FAIT DU JOUR Cultiver la truffe, mode d’emploi
Mystérieuse voire capricieuse, la truffe garde bon nombre de ses secrets. Pour aider à en percer quelques uns, la Maison de Garniac a fait venir ce samedi au Garn, aux confins du Gard et de l’Ardèche, un expert de la trufficulture. On a pris quelques notes…
Juan María Estrada est à la tête d’Inotruf, une des premières pépinières d’Europe de plants truffiers. Une entreprise basée à Sarrión, à une cinquantaine de kilomètres de Valence, au coeur du premier pays producteur de truffes au monde. Ses plants sont notamment distribués par la Maison de Garniac, qui commercialise également des produits truffés. L’entreprise du Garn a donc invité ses clients trufficulteurs à échanger avec l’Espagnol, notamment à propos des facteurs limitants de la production.
Car si Juan María Estrada cultive des plants de chênes verts, blancs ou encore kermès mycorhizés —comprendre « équipés » de l’association symbiotique entre le champignon, en l’occurence la truffe noire, et l’arbre— « il ne suffit pas de planter et d’attendre », affirme l’expert. Cultiver la truffe, c’est « un ensemble entre l’arbre, le sol, la truffe et le climat », rappelle Juan María Estrada. Les sols doivent être de préférence calcaires, avec un Ph de 7 à 8,5. « Le sol doit être bien drainé, il faut éviter les sols lourds et trop compacts », ajoute le spécialiste, qui invite à « préparer le sol » avant d’effectuer la plantation.
Et qui dit champignon dit eau : la question de l’irrigation est centrale. « Mais il ne faut pas beaucoup d’eau », tempère l’Espagnol. Des systèmes de goutte-à-goutte et de micropulvérisation sont à privilégier. Surtout avec le réchauffement climatique, « un problème qui est déjà une réalité chez nous en Espagne, et qui va arriver ici aussi », alerte Juan María Estrada. « Il faut faire une tranchée, regarder s’il y a un besoin d’eau ou pas et être pragmatique », ajoute le gérant de la Maison de Garniac Nicolas Drouilly. Une chose est sûre, « l’arrosage est impératif, sinon on ne ramasse qu’un, deux ou trois ans sur dix », affirme Juan María Estrada, qui déconseille par ailleurs fermement l’utilisation du glyphosate.
« La truffe c’est ‘peut-être, peut-être, peut-être’ »
C’est à peu près la seule certitude dans la trufficulture. « Cultiver la truffe, c’est aimer le risque », résume l’Espagnol. Et tâtonner. Par exemple, dans la salle un trufficulteur pose la question de cultiver ses chênes en rangées de chênes verts et d’autres de chênes blancs. « J’ai un client qui le fait », répondra l’Espagnol, sans être définitif sur les bienfaits de cette technique. Autre question : faut-il tailler ses chênes truffiers ? « Ce n’est pas seulement une question d’esthétique, la taille favorise la photosynthèse et permet de générer un bon ensoleillement du sol », explique Juan María Estrada. Là aussi, plusieurs techniques : certains, en Italie, vont jusqu’à presque sculpter leurs arbres, quand d’autres y vont plus légèrement. « Il faut toujours avoir un sécateur dans la poche », conseille l’Espagnol, qui penche plus vers la méthode douce. Quant au terreau piège à truffes, « certains ont des résultats très bons, d’autres non, il faut faire des essais. » Bref, pour faire de la truffe, il faut avoir du nez.
« Il y a beaucoup de choses qu’on ne connaît pas sur la truffe, c’est ‘peut-être, peut-être, peut-être’, résume Juan María Estrada. Il faut écouter, mais ne pas écouter qu’une personne. » Y compris quand on est expérimenté : dans le métier depuis plus de trente ans, le président du Syndicat des trufficulteurs du Val de Drôme Jean-Louis Blard l'affirme : « Il y a toujours des choses à apprendre. » Car les enjeux sont importants, comme le rappelle le président du Syndicat des producteurs de truffe de l’Hérault Gilbert Serane : « quand vous plantez un chêne truffier, vous prenez du boulot pour 25 à 30 ans, et si vous vous trompez, vous travaillez pendant 25 ou 30 ans pour rien. »
Ce serait dommage, dans un secteur où, et c’est finalement assez rare, la demande des marchés est plus forte que l’offre des producteurs. « Au niveau mondial, le marché de la truffe est déficitaire, il manque des produits », confirme Juan María Estrada. Résultat : les prix de ce produit typiquement européen augmentent, et peuvent crever le plafond des 1 000 euros le kilo. « Et ce n’est pas bon, car il ne faut jamais oublier que quelqu’un doit pouvoir acheter la production, estime l’Espagnol. Il faut planter pour avoir une stabilité de la production et démocratiser la consommation de la truffe, car on n’a pas besoin d’en manger des kilos, quelques grammes suffisent. »
Le tout alors que, comme l’affirme pour sa part Nicolas Drouilly, « 99 % des Français n’ont jamais mangé de la truffe, le marché potentiel est énorme et il y a de la place pour tout le monde. »
Thierry ALLARD