FAIT DU JOUR Olivier Lataste, nouveau directeur du Cratère : "Le public sera obligé de venir au théâtre"
Directeur de la scène nationale du Cratère depuis le 1er octobre, Olivier Lataste succède à Denis Lafaurie après 30 ans à la tête de ce phare culturel départemental. À 50 ans, l'ancien directeur administratif et financier de la scène nationale d'Annecy a tôt fait de prendre ses marques au cœur d'un territoire dont il connaît déjà les spécificités. À Alès, le Toulousain débarque avec l'intention de s'inscrire dans une "continuité dans le changement", en faisant du Cratère un théâtre ouvert à tous, usant de techniques de communication plus modernes et de toute sa maîtrise du numérique. Entretien.
Objectif Gard : Après une première partie de carrière dans l'informatique, vous avez embrassé la voie culturelle au début des années 2000. Pourquoi ?
Olivier Lataste : C'est sans doute le fruit d'un héritage familial, avec une sœur comédienne, l'autre musicienne, un papa jazzman, et une maman graphiste et peintre. Je faisais du chant et de la guitare dans ma jeunesse. À mon retour d'Espagne, en 1997, j'ai pratiqué le théâtre en amateur pendant quatre ans.
De là à en faire votre métier, il y a un grand pas...
Le déclic c'est le festival d'Avignon. Je me suis chargé d'y promouvoir le spectacle de ma troupe qui était semi-professionnelle. J'ai compris que j'avais bien plus envie de gérer des projets culturels que des projets informatiques. Un bilan de compétences me l'a ensuite confirmé. À 30 ans, en 2001, j'ai donc bifurqué définitivement vers la culture.
Que connaissiez-vous du Cratère d'Alès et quelles sont les différences avec la scène nationale d'Annecy à première vue ?
Venant de Toulouse, j'ai une culture du Sud et je voulais un territoire avec lequel je serais en phase. Le Cratère, c'est quand même la première scène nationale créée dans l'ex-région Languedoc-Roussillon. Je connaissais Cratère Surfaces, un événement reconnu nationalement. La différence majeure c'est que le budget est deux fois plus petit qu'à Annecy. Il y a une marge de manœuvre artistique plus réduite. Mais selon moi, il y a un sacré potentiel pour cette Agglo en plein développement. J'ai l'impression qu'il y a un terrain politique et un tissu associatif très dynamiques. Même au niveau économique, Alès est quand même le deuxième pôle industriel de la région après Toulouse. Je sens chez ces acteurs économiques la volonté de progresser ensemble.
Plusieurs millions d'euros vont être injectés pour la réhabilitation du Cratère. Ce projet a-t-il généré une motivation supplémentaire quant à votre nomination au poste de directeur ?
C'est une perspective enthousiasmante pour moi. Pendant la période hors les murs, puisque les travaux vont sans doute engendrer une fermeture de la structure, il y aura toute une programmation à réinventer. Et un nouveau public à aller chercher par la même occasion. J'y vois une vraie opportunité ! D'ailleurs, à Annecy, après deux années hors les murs suite à une rénovation, le nombre d'abonnés a presque doublé. De 4 000 avant les travaux, nous étions passés à 7 000 abonnés à la réouverture.
Denis Lafaurie disait de vous que vous entendiez-vous inscrire dans une forme de "continuité dans le changement". Comment cela va-t-il se traduire ?
J'ai envie que le Cratère s'ouvre à toutes les strates de la société. Aussi bien aux associations culturelles des quartiers, comme on l'a fait avec All'Style en accueillant des jeunes de l'association sur notre scène au début des vacances de la Toussaint. Avec son président, Jawad Frikah, on va créer un projet à l'occasion de l'événement "Temps d'artistes au lycée". On a un projet numérique assez funky autour du hip-hop, avec un scanner à la disposition des élèves pour qu'ils créent leur propre avatar et dansent sur une chanson rythmée choisie dans une banque de données. Avec, à l'issue, un événement festif et participatif via les réseaux sociaux. En tant qu'informaticien de formation, je vais intégrer à fond le numérique dans les projets. Ça peut être ma marque de fabrique.
D'autant que cette modernisation a aussi vocation à compenser la désaffection du public pour les lieux culturels dont pâtissent particulièrement les cinémas...
