FAIT DU JOUR Le nucléaire joue la carte de l’union pour se garantir un avenir
« C’est une première, et j’espère pas une dernière » : l’administrateur général du CEA François Jacq résume en quelques mots l’événement qui s’est produit ce vendredi dans la Drôme puis le Gard rhodanien, à savoir la présence sur un même lieu des trois grands chefs de la filière nucléaire française.
L’occasion pour la filière, régulièrement critiquée et donnée pour déclinante, de démontrer le contraire : elle innove, investit pour la sûreté et n’a pas peur de parler de son avenir. Le tout sous la houlette du député gardois Anthony Cellier, par ailleurs président du Conseil supérieur de l’énergie, auteur de ce tour de force de réunir loin de Paris, le temps d’une journée, l’administrateur général du CEA François Jacq, le directeur général d’Orano Philippe Knoche et le PDG d’EDF Jean-Bernard Lévy.
Tour de force car si ces trois acteurs travaillent main dans la main, avec le CEA pour la recherche, Orano pour l’extraction et la fabrication du combustible nucléaire et EDF pour la construction et l’exploitation des centrales, ils n’ont pas toujours été unis, et le passé et jonché des peaux de bananes glissées par les uns aux autres. C’est fini, et c’était un des messages envoyés ce vendredi : « la filière est enfin unie, notre présence en témoigne, dira sans fard le PDG d’EDF lors de la conférence sur l’avenir du nucléaire qui concluait la journée à Marcoule. Aujourd’hui nous parlons d’une seule voix, nous partageons les mêmes objectifs. » La filière a notamment mis sur pied un Comité stratégique de filière et le GIFEN, le syndicat professionnel du nucléaire français.
Un laboratoire innovant
Voilà pour ce message. Passons aux autres, dans l’ordre avec l’innovation, présentée ce vendredi matin sur le site Orano Tricastin, et la cérémonie de construction de son laboratoire d’isotopes stables. Pour la faire courte, il s’agit d’un laboratoire qui sera capable, à partir de 2023, « de séparer la matière pour la purifier au maximum », explique le chef de projet Laurent Bigot. Certaines applications, comme dans la santé et notamment dans la détection et le traitement de cancers, ont besoin de certains isotopes, comme « le xénon 129 pour les IRM, le xénon 124 pour les diagnostics de la thyroïde », note Laurent Bigot. Le laboratoire sera capable d’extraire ces éléments là et de les conditionner. La demande est là, et elle est très forte, seuls deux laboratoires étant capables de faire ça dans le monde, un en Russie, l’autre aux Pays-Bas.
Il ne s’agit pas d’un travail nucléaire, les isotopes étant stables, donc pas radioactifs, mais utilisant les technologies permettant d’enrichir l’uranium, ce qui se fait sur le site Orano Tricastin. Parmi ces technologies, citons la centrifugation, qui permet donc à Orano de se diversifier hors nucléaire. L’activité restera secondaire, avec à terme 20 salariés sur le laboratoire, et une production annuelle se comptant en kilos. Orano y met 15 millions d’euros tout de même.
« C’est un symbole fort de notre capacité à innover », se réjouit Philippe Knoche, avant d’annoncer « déjà le premier contrat » pour le laboratoire pas encore fini, qui sera donc un des trois au monde à faire dans les isotopes stables.
Des milliards pour la sûreté
Direction la centrale EDF, à quelques centaines de mètres, pour parler du deuxième volet, la sûreté. Dix ans après Fukushima, les adaptations dues au retour d’expérience de l’accident nucléaire de la centrale japonaise sont désormais une réalité. De quoi permettre, espère EDF, à sa centrale âgée de 40 ans de finir quinquagénaire, voire sexagénaire, avec son programme pharaonique Grand Carénage, qui vise à la prolongation de la vie de centrales arrivant toutes gentiment à 40 ans. Rien que pour le Tricastin, le Grand Carénage représente 1,6 milliards d’euros d’investissements, excusez du peu.
