FAIT DU JOUR De Brunetti à Buisson, la saga du petit pâté nîmois
Déjà fabriqué au XVIIIe siècle, le petit pâté nîmois est devenu un emblème culinaire de la ville grâce à Christophe Brunetti qui fonde sa propre entreprise artisanale de fabrication en 2007. Après 14 ans de service et 4,6 millions de petit pâté vendus, ce dernier vient de vendre l’enseigne à Frédéric et Olivier Buisson, boulangers de métier, spécialisés dans la production des gourmandises locales.
"Si tu oubliais de fermer la fenêtre de ta chambre et qu’il avait cuit des oignons, tous tes habits sentaient", se souvient Christophe Brunetti qui vivait enfant juste au-dessus de la charcuterie de son oncle, rue du Docteur-Calmette à Nîmes. Travailler la viande et la cité des Antonin : bien plus qu’une passion, une raison de vivre pour cet homme aujourd’hui âgé de 46 ans. D’où cette phrase écrite sur le mur du magasin visible dès que l’on entre : "Nîmes ce n’est pas un nom, c’est une race." Naturellement, il apprend le métier de boucher mais se forme aussi à la cuisine auprès de chefs étoilés.
Son service militaire puis une pause de deux ans et demi durant laquelle il travaille comme transporteur de fonds : "J’avais passé toute ma jeunesse à travailler quand mes copains s’amusaient, j’avais besoin de faire un petit break." Le rugbyman, qui a longtemps porté les couleurs du Rugby Club Nîmois, revient travailler pendant cinq ans dans l’entreprise familiale installée aux halles. "On est venu me voir en me disant ça serait bien de fabriquer le petit pâté à plus grande échelle. Je voulais surtout faire connaître ce produit que seuls 20% des Nîmois connaissaient."
"Quand je disais pâté, on me répondait pâté de campagne ou pâté de foie"
Ce petit pâté farci au veau et au porc, au taureau et au porc ou encore à la brandade, son grand-père en faisait déjà. Mais qui a inventé cette recette ? "Beaucoup de personnes se sont imaginées en être l'inventeur. L’historien Georges Mathon a retrouvé un cahier de recette de 1830 où le traiteur Durand à côté des arènes signifiait tenir la recette de ses grands-mères." Dans cette pâte en forme de bouchon, ces mamies mettaient les restes de gardiane ou de blanquette, les ''rabaladis' comme on dit en patois, pour le déguster à l’apéritif.
En 2007, fort du savoir-faire familial, Christophe a donc décidé de se lancer uniquement sur la conception du petit pâté nîmois. Il démarre dans un petit laboratoire de 50 m2 : "Le banquier m’a demandé ce que j’avais comme garantie. Je lui ai dit : "ma main gauche et ma main droite". Il a accepté de m’aider." Situé rue Ménard, près de la Tour Magne, le chef d’entreprise va s’apercevoir que la pente est raide dans un sens comme dans l’autre. Sa principale mission est de faire connaître ce met peu connu : "Quand je disais pâté, on me répondait pâté de campagne ou pâté de foie."
La tâche est rude, la première année est difficile mais il n’abandonne pas. Muni de son triporteur que lui avait donné le glacier de sa rue et que le Nîmois a bidouillé en ajoutant une caisse, il fait du porte-à-porte pour vendre son produit. Les camions ont désormais remplacé le triporteur qui appartient aujourd’hui à un Suisse : "Il me l’a acheté pour promener son chien", sourit-il. Son abnégation et sa présence sur les marchés du boulevard Jean-Jaurès, aux ''Jeudis de Nîmes'', où il écoule jusqu’à 3 000 pièces par soirée, et pendant les Ferias, vont s’avérer payantes.