C'est pour ça que la saison prochaine, certains spectacles seront filmés par des vidéastes. Sur un grand écran, au-dessus de la scène, les spectateurs verront en direct des gros plans d'une intensité filmique super forte. Une mutation est en marche. Mais le spectacle vivant est moins remplaçable que ne l'est le cinéma, donc je pense qu'on peut tirer notre épingle du jeu. J'ai aussi la volonté d'intégrer des casques de réalité virtuelle à certains spectacles. Il y a des 30/40 ans à aller chercher. On va leur amener des choses tellement exceptionnelles qu'ils seront obligés de venir au théâtre. Tout ça se traduira par une nouvelle communication, une nouvelle charte graphique. Et surtout une nouvelle façon d'aborder la saison des spectacles décentralisés à laquelle il fallait donner une vraie couleur. On va appeler ça "Cratère espaces". On ira explorer les espaces culturels de l'Agglo, les espaces publics, et aussi les espaces naturels. Avec les Cévennes, on a un bijou. Je veux qu'on aille tutoyer la réserve internationale de ciel étoilé en soirée avec un spectacle qui se terminerait par une observation des étoiles.
Vous avez forcément eu vent d'une occupation du Cratère au printemps dernier par un collectif d'intermittents de l'emploi. Ces mouvements contestataires menés dans ou devant l'établissement vous effraient ?
Pour moi, le Cratère est le lieu de l'acte artistique. Je ferai toujours en sorte que l'artistique ne soit jamais entravé quelle que soit la lutte. Je pense qu'il y a d'autres terrains de jeu plus appropriés même si c'est une esplanade assez centrale de la ville.
Qu'avez-vous déjà entrepris lors de ce premier mois à la tête du Cratère ?
J'ai simplifié l'abonnement dès mon arrivée. Désormais, on peut compléter son abonnement à n'importe quel moment de l'année. Il n'y aura plus la contrainte des dates. On va aussi faire en sorte qu'un abonné puisse inviter des amis. Au cours d'une saison, l'abonné aura quatre places qu'il pourra offrir à des amis, lesquels paieront leur place au tarif d'un abonné, sans l'être. L'an prochain, on ira plus loin avec un tarif dédié aux familles bien plus attractif. De mon côté, je vais aller chercher des mécènes, en lançant le Club des partenaires lors d'une soirée organisée le 24 novembre. Ça va s'appeler "Déclic Cratère". Sur le bassin alésien, je pense qu'il y a beaucoup d'entreprises qui pourraient potentiellement rejoindre ce club.
Avez-vous l'intention de vous inscrire dans la durée à la direction du Cratère ?
J'ai fait sept ans avec Transe Express, et douze à Annecy. Ici, je pense que je suis parti pour quinze ans, sans problème ! Je ne pourrai pas battre Denis Lafaurie qui a fait 30 ans, car ça me ferait finir à 80 ans (rires).
Propos recueillis par Corentin Migoule
La bio express d'Olivier Lataste
Né à Toulouse le 27 mai 1971, Olivier Lataste s'est engagé dans des études d'ingénieur après l'obtention d'un bac scientifique. Un cursus conclu par un séjour du côté de Valence (Espagne) dans le cadre du programme Erasmus, qui vaut encore au quinquagénaire une parfaite maîtrise de l'espagnol. De retour dans la Ville rose, le Haut-Garonnais obtient un poste de prestataire de services informatique dans le spatial, qui lui permet d'assister au décollage de la fusée Ariane 5, à Kourou. Ce n'est qu'à l'âge de 26 ans qu'il découvre la pratique théâtrale. Le déclic survient au début des années 2000, au festival d'Avignon. Après quoi Olivier Lataste réalise un bilan de compétences qui le conduit vers une reprise d'études artistiques à Montpellier. Un stage au cœur du célèbre Festival d'Aurillac achève de le convaincre. Il devient ainsi administrateur de la compagnie Transe Express, spécialisée dans les arts de rue. Un poste qu'il occupe pendant sept ans. Désireux de renouer avec le théâtre contemporain, Olivier Lataste envoie une candidature spontanée à la scène nationale d'Annecy où le directeur cherchait un profil "tout-terrain", comme lui. Il y est recruté en tant que directeur administratif et financier, de 2009 à septembre 2021, puis rejoint Alès, le 1er octobre dernier.
L'actualité du Cratère
La première saison d'Olivier Lataste à la tête de la scène nationale alésienne est bien lancée. La collaboration avec la Verrerie se poursuit, notamment articulée autour du festival "Temps de cirques", qui a débuté ce lundi soir. Le spectacle "Cirque Trottola", qui met en scène un couple d'acrobates accompagné de deux musiciens multi-instrumentalistes, est à retrouver sous le chapiteau de la Verrerie le lundi 8 novembre à 19 heures, le mardi 9 à 20 heures 30, le jeudi 11 à 19 heures, et le vendredi 12 à 20 heures 30. Aussi, "Les hauts plateaux", spectacle conçu par Mathurin Bolze, mettant en scène sept interprètes habités par la grâce, est à apprécier dans la grande salle du Cratère, le samedi 13 novembre à 20 heures 30, et le lendemain, dimanche, à 17 heures 30.