FAIT DU JOUR Le rappeur James the Prophet : « Le Gard, c’est ma maison »
À 20 ans, le rappeur originaire de Bagnols James the Prophet vient de sortir un premier album remarqué, Unimaginable storms.
Un opus intimiste et réussi où James Jackson O’Brien, à l’état civil, montre l’étendue de son talent et sort des clichés sur les rappeurs, à rebours de l’ego-trip qui domine le genre actuellement. Rencontre.
Objectif Gard : Vous avez une mère anglaise, un père américain, mais vous êtes né à Bagnols. Que représente le Gard et Bagnols pour vous ?
James The Prophet : Le Gard, c’est ma maison. J’ai habité treize ans à Bagnols. Mon père habite toujours à Cavillargues, j’y retourne assez souvent. J’ai l’impression d’avoir vu la ville changer, grandir, évoluer, c’est vraiment chez moi. J’ai un peu perdu de vue certains de mes amis de l’époque avec le temps, mais Bagnols a une grande place dans mon coeur. Un de mes rêves serait de revenir à Bagnols et faire un concert, que tout le monde vienne. Toute ma vie c’était Bagnols. Je n’allais pas souvent à New York, à Londres, je suis bagnolais.
Donc vous avez encore un gros attachement pour Bagnols aujourd’hui...
Oui, c’est un endroit où j’espère pouvoir me réinstaller dans l’avenir. Peut-être monter un studio, quelque chose comme ça. Le Gard, pour moi c’est le meilleur département de France, je kiffe.
Vous avez sorti une première mixtape début 2020, mais vous vous êtes vraiment fait connaître avec des freestyles sur Instagram pendant le covid dont vous avez reversé les bénéfices à l’Assistance publique-hôpitaux de Paris. C’est du rap solidaire ?
Oui, on était dans une situation assez particulière, je ne pouvais pas faire mon album. Je faisais ces vidéos Instagram sur des covers de rap français, ça marchait plutôt bien. On ciblait des artistes, et souvent ils me répondaient. J’ai parlé à Angèle, à Booba grâce à ces freestyles et après ma voisine qui est médecin me parlait de la crise covid le soir sur le balcon. On a pensé que c’était un bon truc à faire, ça change un peu. Pour moi c’était évident.
C’était votre manière de contribuer...
Voilà ! à ma façon. Ce n’était pas énorme mais tous les gens de l’AP-HP ont adoré. Ils ont été super sympa. Ça a super bien marché et ça m’a donné quelque chose à faire pendant ce temps-là.
Ça a permis d’attendre l’album qui est sorti cette semaine. Un album dans lequel vous vous livrez, vous évoquez vos anxiétés, vos angoisses. Est-ce que ce n’est un peu une catharsis cet album ?
Carrément. Ça revient à la base de pourquoi je fais de la musique, même. Ça m’a beaucoup aidé quand j’avais 15-16 ans. J’ai commencé à faire des crises d’angoisse en me rendant compte de ce qu’est le monde vraiment, et dans mes textes ça m’aide tellement de m’exprimer, de sortir tous ces trucs-là. J’ai une démarche où je suis honnête et j’essaie d’être authentique. Ce sont les sujets que je vis dont je parle. Donc oui, une catharsis, carrément. Dans une conversation je ne m’ouvrirais pas sur ces trucs-là, même avec des potes, mais en musique c’est totalement différent. Je n’ai pas honte du tout. Ça vient naturellement, c’est le meilleur moyen pour moi.
« Je suis sorti de ma zone de confort »
C’est un album plutôt polymorphe, avec des titres sombres, d’autres qui le sont moins. Il est assez difficile à mettre dans des cases. C’était voulu ?
Carrément. Je n’ai pas fait ça exprès. Je ne me suis pas forcé à faire plein de genres différents pour faire plaisir, d’ailleurs il n’y a pas tellement de single qui se démarque. Je ne me suis pas dit : « je vais faire un truc pop pour que ça perce. » J’ai chanté quand j’avais envie de chanter, j’ai mis du vocodeur quand j’avais envie.
Les instrumentations sont très soignées, on sent un vrai travail de production...
