FAIT DU JOUR Ils ont changé de vie, de manière de travailler... et ne regrettent rien
Nous avons fait témoigner quatre Gardois qui ont changé de regard sur le travail. Ils ont démissionné, sont passé à mi-temps ou ont réaménagé leur emploi du temps. Ils le font pour s'épanouir, pour se dégager du temps ou pour mieux gagner leur vie. Leurs parcours sont hétérogènes mais ils ont tous eu un déclic qui les a poussés à faire un petit pas de côté pour réinventer leur quotidien.
Karin Boulet, 53 ans, coiffeuse à Nîmes : "Il faut s'octroyer du temps pour soi et pour ses proches"
Le 12 novembre, Karin Boulet fêtera le 20e anniversaire de son salon de coiffure, rue de la Bienfaisance, à Nîmes. La Gardoise n'a jamais envisagé de faire autre chose : "Déjà petite, je ne pouvais pas m'empêcher de toucher les cheveux." Pendant seize ans, elle a été employée avant de se lancer à son compte : "Après l'effet curiosité du départ, il faut arriver à fidéliser."
Et elle y est arrivée. Jusqu'à ce jour fin 2015 où un incendie s'est déclaré dans son salon : "C'est mon fils qui était dans l'appartement au-dessus qui m'a appelé... Un radiateur n'a pas disjoncté correctement, s'est décroché et a tout embrasé." Pour maintenir son activité, Karin est hébergée pendant quatre mois et demi par une amie coiffeuse. En 2016, elle décide de lancer un concept privé et ne reçoit plus qu'un seul client à la fois : "La cliente paie une prestation pour elle, pour passer un moment de bien-être, pas pour le client à côté." Mais en août 2020, elle est confrontée à une nouvelle épreuve.
"Mon mari a eu un accident de chantier. J'ai failli le perdre", lâche-t-elle. Elle prend conscience que les moments en famille sont précieux, notamment en compagnie de celui avec qui elle partage sa vie depuis 28 ans : "Il faut s'octroyer du temps pour soi et pour ses proches. La semaine, on est absorbé par le travail, la cuisine, s'occuper des enfants... Mais si on a envie d'aller à la plage sur un coup de tête, il faut y aller et ne pas reporter à plus tard. Peut-être que demain, on ne sera plus là." C'est pourquoi, depuis deux ans, elle n'ouvre plus son salon le samedi, jour de plus en plus délaissé par les clientes. Au moins, Karin peut profiter de week-ends complets auprès de sa famille. Pour compenser elle travaille plus longtemps les lundis, mardis, jeudis et vendredis de 9h à 20h.
Fiona Emanuel, 27 ans, auto-entrepreneuse dans le domaine animalier, à Saint-Christol-lès-Alès : "Vivre de sa passion, ça n'a pas de prix"
La dépense mentale des animaux de compagnie, ça vous parle ? Chez Fiona Emanuel, c'est une révélation. Il y a trois ans, son chien Nouki ne parvenait pas à rester seul dans l'appartement sans tout saccager. Tout y est passé : les câbles, les murs, l'isolation... Pour stopper le massacre, la jeune femme rencontre un éducateur canin : "Les animaux domestiques ont besoin de se dépenser physiquement, mais aussi de travailler intellectuellement. Cela peut passer par des jeux d'occupation, d'intelligence ou de la mastication. Si ce besoin mental n'est pas assouvi, l'animal est en déséquilibre", assure-t-elle.
Sur Nouki, l'effet est immédiat. Ravie d'avoir trouvé cette solution, sa propriétaire rencontre des difficultés pour acheter ces objets assez chers et pas disponibles partout en France. Vient donc l'idée de lancer sa société Kimopet où elle vend en ligne ces produits spécialisés. "Dans ma famille proche, on m'a soutenue. Mes proches plus éloignés m'ont un peu pris pour une folle et ne comprenaient pas ce que je faisais", admet Fiona.
Après une formation en pharmacie, la jeune femme s'était déjà réorientée dans la chimie. Elle a été embauchée il y a quelques années dans une petite usine qui fabrique des encres de cartes bleues. Elle a d'abord créé une micro-entreprise en parallèle mais la situation est devenue ingérable : "Je travaillais entre 70 et 80h par semaine. Le cumul des deux n'était plus possible." Elle a quitté son travail pour ouvrir sa société en février dernier : "Être à son compte, ce n'est pas du tout la même vie, on ne déconnecte jamais. Mais vivre de sa passion, ça n'a pas de prix." Elle ajoute : "Je n'ai plus envie de faire un travail qui rapporte un bon salaire mais qui ne me plaît pas forcément. Vibrer est plus important." La rencontre avec Nouki a été une véritable catharsis pour cette ancienne phobique... des chiens.
