FAIT DU JOUR Les législatives, le pari raté du FN
Avant ces élections législatives, le Front National avait un député et de grandes ambitions. À l’arrivée, il a un député.
Nous sommes le 25 mars dernier, à Villeneuve. Le printemps commence sous la pluie, mais à l’intérieur de l’hôtel de l’Atelier, les sourires sont radieux.
« Le grand chelem »
On y retrouve le secrétaire départemental du FN Yoann Gillet, le maire de Beaucaire Julien Sanchez, la candidate choisie par le parti lepéniste pour les législatives sur la troisième circonscription Monique Tezenas du Montcel et son suppléant le maire de Saint-Bonnet-du-Gard, Jean-Marie Moulin. La Présidentielle n’est pas encore passée, Marine le Pen caracole dans les sondages, et ça se voit.
Julien Sanchez qualifie la troisième circonscription de « gagnable », Yoann Gillet estime que le député sortant Gilbert Collard sera réélu « dès le premier tour » sur la deuxième et donne un objectif ambitieux qui, à l’époque, ne semble pas tout à fait délirant : « le grand chelem. » Traduisez : un six sur six aux Législatives, pour un scrutin majoritaire à deux tours qui est historiquement défavorable à un parti sans allié comme le FN, mais dans un département qui lui est alors favorable comme jamais.
Le dernier scrutin en date, les Régionales, avaient placé le Front National largement en tête dans le Gard, au premier comme au second tour, avec respectivement 41,36 % et 42,62 % des voix, certes avec une abstention frôlant les 50 % au premier tour, et les 60 % au second. De quoi inciter ses huiles à fanfaronner au son du slogan « le Front national, premier parti du Gard. »
Trois mois plus tard, Emmanuel Macron a été élu Président de la République, et la vague En Marche ! est aussi passée par le Gard, en emportant cinq sièges sur six à l’Assemblée nationale. Le FN aura pour les cinq prochaines années le même député qu’au cours des cinq passées, Gilbert Collard (et encore, il n’a pas sa carte au parti).
Un remake de la Présidentielle
Gilbert Collard justement. Réélu dans un mouchoir de poche, avec 123 voix d’avance sur Marie Sara (LREM), le député sortant a bien failli être sorti. Il doit sa réélection à une remobilisation de son électorat, passé de 13 991 voix au premier tour à 19 834 au second, et ce pendant que la deuxième circonscription était la seule du Gard à ne pas voir son taux d’abstention exploser (51,79 % contre 50,24 % au premier tour). Même réélu, Gilbert Collard, qui est même allé jusqu’à traiter ses propres électeurs de « fainéant » durant sa campagne, a de quoi être déçu par la mobilisation d’un électorat qui l’est davantage d’habitude : il perd plus de 10 000 voix par rapport au score de Marine Le Pen au second tour de la Présidentielle sur son territoire. Il faut dire qu’il n’y avait, le 7 mai, « que » 22,4 % d’abstention sur cette circonscription, qui sera la seule à placer Marine Le Pen d’une courte tête (50,9 % des voix) au second tour. On peut donc estimer que la logique électorale a été respectée.
Sur les cinq autres circonscriptions, on a assisté à un remake du second tour de la présidentielle : si le FN était présent partout au second tour et a réussi à glaner 28 000 voix de plus par rapport au premier tour pour culminer à 88 975 voix, il n’a jamais été en position de ravir une autre circonscription à En Marche !. Seul Yoann Gillet sur la première a pu avoir quelques raisons d’y croire, en étant arrivé au coude à coude avec Françoise Dumas au premier tour. Il est finalement relégué à dix points derrière elle au second tour. Partout ailleurs, les défaites ont été plus larges pour le parti à la flamme, la plus cinglante étant pour Daniela de Vido sur la cinquième circonscription, avec 36,4 % des voix. Et partout l’abstention a crevé les plafonds, avec de 56 à 59 % des inscrits.
L’évaporation de l’électorat FN
Qu’en déduire ? D’abord que le FN a profité de la faiblesse historique de la droite et du centre et des divisions à gauche pour se hisser au second tour partout, malgré une dynamique grippée depuis le débat de l’entre-deux tours complètement raté par Marine Le Pen et l’embrouillamini sur la sortie de l’euro. Une analyse corroborée par un sympathisant, présent au meeting de Marion Maréchal-Le Pen : « je n’ai pas voté dimanche (au premier tour, NDLR)… J’ai encore du mal avec le discours anti-Europe de Marine Le Pen et puis, le débat a été décevant. »
Ensuite, l’électorat du FN n’est pas constitué de citoyens systématiquement sur-mobilisés, équipés de cartes électorales tamponnées dans toutes les cases. Oui, l’électorat du FN a partiellement déserté, ou plus précisément la moitié de l’électorat de Marine Le Pen au second tour dans le Gard : de 161 115 voix, le FN passe à 88 975 au second tour de ces législatives. Et encore, ils n’étaient « que » 60 876 électeurs à avoir choisi le FN au premier tour le 11 juin dernier… « Si tous les électeurs de Marine Le Pen à l'élection présidentielle s’étaient déplacés pour ces élections législatives (et notamment les jeunes), nous l’aurions emporté. Tout le monde doit en être conscient », relève Yoann Gillet pour la première circonscription.
Certes, à ce petit jeu, tout le monde a perdu. L’exemple de la droite et du centre, que nous avons déjà développé la semaine dernière ici, est en l’espèce édifiant. Même En Marche !, malgré une dynamique forte, a perdu des électeurs entre la présidentielle et les législatives, passant dans le Gard de 194 989 voix à 120 158, mais les proportions ne sont pas tout à fait comparables à l’évaporation de l’électorat FN.
Un FN qui dans le Gard a tout de même réussi à sauver les meubles, ou plutôt le député Collard. Il ne s’en est pas forcément aussi bien sorti ailleurs, comme dans le Vaucluse, où la symbolique troisième circonscription — celle de Marion Maréchal-Le Pen — est tombée dans l’escarcelle d’En Marche !. Dans le Gard, le FN s’en tire avec un avertissement sans frais.
Alors qu’à l’échelon national, le FN va devoir clarifier sa ligne idéologique, dans les territoires, et notamment dans le Gard, un chantier aussi colossal que crucial se profile : les Municipales. Le Front National a désormais trois ans pour continuer à travailler son implantation locale pour pouvoir capitaliser dessus : le FN fait son plus gros score du second tour des Législatives à Beaucaire, ville gérée par le FN depuis 2014, avec près de 62 % des voix.
Coralie Mollaret et Thierry Allard
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