Quant au retour d’expérience de Fukushima, il se matérialise par un centre de crise locale, en cours de construction, « conçu pour être robuste face aux séisme, aux inondations, pour héberger 70 personnes pendant 3 jours », pose Cédrick Hausseguy, directeur de la centrale EDF Tricastin. Le centre de crise locale sera mis en service début 2023. Tout à côté, trônent deux bâtiments de 25 mètres de haut et de 12 mètres de long. Il s’agit des diesels d’ultime secours, qui doivent prendre le relais si les pompes de refroidissement de la centrale se retrouvent en panne suite à un événement climatique majeur. Les diesels ont une autonomie de 72 heures.
Ces diesels alimenteront si besoin des pompes captant l’eau de la gigantesque nappe phréatique souterraine sur laquelle est bâtie la centrale, ces pompes faisant aussi partie des modifications post-Fukushima, comme la pompe et l’échangeur mobiles construits au pied du réacteur 1. Tout ça pour « garantir le refroidissement du combustible et éviter une fusion », note le directeur. Et s’il y a une fusion, me direz-vous ? « Nous avons construit dans les fondations du réacteur un récupérateur de combustible fondu pour l’étaler et le confiner », répond-t-il.
« Ce sont les résultats concrets de ce qu’on fait pour passer les 40 ans, aller vers les 50 ans et probablement vers les 60 », résume le PDG d’EDF Jean-Bernard Lévy. En tout, le Grand Carénage représente « une cinquantaine de milliards en douze ans », ajoute-t-il en parlant du parc nucléaire dans sa globalité. Et le mieux, c’est que « c’est rentable pour le consommateur, avec une électricité moins chère que nos voisins », ajoute le PDG. Cerise sur le gâteau, une énergie « décarbonnée », glisse-t-il.
Quel avenir pour le nucléaire ?
En écoutant les uns et les autres, on finirait presque par se demander pourquoi le nucléaire a toujours fait débat, et continue d’être décrié par certains aujourd’hui. Pas par nos gouvernants : en introduction de la conférence sur l’avenir du nucléaire, la secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher a dit en vidéo et en substance que le nucléaire était une affaire de « souveraineté », ce que la hausse brutale des prix du gaz a rappelé, et que le nucléaire allait bénéficier « d’un demi-milliard d’euros dans le cadre de France relance. » 60 nouveaux projets nucléaires rejoignent la cohorte, dont, l’a annoncé la ministre, les entreprises gardoises Gambi-M et ACSP.
Reste que la part du nucléaire va significativement baisser dans le mix énergétique national, au profit des énergies renouvelables, pour passer à 50 % en 2035. « En énergie, c’est demain », souligne le député Cellier, qui estime que le pays « se trouve à la croisée des chemins. » Les représentants de la filière jouent donc l’unité pour garantir un avenir à l’atome, qui représente 220 000 emplois en France et 50 000 emplois directs et indirects dans la vallée du Rhône, en plaidant pour « une approche intégrée de l’énergie », dixit François Jacq. EDF a aussi des projets, « nous avons proposé au gouvernement un programme avec la construction de six EPR2 (des réacteurs nouvelle génération, ndlr) », rappelle Jean-Bernard Lévy, convaincu que la consommation d’électricité va significativement augmenter dans les prochaines décennies. La balle est dans le camp du gouvernement. EDF a aussi un projet de commercialisation de réacteurs plus petits, des SMR (Small modular reactor) dédiés à l’exportation, histoire de profiter du savoir-faire national.
En plus de construire de nouveaux réacteurs destinés, à terme, à remplacer les anciens, la recherche continue pour trouver des combustibles « plus tolérants face à un accident éventuel » (François Jacq) et atteindre le graal, la « fermeture du cycle », comprendre une production avec zéro déchet ultime. Pour l’heure, « 96 % de la matière est recyclée », rappelle Philippe Knoche.
Donc voilà, le nucléaire est « une filière d’avenir, qui se projette dans l’avenir et qui investit », résume Philippe Knoche. Reste à trouver les bras et les têtes bien faites pour la faire tourner, le nucléaire rencontrant des difficultés à recruter. Face à ce constat, la filière est en train de mettre sur pied une université des métiers du nucléaire, et Orano va ouvrir une école des métiers sur son site de Melox, à Marcoule, pour former ses futurs opérateurs. Elle sera lancée en 2022 si tout va bien.
Thierry ALLARD