit être immobilisée jusqu'à sa mort. « Ces règles ne sont pas respectées. Les bovins sont suspendus immédiatement, alors qu'ils sont encore vivants. C'est un vrai massacre », déplore Sébastien Arsac. Même punition pour les moutons, « égorgés en pleine conscience dans un tonneau rotatif avec pleine vue sur la salle où sont découpés leurs congénères », dénonce l'association.
Mais pour le boucher Christophe Vidal, les employés restent irréprochables. « C'est des professionnels qui y travaillent. A chaque fois que j'y suis allé, le travail était toujours bien fait. Cet abattoir est impeccable ». Même discours chez Samuel Chamoin : « En France, ça se passe partout comme ça. La bête est tuée et se fait accrocher par une patte. Je peux comprendre que ça puisse choquer mais c'est comme ça ». A l'inverse, Charles Alcaraz, installé rue de Beauteville, soutient n'avoir jamais vu ça : « Les employés sont irrespectueux vis-à-vis des bêtes. Normalement, elles ne doivent pas avoir le temps de souffrir. Là, ils les assomment à moitié et les laissent comme ça. Ce sont des incompétents ».
La question de l'hygiène
Au-delà des souffrances infligées aux animaux, le rapport rendu par le professeur Gilbert Mouthon pointe aussi du doigt l'aspect sanitaire : « Il faut noter une grande quantité de bouses séchées sur la toison de beaucoup de bovins montrant l’absence de surveillance et d’inspection ante mortem par le vétérinaire sanitaire. Les matières fécales des bovins sont contaminées de différents germes pouvant être pathogènes et en particulier des colibacilles dits tueurs. Il s’en suit un risque important de contamination possible de la plaie de saignée ainsi que des carcasses lors du dépeçage ».
Pour le boucher alésien Christophe Vidal, il n'y a pas de risques : « Même si les excréments touchent la peau, celle-ci est enlevée. Et s'il y avait un problème, les services d'hygiène s'en seraient rendus compte avant ».
Quelles conséquences ?
Depuis hier matin, les portes de l'abattoir alésien sont closes. Le maire Max Roustan a pris la décision de fermer l'établissement provisoirement afin de lancer une enquête administrative interne sur d'éventuels manquements aux normes d'abattage des animaux. Dans un communiqué, il assure que « si des fautes sont reconnues, des sanctions seront prises pouvant aller jusqu'à la fermeture définitive de l'abattoir ». L'édile anticipe déjà les conséquences : « Cette fermeture définitive condamnerait la filière agro-alimentaire locale, tant dans son volet agricole, de transformation et de commercialisation ainsi qu’au niveau économique avec 120 emplois directs et indirects ».
Par ailleurs, ce scandale impacte déjà les comportements de certains consommateurs. Les bouchers l'ont déjà remarqué en une seule journée : « Cette vidéo dégoûte les clients de manger de la viande. Déjà que les boucheries ferment les unes après les autres sur Alès, c'est pas bon pour nous », s'accordent à dire les trois bouchers alésiens.
Hier, le parquet a ouvert une enquête préliminaire pour « faits d'actes de cruauté et mauvais traitements sur animaux », suite à la plainte déposée par l'association contre l'abattoir de la ville. Créé en 1964, l'établissement avait été remis aux normes en 2010 pour un investissement de 2,5 millions d'euros aux frais du contribuable.
Élodie Boschet et Éloïse Levesque