Steven Megard, 38 ans, fonctionnaire au CHU de Nîmes et fabricant de confitures artisanales : "Les gens avaient tendance à tomber de leur chaise au début"
Depuis 10 ans, Steven Megard occupe le poste d'agent administratif au centre hospitalier universitaire de Nîmes. Depuis le 1er septembre, il est passé à mi-temps car il gère en parallèle sa petite entreprise de fabrication de confitures artisanales. À terme, il aimerait s'y consacrer à 100%.
Une fois tous ses diplômes en poche, Steven est resté 10 ans dans une boîte de matériel médical avant d'être embauché au CHU nîmois. Mais depuis deux ans, il réfléchit à de nouveau changer de voie. Mais laquelle ? Il a eu un déclic il y a un an et demi : "Je suis parti en vacances en famille en Lozère. Je suis tombé sur un marché du soir et plus particulièrement sur un stand de salades de fruits. C'était super bon, tout le monde en partageait." Chemin faisant, l'idée originale de se lancer dans la fabrication de confitures est née. "Les gens avaient tendance à tomber de leur chaise au début", plaisante-t-il.
Son entreprise est créée depuis février. Il l'a baptisée "Les confitures de Justine et Baptiste" du nom de ses deux enfants. "À terme, j'aimerais créer un laboratoire et une boutique à la maison, à Bezouce. Dès que les questions administratives autour du PLU (plan local d'urbanisme) de la commune seront tranchées, je pourrai." Dans les pots, les gourmands ne trouveront que des produits de saison et locaux. Les clients ont le choix entre des goûts natures ou des mélanges originaux (avec des herbes ou de l'alcool comme kiwi/rhum, poire/amande ou même courge/amande).
Aurélie Cazalet, 37 ans, en reconversion dans la comptabilité à Nîmes : "La restauration doit être une vocation sinon, on ne peut pas y rester toute sa vie"
"J'ai toujours été scolaire mais flemmarde. J'ai une bonne mémoire et des facilités", témoigne Aurélie Cazalet. Des qualités qui lui sont bien utiles alors que la Nîmoise a repris les études à l'âge de 31 ans. Après 15 années dans la restauration, elle a décidé de tout arrêter pour devenir expert-comptable.
Après le bac, Aurélie s'inscrit à la fac de sciences et jongle avec un boulot étudiant dans une célèbre enseigne de fast-food. Quelques jours avant l'examen, elle renonce car elle se rend compte que ces études ne lui plaisent pas. Elle passe un CAP Coiffure et essaie de poursuivre avec un brevet professionnel mais ne trouve pas d'alternance. Faute de quoi, elle se consacre à plein temps à la restauration rapide et devient assistante de direction : "Je continuais sans me poser de questions. Puis un jour, j'en ai eu marre. Peut-être la crise de la trentaine ?"
Son employeur lui accorde une rupture conventionnelle. Du genre à avoir "la bougeotte", elle décide de se relancer dans les études : "J'étais prête à faire n'importe quoi tant que je gagne bien ma vie et que je sois un minimum stimulée intellectuellement. La sœur d'une amie à moi est expert-comptable et commissaire en gestion. Elle me conseille ce domaine." À 31 ans, Aurélie arrive avec deux mois de retard, sans aucune notion, en BTS de comptabilité. Entre-temps, elle devient mère et réussi à terminer major de sa promotion grâce à ses compétences et le soutien actif de son entourage. Aujourd'hui, son fils a 5 ans et sa maman valide son bac +5 à l'ESG (école de commerce) de Montpellier en travaillant en alternance dans un cabinet de comptable à Nîmes. "Si tout va bien, l'année prochaine j'aurais mon diplôme et un bébé n°2", se réjouit-elle. Il faudra également qu'elle valide son stage d'expertise durant trois ans.
Le cursus est long mais la maman-étudiante entrevoit son avenir plus sereinement que si elle était restée en restauration. Pendant des années, elle a loupé de nombreux moments en famille et redécouvre ces moments simples : "Je profite de mes week-ends, des jours fériés. Si j'avais continué dans la restauration, on n'aurait pas pu construire de vie de famille." Ce sont des motivations partagées par beaucoup de salariés qui ont quitté la restauration, selon Aurélie : "Pendant le confinement, ces gens-là ont découvert qu'ils pouvaient mener une vie normale pour le même salaire. Je pense qu'il faut vraiment que ce soit une vocation sinon, on ne peut pas y rester toute sa vie."
Marie Meunier