FAIT DU JOUR De Jonquières à l’Afrique : Patrice Beaumelle, un entraîneur de foot à succès
Ce soir, à 21h15 au stade Vélodrome de Marseille, l’équipe de France de football affronte la Côte d’Ivoire, en match amical. Un match particulier pour le sélectionneur des Éléphants, Patrice Beaumelle. Né à Arles, cet entraîneur âgé de 43 ans a grandi à Jonquières-Saint-Vincent et est passé par le Nîmes Olympique. Double vainqueur de la Coupe d’Afrique des Nations, il a accepté de revenir sur son parcours atypique.
"Au lieu de collectionner les vignettes des joueurs dans les albums Panini, j’ouvrais des cahiers et puis je notais ce que faisaient les entraîneurs". À peine quelques minutes à discuter avec Patrice Beaumelle suffisent pour comprendre que le destin de ce Gardois était de devenir entraîneur. Dès l’âge de trois ans, il baigne dans le monde du football auprès de son papa, joueur à Jonquières ainsi qu’au Stade Beaucairois 30.
L’adolescent suit le même parcours avant d’être détecté par Nîmes Olympique et d’y intégrer le centre de formation. De 12 ans jusqu’à l’équipe réserve, le milieu gauche gravit les échelons mais il sent que sa place n’est pas sur le terrain mais devant le banc de touche. "À 17 ans, j’ai commencé à entraîner les Poussins (U9) du NO. Même si j’étais un bon joueur, je prenais un pied monstre à mettre en place les séances et à mener un staff. C’était dans mes gènes de devenir entraîneur."
Tout en menant des études de professeur de sport à Montpellier, Patrice passe très tôt ses diplômes et devient entraîneur-joueur en DH au Grau-du-Roi. En 2005, le Jonquièrois est sollicité par Louis Nicollin, ancien président emblématique du MHSC, pour entraîner l’équipe féminine de la capitale héraultaise. "J’étais trop jeune pour entraîner un public féminin", avoue celui qui avait 27 ans à l’époque. C’est finalement en tant qu’adjoint de Régis Brouard au Nîmes Olympique, en National, que Patrice débute sa carrière d’entraîneur dans le monde professionnel.
Après deux saisons où Nîmes échoue de peu à la montée en Ligue 2, le club y parvient enfin lors de la saison 2007/2008 mais le local est parti avant, au même moment que Laurent Fournier qui n’a succédé que deux mois et demi à Régis Brouard. "J’avais envie de continuer avec Laurent, le club voulait que je reste après. Quand on change de numéro 1, ce n’est jamais bon de garder l’adjoint."
"Je n’ai pas hésité une seconde !"
Sa rencontre avec Hervé Renard, lors des rassemblements d’entraîneurs à Clairefontaine, va changer sa vie. En plus de dix ans de collaboration, le duo laisse une trace indélébile en Afrique en remportant deux Coupes d’Afrique des Nations. "Notre philosophie et notre caractère se ressemblent beaucoup. Les rôles étaient bien définis : quand on est adjoint, il faut accepter d’être dans l’ombre et le numéro 1 doit laisser bosser son adjoint. Les joueurs avaient le sentiment qu’il n’y avait pas de faille." L’aventure débute d’abord par la sélection de Zambie. "Je n’ai pas hésité une seconde ! Même pour des conditions financières moins importantes, je m’en foutais car l’expérience était magnifique." Les résultats sont probants et les Zambiens se hissent en quart de finale de la CAN 2010, devenant ainsi la révélation de cette édition.
Le duo de Français se fait remarquer et l’Angola les recrute en espérant le même sort pour son équipe nationale. "C’est malheureux parce qu’il y avait un gros potentiel mais les clubs ne nous libéraient pas les joueurs", regrette Patrice qui suit alors son compère à l’USM Alger pour professionnaliser ce club. Dans son contrat le duo prévoit une clause pour retourner entraîner une sélection en cas de sollicitation.
"Vos enfants vous attendent, on veut que vous finissiez le travail !" : l’appel du président de la fédération zambienne est trop fort pour les deux coaches. Motivés comme jamais, en 2012, au bout de la nuit, les Chipolopolos (Les boulets de cuivre) remportent la CAN pour la première fois de leur histoire face à la Côte d’Ivoire de Didier Drogba (0-0, 8-7 au TAB). Ce soir-là, les Zambiens n’étaient pas que onze sur le terrain de Libreville. Près de la capitale gabonaise, 18 joueurs d’une génération zambienne dorée ont péri sur une plage dans un crash d’avion, le 27 avril 1993.