Oui, je suis chiant avec les instrumentations. Je suis vraiment sélectif, exigeant, alors que je ne les fais pas. Dans le choix des instrumentations il y a plusieurs styles différents, et des retours que j’ai après une semaine, tous les titres ont été le préféré de quelqu’un. Même le titre que j’aimais le moins sur cet album, beaucoup de gens m’ont dit : « c’est mon préféré. » J’ai pu toucher plein de gens différents. Je suis sorti de ma zone de confort mais je ne me suis pas poussé à faire autre chose que moi. C’est un plaisir de savoir que je peux toucher plus de gens en restant authentique. Ce que je kiffe c’est le rap old-school, il y a quand même des titres dans cette veine-là. Ce sont les morceaux dont je suis le plus fier, ceux qui ont demandé le plus de travail.
Parlons de votre flow. Quand on revoit des vidéos d’il y a quelques années en arrière, avec un flow beaucoup plus rapide, on a l’impression que vous l’avez dompté.
C’est venu un peu du rap que j’écoutais à l’époque. Beaucoup de gens associent ça à Eminem, moi je ne suis pas spécialement fan d’Eminem, mais c’est vrai que les flows rapides c’est lui qui me les a appris. De base, je faisais des covers parce que j’avais une assez bonne mémoire. Je pouvais écouter un son puis refaire le texte. C’est comme ça que j’ai appris. En fait j’ai trop de choses à dire. Le plus gros travail que je fais, c’est d’épurer mes textes. Écrire le texte c’est facile, je peux faire des textes beaucoup trop denses. Après, rajouter des respirations, c’est vraiment mon travail le plus dur.
Votre flow s’est un peu ralenti...
Oui, et c’est un kif aussi, j’écoute des rappeurs qui rappent plus lentement, et j’essaie de prendre mon temps. J’adore travailler les flows, trouver les flows les plus compliqués. L’aspect technique, c’est ce qui me fait kiffer. Ça s’entend sur l’album, je ne suis pas trop allé dans ce qu’on entend sur les radios commerciales. Le rap mainstream c’est vraiment répétitif, j’essaie de sortir de ce truc-là.
Sur cet album il y a un feat avec Kalash Criminel, y a-t-il d’autres feat à venir ?
Je suis en train de travailler beaucoup sur des feat à l’étranger. J’en ai fait un avec un Anglais qui va sortir bientôt, Lord Apex, un mec underground authentique de Londres. J’essaie de collaborer un peu avec des gars aux États-Unis aussi. Ce n’est pas le même jeu que le rap en France, c’est tellement plus grand, il y a tellement plus d’argent, il y a beaucoup de barrières, mais on y arrive. Déjà le feat avec Kalash Criminel ça m’a aidé, ça montre que tout est possible. Il est sorti un peu de nulle part mais le titre a bien marché. Maintenant, l’objectif c’est de continuer de collaborer en France et à l’étranger. Ce qui me manque c’est de trouver ma place dans la scène rap française et internationale, et pour moi ça passe par des collaborations.
Et rapper en français, c’est une possibilité ?
Pour le moment je l’ai très peu fait. Quand je montrais ce que je faisais à mes potes c’était toujours plus impressionnant en anglais, donc je suis resté dans ce truc-là. Il n’y a pas beaucoup de rappeurs que j’aime bien qui font les deux, mais peut-être que dans l’avenir qu’il y aura un truc à faire. J’adore la langue française mais ça me fait un peu peur. C’est tout un art de faire sonner le rap en français. Je n’ai pas envie de me planter, donc je vais attendre, mais je pense qu’un jour je le ferai.
Vous vous êtes choisi comme nom de scène James the Prophet. Les prophètes délivrent un message, quel message êtes-vous venu délivrer au monde ?
Des valeurs fondamentales de gentillesse, d’humilité, l’amour, de sortir d’un truc un peu égocentrique surtout dans le rap, qui est un peu chiant. Je ne le reproche pas, mais je préfère des valeurs différentes. D’être gentil et d’essayer de comprendre les autres, d’être à l’écoute et de pouvoir parler de ses problèmes aussi. J’ai foi en l’humanité, en la gentillesse, en la bienveillance des gens.
Propos recueillis par Thierry Allard
« Unimaginable storms », de James de Prophet, est sorti le 12 mars chez Rupture.