FAIT DU JOUR « Là, c'est vraiment un ras-le-bol » : l’Éducation nationale en grève ce jeudi
Un mouvement de grève d’une ampleur exceptionnelle s’annonce ce jeudi dans l’Éducation nationale. Au-delà des revendications des syndicats, notamment autour du protocole sanitaire mis en place dans les établissements, nous avons donné la parole à des enseignants grévistes, qui affirment que le malaise est bien plus profond.
« C'est la deuxième fois de ma carrière que je ferai grève, lance Laurence Pecheral, professeure de français au collège de la Vallée Verte, à Vauvert. Je ne suis pas la seule dans ce cas, on est plusieurs dans l’établissement qui ne font d'habitude jamais grève et qui le feront cette fois-ci. » Comme Laurence Pecheral en est l’exemple, le mouvement de grève de ce jeudi dépassera largement le cadre habituel des professeurs syndiqués. « C’est une mobilisation historique qui sera très suivie, avance Sébastien Rodier, professeur d’histoire géographie au collège Feuchères à Nîmes, représentant du personnel au conseil d’administration du collège et adhérent à la CFDT. J’ai des collègues qui n’ont jamais fait grève ou très rarement qui vont le faire sans se poser de questions. »
Un mouvement qui s’annonce très suivi
D’ailleurs, les chiffres des intentions de grèves sont parlants : à Alès, « sur 23 écoles, 12 sont à 100% de grévistes, 3 à 75%, 2 à 50% et 6 écoles sont ouvertes », détaille Christian Chambon, adjoint au maire délégué au pôle éducation enfance jeunesse. On annonce cinq écoles publiques sur six fermées à Pont-Saint-Esprit, des taux d’intentions de grèves compris entre 67 et 100 % à Bagnols, deux écoles complètement fermées à Laudun-l’Ardoise, une école fermée à Villeneuve… « Ce ne sont que des intentions de grève, rien ne dit qu’ils seront tous grévistes, mais je pense que ça va être suivi, et qu’on va être dans l’embarras », nous glisse-t-on dans le service éducation d’une des principales communes gardoises.
Le tout sachant que le mouvement est étendu à la fonction publique territoriale, ce qui signifie que le service de cantine pourrait lui aussi être impacté, et que de nombreuses communes, comme Bagnols ou Vauvert, n’assureront pas de service minimum. « Nous n’assurerons pas de service minimum en raison de l’importante mobilisation à prévoir, avec 26 classes sur 41, et de l’impossibilité de brasser les élèves, assume le maire de Vauvert Jean Denat. Je soutiens ce mouvement d’exaspération légitime des enseignants et des familles face à l’incompétence et/ou le mépris du gouvernement. » À Alès, un service minimum d’accueil sera assuré, comme à Nîmes ou Beaucaire, les enfants dont l’enseignant est gréviste seront accueillis par les services municipaux. « Nous n’avons jamais connu une période comme celle-là. La situation est atypique et complexe, il faut être tous solidaires », affirme Christian Chambon.