"On voyait les gens courir sur la piste d’atterrissage !"
"On est dans un continent où les croyances mystiques sont importantes. La veille de la finale nous nous retrouvons sur la plage en question. Nous faisons les prières zambiennes, nous chantons. Nous déposons des fleurs sur l’eau, elles flottent et partent au large. D’un coup un éclair sort de l’eau, part dans le ciel et toutes les fleurs ont été absorbées. On est tous resté abasourdis. Le lendemain, j’ai eu l’impression que nos grands frères nous avaient donné de la force."
Au retour des héros à Lusaka, la liesse est indescriptible : "On voyait les gens courir sur la piste d’atterrissage !" Après avoir mis la Zambie sur la carte du monde, le duo fait un break et seul Hervé Renard part à Sochaux. Pour seulement deux rencontres, le Gardois prend la tête de la sélection où il affronte le Brésil de Neymar (défaite 2-0) avant de retrouver son mentor en août 2014 pour prendre en main la Côte d’Ivoire.
Les sorciers en blanc rentrent complètement dans l’histoire du football africain en permettant aux Éléphants de décrocher un nouveau titre 23 ans après lors de la CAN 2015. Après ce triomphe, la Fédération veut nommer Patrice comme sélectionneur mais il a donné sa parole à son ami pour le suivre à Lille. À cause de problème de budget et le départ de 12 joueurs, l’aventure dans le Nord tourne court. Le duo rebondit dans leur continent favori, cette fois-ci au Maroc. Après un quart de finale à la CAN 2017, les Lions de l’Atlas se qualifient pour la Coupe du monde en Russie où ils rivalisent contre le Portugal (défaite 0-1) et l’Espagne (2-2). Un souvenir impérissable pour le Jonquièrois notamment lors de la confrontation face aux Portugais dans le stade Loujniki de Moscou où quelques jours plus tard les Bleus allaient devenir champions du monde.
"Un jour je suis sûr que je reviendrais à Nîmes"
"Au moment de l’hymne, je suis pris d’émotions en voyant les 50 000 marocains dans le stade en train de chanter et mes joueurs à côté de Ronaldo. Je me revois petit à Jonquières dans mon champ. C’est l’accomplissement d’un rêve de gosse." Après une élimination en huitièmes à la CAN 2019, l’aventure marocaine se termine mal. "Hervé me dit : Je pars en Arabie Saoudite mais sans toi. Le temps est venu de voler de tes propres ailes." Sauf que les instances marocaines ne sont pas forcément de cet avis et l’adjoint est mis au placard.
"Ça a été pour moi la descente aux enfers !", avoue-t-il en évoquant cette période de dépression entre septembre 2019 et janvier 2020 qu’il a vécu comme un traumatisme. En mars, le Gardois retrouve le goût d’entraîner avec un premier véritable poste de numéro 1 en Côte d’Ivoire. Les Éléphants échouent de peu à se qualifier pour le Mondial au Qatar et perdent en huitième de finale de la CAN 2022 contre l’Égypte (0-0, 4-5 aux tirs au but).
"Je gagne deux CAN aux tirs au but, on sort deux fois aux tirs au but : dans la vie tout s’équilibre !", commente l’intéressé. Faute de l’élection d’un nouveau président à la fédération ivoirienne de football, Patrice a été prolongé jusqu’au 6 avril. S’il aimerait poursuivre l’aventure en vue de la CAN 2023 au pays, ces deux affrontements de prestige mardi face à l’Angleterre (à Wembley) et ce soir contre la France (à 21h15) au stade Vélodrome sont peut-être ses derniers matches. "Il y aura toute la famille et les amis soit une cinquantaine de personnes. Je leur ai dit que pour les hymnes il faudra chanter les deux. C’est que du bonheur", savoure déjà le Gardois qui est confiant pour la suite de sa carrière de coach à seulement 43 ans.
Très attaché à ses terres natales, il vient souvent rendre visite à son papa et sa soeur qui résident à Jonquières. "Quand je viens, je repars gonflé à bloc !" Et pourquoi pas un jour revenir au Nîmes Olympique notamment avec un projet autour de la formation ? "J’ai pas mal d’idées enfouies en moi que je garde pour le moment. Un jour je suis sûr que je reviendrais à Nîmes avec des idées que beaucoup partageront", conclut Patrice Beaumelle, l'Africain de Jonquières.
Corentin Corger