Des ventes en Bretagne et en Belgique
"Il y a des gens arrachés complet. On leur a sauvé la vie", se souvient Christophe fier de toutes ses années de labeur. "Quand tu te lèves à 4h du matin pour faire le marché du Jean-Jaurès et que tu remontes la rue Ménard avec le triporteur avec ton fils qui dort dessus, derrière au rugby je n’avais pas besoin de m’échauffer." Un fiston, Lino, âgé aujourd’hui de 14 ans, aussi grand que son papa, dont cette photo symbolique (voir ci-dessus) figure sur le fond d’écran du téléphone de Christophe. Ce dernier n’a pas fait que bonifier la recette de son grand-père. Il a également apposé dessus l’emblème de Nîmes pour en faire définitivement une représentation du patrimoine culinaire nîmois.
Le petit pâté nîmois, marque déposée, s'exile désormais au-delà de la cité romaine. Plutôt brandade pour le Pays Niçois, la Bretagne et viande pour quelques tables parisiennes et la Belgique. 175 000 pièces seront écoulées dans le Plat Pays. Des recettes au chorizo, façon tielle (poulpe) ainsi que foie gras et truffe à Noël seront temporairement commercialisées. Le succès est au rendez-vous et le petit Brunetti, ambitieux, voit plus grand et investit dans un laboratoire de 300 m2, Place Maréchal-Foch à côté des quais de la Fontaine avec une boutique attenante en 2012.
En parallèle, il rachète en 2015 une institution abandonnée de Nîmes "Les 3 Maures" qu’il relance sous le nom de "Brasserie des Antonins". "Voir la brasserie de mon enfance située face aux arènes partir à la casse, c’était impossible pour moi de refuser." Jour et nuit, semaine et week-end, il gère, avec toujours son épouse à ses côtés, ses deux commerces. Ayant réussi son pari initial concernant le petit pâté, il a donc pris la décision de se consacrer uniquement aux Antonins. "Au bout de 14 ans, il est connu de 90% des Nîmois et quand je vois les gens partir avec des petits pâtés pour les faire goûter dans leur famille, ça me fait ban*** ."
Un vrai Nîmois, authentique avec son franc parler, qui a 46 ans et après 4,6 millions de petits pâtés vendu veut lever le pie : "Ça me fait rire ce qui font un burn-out en travaillant 35h par semaine. Qu’ils viennent avec moi avec deux crédits à rembourser et le risque de tout perdre." Pour un prix qui n’a jamais changé : un euro ! Et ce prix c’est désormais Frédéric Buisson qui va le pratiquer officiellement le 28 février après que son aîné d’un an a fini de le former lui et son frère Olivier. Tous trois se connaissent depuis longtemps et étaient ensemble au collège Lou Castellas de Marguerittes. "Je voulais vendre à des Nîmois pour garder cette image de marque", assure Christophe.
"165 000 critiques culinaires vont l’attendre au tournant"
"J’en ai mangé déjà tout petit. Avec mon frère on a la fibre du produit régional et nous sommes très attachés à notre coin", résume Frédéric Buisson, qui incarne la huitième génération de boulanger dans la famille depuis son ancêtre Louis devenu fournier en 1812. En 1993, au décès de leur père, les deux frangins âgés de 17 et 18 ans ont repris l’entreprise familiale en se spécialisant dans les pépites locales : fougasse d’Aigues-Mortes, sacristains, minerves… En ajoutant à leur gamme le petit pâté, les Buisson veulent proposer un apéritif local en y proposant même les glaçons gardois qu’ils produisent eux-mêmes sous la marque "Chiirz".
Un produit qui n’a pas connu la crise et que Christophe a continué de fabriquer seul avant la reprise des nouveaux propriétaires qui arrivent avec une équipe de trois personnes. Des petits pâtés nîmois que l’on retrouve désormais dans plus de 80 points de vente dans les environs et de nouveau au magasin qui va rouvrir début mars.
Frédéric espère en vendre 500 000 pour la première année et bien sûr ne pas décevoir les Nîmois. "165 000 critiques culinaires vont l’attendre au tournant sur la qualité mais je ne suis pas inquiet", conclut Christophe Brunetti qui attend impatiemment la fin de la crise sanitaire pour rouvrir sa brasserie. Il vient de tourner définitivement la page du petit pâté mais il veut encore en écrire de belles avec les Antonins.
Corentin Corger