« Le gouvernement s’entête, cela ne rime à rien »
Bref : c’est un jeudi noir qui s’annonce dans l’Éducation nationale. La question sanitaire a été la grosse goutte d’eau qui a fait déborder un vase déjà bien rempli : « Les allègements successifs du protocole sanitaire ne ressemblent plus à rien, affirme Sébastien Rodier, qui sera dans le cortège cet après-midi à Nîmes. On a une flambée épidémique avec un quart de poste d’infirmière qui ne vient que le lundi. Le tracing des cas est effectué par la vie scolaire ou le chef de l’établissement. Comme ce n’est pas fait dans les règles de l’art, des élèves passent entre les mailles du filet. Pour vous donner un ordre d’idée, ce matin (mercredi, ndlr) j’avais un taux d’absentéisme entre un tiers et 50% en fonction des classes. »
Au quotidien, « les difficultés se sont vraiment accentuées cette semaine », estime Sébastien Rodier, entre les absences des élèves et celles des professeurs qui font fluctuer les emplois du temps, « on vit au jour le jour avec cette crise. » « Il y a un vrai décalage entre les décisions prises et la réalité du terrain, affirme Jean-Luc Dussol, enseignant en formation professionnelle au lycée Jean-Baptiste Dumas d’Alès et secrétaire académique du Snetta-Fo. Aujourd’hui, les conditions de travail sont dégradées, on est dans une pseudo continuité pédagogique, cela ressemble plus à de la garderie. Puis le masque et les gestes barrières sont de plus en plus délaissés, les jeunes commencent à saturer et cela crée des tensions. » De plus, « il y a un manque de moyens : on court après les autotests, les masques on se les achète nous-mêmes, et il n'y a des capteurs de CO2 dans aucune classe », affirme une professeure des écoles dans un village proche de Bagnols, qui a souhaité conserver l’anonymat. Non syndiquée, elle fera grève aujourd’hui et manifestera à Bagnols. « Il y a une mauvaise gestion globale de la crise par le gouvernement », résume Laurence Pecheral.
Pour Sébastien Rodier, il faut revenir au niveau 4 du protocole sanitaire, au lieu de rester au niveau 2 comme actuellement. « Ce niveau 4 prévoit le dédoublement des classes en demi-jauge pour les 4e, 3e et au lycée, pose-t-il. Les écoles restent ouvertes et les élèves alternent entre les cours en distanciel à la maison et l’école. Le gouvernement s’entête, cela ne rime à rien. Les règles changent sans arrêt. J’ai reçu au moins dix mails pour la définition d’un cas contact… » Son collègue alésien ne dit pas autre chose : « Nous voulons une gestion beaucoup plus structurée, que le gouvernement arrête de changer les protocoles du jour au lendemain et que les remplacements soient effectués. »
« Il y a un véritable mépris »
Nul besoin d’insister pour découvrir que la grève de ce jeudi n’est pas uniquement centrée sur la question sanitaire. « Là, c'est vraiment un ras-le-bol sur le peu de considération qu'on a, essentiellement sur le fait qu'on a l'impression que l'aspect pédagogique passe après tout le reste, développe notre professeure des écoles. A force d'agir comme ça, les gouvernements successifs ont discrédité l'enseignement, l'école n'est plus sacralisée. » La même reprend sur le thème du manque de considération : « Le dernier changement du protocole sanitaire a été donné un soir lors du JT de 20 heures, et dès le lendemain il fallait l'appliquer... La plupart du temps, on apprend les protocoles sur BFMTV. Il y a un véritable mépris. »
Et notre enseignante de donner un autre exemple sur le même thème du manque de considération : « Depuis deux mois on fait du double travail, à la fois en classe et à distance pour les élèves cas covid. On est sur l'ordinateur jusqu'à 20 heures ou 21 heures. Et on n'a rien eu : pas une prime, pas un mot de reconnaissance, ça fait aussi partie de ce mépris. » Et ce mépris dure, selon Jean-Luc Dussol, « depuis avril 2020 » et le début de la pandémie.
« Si la question sanitaire a pris le pas, ce mouvement du 13 janvier c’est d’abord pour demander l’augmentation des salaires », affirme pour sa part Sébastien Rodier. « Je souhaite aussi défendre la revalorisation des statuts et des salaires des enseignants, mais également demander des remplacements de professeurs absents pour de longues durées, développe Laurence Pecheral. On a de plus de plus de personnels qui ne sont plus remplacés. » Idem dans le primaire, où « il n'y a pas de remplaçants, affirme notre enseignante en élémentaire. Même sans le covid on aurait quand même plein de classes fermées, sachant qu'en plus on ne peut plus brasser les élèves. » Dans son école, quatre enseignants sur cinq feront grève, du jamais vu.
La rédaction
Des manifestations sont prévues à Alès, à 10 heures devant l'Inspection académique rue Pasteur, à Bagnols à 10h30 au monument aux morts place Urbain-Richard et à Nîmes à 14h30 sur l'Esplanade.